Arabie saoudite : comment se réorganise la mobilité au royaume du pétrole ?
Visuel
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Chapô
Avec le lancement du métro de Riyad à la fin du mois de novembre 2024, l’Arabie saoudite marquait à nouveau sa volonté de hisser sa capitale au rang des plus grandes villes mondiales. Les réformes économiques et sociales de cette dernière décennie doivent beaucoup à la fin annoncée du pétrole et à un climat désertique qui ne va qu’en se réchauffant. Pour comprendre la place de la mobilité dans les transformations en cours, le Forum Vies Mobiles a organisé un voyage d’étude afin de rencontrer les chercheurs, les aménageurs et les partis prenantes françaises sur place. Comment s’organise la mobilité sur le territoire saoudien ? Comment les Saoudiens eux-mêmes vivent leur mobilité ? Quels sont les changements en cours pour faire face au réchauffement climatique ? Et prépare-t-on vraiment la fin de l’ère du pétrole ? À côté de la communication internationale autour de projets pharaoniques, à l’intérieur du pays, les stratégies en termes de mobilité, d’urbanisme et de modes de vie sont redéfinies. Le présent article en dessine les contours.
Continent
Date de publication
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Présentation longue
La mobilité au cœur des projets en Arabie saoudite
Depuis 2016 et l’annonce du Plan Vision 2030 par le Prince héritier Mohammed ben Salmane, une série de projets « pharaoniques » a été annoncée et lancée en Arabie saoudite. Le plus iconique est très certainement celui de NEOM, dont le désormais célèbre projet de ville linéaire, baptisé The Line, est la pièce maîtresse. La volonté affichée est d’inscrire le pays dans les 15 premières puissances économiques et, pour atteindre cette ambition, le pays emprunte deux voies complémentaires qui forment le nouveau socle de sa communication à destination du reste du monde : présenter des mégaprojets écotechnologiques et résolument futuristes, et refondre profondément le système socio-économique par une série de réformes dont la mobilité est à la fois un moteur et l’un des secteurs les plus impactés.
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Les trois villes visitées
RIYAD La capitale compte 7 millions d’habitants pour une densité relativement faible de 3 959 hab./km2 (en comparaison, la densité de la ville de Paris est de 20 000 hab./km2). Les infrastructures automobiles structurent la morphologie urbaine, contraignant les mobilités piétonnes dans un contexte où les traversées piétonnes sont rares et la circulation très congestionnée. Les transformations urbaines sont omniprésentes et la ville paraît être un vaste chantier. Le plus vaste réseau de transport public au monde a été lancé à la fin du mois de novembre 2024 : 6 lignes de métro doivent être lancées de concert à la fin de l’année 2024, avec à terme 176 kilomètres de voies et 85 stations (contre 226 km à Paris pour 308 stations). Pour relier les lignes entre elles, un Bus à haut niveau de service accompagnera le lancement et 54 lignes de bus fonctionnent déjà ou seront lancées, pour desservir 3 000 points d'arrêts. Au total, 35 entreprises internationales de conception, de construction, d'exploitation et de maintenance emploient 52 000 personnes sur ces projets.
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Un pays en pleine mutation, tant climatique que sociétale
La fin du pétrole comme limite du système automobile ?
L’Arabie saoudite, peuplée de 36 millions d’habitants, s’étend sur 2,1 millions de km2, soit quatre fois la France. Le territoire est principalement composé de déserts) et de terres semi-arides (environ 98%) et seulement 2% des terres sont cultivables. Les températures peuvent y atteindre 50°C en été, avec des épisodes de chaleurs extrêmes qui à l’avenir devraient être plus chauds et plus longs. Dans le troisième pays producteur de pétrole, après les États-Unis et la Russie, la rente pétrolière est à la base de l’économie. L’abondance de l’or noir conjuguée à la rudesse du climat ont de toute évidence contribué à façonner les modes de déplacement. L’aviation domestique y est l’une des plus importantes dans le monde, avec 52 millions de passagers enregistrés en 2023. De plus, les nombreux investissements dans la modernisation des aéroports et le développement de nombreuses compagnies à bas coûts ont contribué à augmenter le nombre de passagers domestiques et internationaux de respectivement 9% et 46%, en 2023, ce qui est en phase avec la volonté manifeste de faire du royaume un Hub aéroportuaire régional et mondial. Ce vaste territoire, qui couvre 80% de la péninsule arabique, est également desservi par un réseau viaire de 200 000 km de routes, dont 5 000 km d’autoroutes (la vitesse est récemment passée sur certains tronçons de 120km/h à 140km/h). L’automobile y est reine (Menoret, 2014) et a été encouragée non seulement par la dispersion des centres de population et des défis géographiques, mais aussi grâce à l’accès à un carburant subventionné et à bas prix. Les villes ont quant à elles suivi le modèle américain du tout-voiture, sans aucune offre fiable de transports en commun et avec un étalement urbain considérable. Les véhicules puissants, pouvant faire du hors-piste pour les pratiques de loisir dans le désert, et avec un système de climatisation performant sont favorisés.
L’Arabie saoudite en quelques chiffres
- 36 millions d’habitants
- 41% d’étrangers (Agence Anadolu, 2023)
- 3e pays producteur de pétrole, soit 13% de la production mondiale (Statista, 2023)
- 8e plus grand pays émetteur de GES (Ekwateur, 2023)
- 8e plus grand pays émetteur de CO2 par habitant (Statista, 2023)
- Part des déplacements en transports en commun : 1 à 2% (entretien avec Mohammed Ezzat Al Atroush)
- Trajets moyens entre le domicile et le travail : 33’ à Riyad, 27’ à Dammam (entretien avec Sharqia Development Authority)
- 210 voitures pour 1 000 habitants soit 6,9 M de véhicules en 2015.
- 557 000 immatriculations de véhicules neufs en 2021, selon l’Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles (OICA)
- Les ventes de véhicules neufs ont atteint 192 089 au premier trimestre 2023, en hausse de 40,3% par rapport à l’année précédente (OICA)
Le plan Vision 2030 et la « saoudisation » de la société
La Vision 2030 traduit le projet politique national de transformation du pays. Il prend la forme d’un ensemble de réformes économiques, sociales, environnementales et territoriales lancé en 2016 avec l’objectif affiché de réduire la dépendance économique au pétrole. Il comprend, entre autres, des mesures comme la diversification de l’économie, l’instauration d’une TVA (15%) et l’augmentation du prix du pétrole. Le plan donne également une importance particulière au tourisme, désigné comme un secteur majeur de développement économique de l’après-pétrole, et dont la part dans le PIB actuel (mis à part le pèlerinage qui, selon nos entretiens, est totalement détaché du tourisme) est quasiment nulle.
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Le tout-voiture laissera-t-il une place à la multimodalité ?
Avant le lancement des grands projets actuels, le slogan des transports était « Drive and survive ». Tout était pensé autour de la voiture et de la sécurité routière, qui reste une priorité aujourd’hui. De la place de parking abritée du soleil au drop-off ventilé du centre commercial climatisé, l’automobile occupe une place prépondérante.
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Métro, bus, trains : quel report vers les transports en commun ?
o À Riyad, le quadrillage d’une ville dix fois plus étendue que Paris
Avec la congestion importante au sein des grandes villes, l’enjeu du report modal devient vital pour un pays où la population active est en augmentation et où les besoins de mobilité sont croissants. Que ce soit pour le travail ou les loisirs, les changements sociétaux entraîneront de fait une augmentation des déplacements qui pourraient, si les projets sont menés à bien et les objectifs atteints, se porter directement sur les mobilités alternatives à l’automobile. Pour y arriver, l’offre devra être convaincante. À Riyad, un réseau entier de transport en commun est en cours d’implémentation. 54 lignes de bus, sur 80 lignes à termes, sont déjà en service et sont fréquentées par un public varié, avec une majorité d’étrangers. Leurs arrêts sont climatisés et voient leur utilisation croître depuis leur lancement en mars 2023. Le réseau est complété par 3 lignes de BRT (Bus Rapid Transit) et surtout 6 lignes de métro depuis la fin de l’année 2024. Le réseau de métro anticipe déjà la croissance de la ville en prévoyant des stations dans des quartiers qui ne sont pas encore construits. Il s’articule autour de quatre stations principales, dont celle de King Abdullah Financial District (KAFD), le quartier d’affaires, vitrine du projet imaginée par le cabinet Zaha Hadid Architects.
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o À Dammam, l'intégration des transports collectifs aux nouveaux quartiers
À Dammam, huit lignes de bus ont également été mises en service en 2019. Pensés à l’origine pour transporter les femmes qui travaillaient mais n’avaient pas encore de permis de conduire, ces bus sont aujourd’hui ouverts à tous et leur développement fait pleinement partie des projets de développement de la ville, d’après notre entretien avec l’Autorité organisatrice de la région Est (Al Sharkiya). Cependant, l’expérience sur place nous a montré que les lignes manquent pour le moment d’adhérence, d’ancrage au territoire (Mezoued, 2015), avec peu de points d’arrêts dans une ville peu dense, traversée par des infrastructures routières et des servitudes pétrolières.
o À AlUla, le développement d’un système de transport à partir de zéro
En ce sens, l’expérience d’AlUla est intéressante. L’Agence française de développement d’AlUla et la Commission royale d’AlUla y prévoient l’installation d’une ligne de tramway qui traverse la vallée et connecte les différents quartiers ainsi que les principaux lieux touristiques dans cette région dont les vocations sont principalement l’agriculture et le tourisme, et plus spécifiquement le tourisme haut de gamme. Le tramway vise les 9 millions de passagers par an dans une ville qui ambitionne de passer de 50 000 à 150 000 habitants dans les dix prochaines années, principalement en vue d’accompagner le développement du site touristique d’Hegra. Cela doit passer non par une extension, mais par une densification de la ville encore largement occupée par les terrains vagues.
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L’intimité : une approche essentielle pour penser les transports en Arabie saoudite
Dans les trois terrains, les transports en commun sont pensés comme des moyens de transport indifférenciés, aussi bien pour les travailleurs étrangers, que pour les touristes et les Saoudiens. La ségrégation de genre a quant à elle été supprimée de la loi fin 2019, comme suite logique des réformes entreprises par Mohammed ben Salmane avec Vision 2030. Comme dans de nombreux pays de la région MENA (Middle East and North Africa), la séparation entre les espaces « familles » et hommes seuls est relativement fréquente, mais l’espace public et la majorité des commerces sont mixtes. Dans les nouveaux bus, il existe une discrète séparation entre les familles et les hommes seuls. Le métro comprend lui des voitures « familles » et fonctionne selon un système de première et de seconde classe. Une forme de ségrégation est donc maintenue entre catégories socio-économiques comme en termes de genre. Pour un billet de deux heures, hors abonnement, les prix vont de 4 riyals (1 euro) en deuxième classe, à 10 riyals (2,5 euros) en première. Le défi des transports en commun en Arabie saoudite sera sans doute de les rendre désirables. Le pays part de zéro, l’étalement urbain est important et le dernier kilomètre est difficile à gérer, au vu de l’étalement de la plupart des villes saoudiennes configurées pour le tout-voiture. De plus, la dimension culturelle de l’automobile est revenue très fréquemment lors de nos discussions. Le véhicule individuel représente non seulement un modèle de réussite, comme cela peut être le cas d’autres contextes et d’autres pays, mais constitue aussi un dispositif qui permet de préserver l’intimité. Une sorte de « Hidjab d’acier », comme cela nous avait déjà été dit à Alger[^2], qui permet à la fois d’échapper au contrôle social et de ne pas se mélanger avec les inconnus. Dès lors, l’idée de véhicules partagés ou de covoiturage semble difficile à mettre en place. Nous n’avons d’ailleurs entendu parler d’aucun projet dans ce sens. D’après Dr. Mohamed Ezzat Al-Atroush, chercheur à l’Université Prince Sultan, les investissements massifs en termes de transport public permettront très certainement un changement de pratiques de mobilité, notamment avec un report des mobilités des travailleurs, ou des personnes à plus faibles revenus, vers les bus. Il estime cependant qu’il sera naturellement plus difficile de convaincre les catégories les plus aisées, car si certains ont renoncé à avoir un chauffeur, avec les contraintes sur l’immigration, la voiture reste largement plébiscitée. De plus, l’offre haut de gamme dans tous les domaines reste plus importante qu’ailleurs. La plupart des complexes touristiques d’AlUla par exemple sont équipés d’héliports et presque tous les établissements ouverts au public (centres commerciaux, hôtels, restaurants, etc.) disposent d’un service de voiturier.
The sandpiercer
Parmi les grands projets de transport en commun, on retrouve bien évidement le train. Si son histoire remonte au début de XXe siècle avec le train du Hedjaz qui reliait Damas à Médine en passant par Amman et AlUla, l’infrastructure actuelle reste limitée et orientée principalement sur le transport de fret et de minerais. Le réseau ne compte que trois groupes de lignes, non connectées entre elles.
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Quelle proximité et quelles mobilités actives quand il fait 50°C ?
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Conclusion
Le voyage réalisé par le Forum Vies Mobiles a permis de constater l’ampleur des transformations mises en œuvre par le plan Vision 2030, au-delà des seuls mégaprojets dont la presse mondiale se fait déjà écho, et la manière dont les mobilités se trouvent impactées et impactent en retour les changements en cours. Les différentes visites et rencontres ont été riches en enseignements, mais nous ont aussi permis de mettre la lumière sur de nombreuses interrogations en suspens. Par exemple, l’adaptation aux changements climatiques sera plus difficile dans ces régions du monde qu’ailleurs. Il faudra rester attentifs aux solutions apportées, notamment pour s’adapter aux températures extrêmes. De ce que nous avons pu constater, les approches technologiques semblent prendre le dessus dans les grands projets : à NEOM avec le projet d’utiliser des IA pour gérer la mobilité de The Line ; dans les chemins de fer avec la volonté de développer des locomotives à hydrogène ; dans l’approvisionnement en eau qui mise sur le développement de nouvelles usines de désalinisation fonctionnant avec l’énergie de deux nouvelles centrales nucléaires, etc. Même si elles sont au centre de la communication et que les projets sont entamés, ces solutions techniques restent floues : leurs performances, leur adaptabilité au climat et leur plus-value sont encore discutées et incertaines. En termes de transition, si Aramco[^3] est un modèle dans la réduction des gaz torchés, il ne semble pas y avoir de remise en question globale, ou du moins immédiate, des énergies fossiles. C’est quelque part compréhensible dans un contexte où la transition du pays s’adosse aux revenus de la production de pétrole. Reste à savoir comment la part de ces revenus pourra réduire avec le temps pour atteindre l’objectif fixé par l’Arabie saoudite de devenir le pays le plus écologique au monde. Cela étant dit, à côté de ce techno-solutionnisme assumé, des approches low-tech, plus sobres en énergie, se développent. Elles consistent à restaurer et à régénérer des écosystèmes, à naturaliser des espaces désertiques, à étendre des palmeraies, à réduire la consommation d’eau dans l’agriculture, à travailler sur le cycle de l’eau en milieu urbain avec la perméabilisation des sols et ailleurs avec la mise en valeur des réseaux hydrographiques, etc. Ces solutions semblent plus réalistes à court terme et avec des impacts plus importants sur le long terme. Ils sont, comme tous les projets du royaume, d’une dimension rarement réalisée ailleurs. C’est le cas par exemple de la végétalisation de Riyad ou de la régénération de la vallée agricole de AlUla. Il sera intéressant de suivre les résultats de ces initiatives. En termes de mobilité, le dilemme entre solutions techniques et low-tech se pose également. Les véhicules thermiques, par exemple, semblent avoir encore de l’avenir au royaume du pétrole, en l’absence de réseau de recharge et de modèles électriques adaptés aux loisirs dans le désert. La remise en question de l’aviation, quant à elle, n’est absolument pas à l’agenda. La grande majorité des trajets intérieurs se font en avion et les acteurs rencontrés sont plutôt sensibles aux solutions techniques promises par l’industrie aéronautique, principalement des aéronefs hybrides, électriques ou à hydrogène. Le report de ces mobilités vers le train n’est visiblement pas un objectif du plan Vision 2030, et ne fait donc pas partie des priorités de la SAR, dont le concurrent est plutôt la voiture. Dans certains cas, la pertinence des solutions technologiques reste discutable. C’est le cas des navettes autonomes en cours de déploiement à AlUla, notamment parce qu’elles tiennent plus de l’outil de communication que d’une réponse à un besoin De manière générale, la transition durable des mobilités en Arabie saoudite semble plutôt être conditionnée par une transformation des modes de vies mobiles d’une part, et par la réponse qui sera apportée aux enjeux du dernier kilomètre et de la proximité d’autre part. La réussite des investissements colossaux dans les transports en commun dépendra donc de la réussite de ces deux points à travers l’articulation entre les différents modes et l’articulation entre la mobilité et la planification urbaine. La végétalisation des rues et l’abaissement des températures est donc un enjeu pour développer l’altermobilité, notamment la marche. Les solutions proposées sont liées de manière systémique aux réponses apportées au changement climatique. La question de l’eau devient centrale, car pour concrétiser ces projets de verdurisation, il faut de l’eau, en l’occurrence de l’eau de mer dont le dessalement est extrêmement énergivore. En plus de la gestion du dernier kilomètre, un autre enjeu n’a que rarement été évoqué : celui de l’organisation de la société en fonction des différentes temporalités. La gestion du temps semble être un aspect négligé des dynamiques actuelles, mais qui est pourtant structurant des pratiques de la ville et de la mobilité, notamment des pratiques actives, dans ce contexte de fortes chaleurs. Les temporalités des différentes activités sont, de fait, organisées en fonction de deux contraintes : échapper à la chaleur et suivre les 5 prières de la journée. Intégrer cette dimension dans la planification des transformations sociétales et des modes de vie pourrait contribuer à l’amélioration de la qualité de vie recherchée et à encourager les alternatives en termes de mobilité. ---------Ce que le Forum Vies Mobiles retient
Une politique climatique en pleine lumière, qui révèle des zones d’ombre
- L’Arabie saoudite est en première ligne des défis climatiques à venir et en a conscience. Contrainte de réagir face à l’augmentation des températures, elle intègre pleinement ces enjeux dans sa stratégie de développement. - Les mégaprojets (en première ligne la région de Neom), nombreux et largement médiatisés à l’international, répondent notamment aux impératifs d’une communication efficace, basée sur les nouvelles technologies et les superlatifs. Orientée vers les personnes les plus riches (Saoudiens ou touristes étrangers), cette communication augure toutefois mal de la prise en compte de la diversité des habitants du pays. - Si elle prépare la fin du pétrole, elle ne s’inscrit pas pour autant dans une transition globale qui dépasserait les frontières du pays. Avant l’écologie, c’est la motivation de la mutation économique et sociale voulue par Mohamed ben Salman qui dirige l’action. - Les fortes inégalités rendent impossible une transition juste dans un pays où les travailleurs pauvres, immigrés et majoritairement des hommes, sont des rouages essentiels des grands projets d’infrastructures et de la qualité de service revendiquée par le tourisme de luxe. - Une certaine opacité règne dans les agences gouvernementales, que nous n’avons souvent pas pu rencontrer. Il est alors difficile de sortir des discours officiels. Cette règle n’est pas absolue : la SAR et l’Autorité organisatrice de la région Est nous ont par exemple ouvert leurs portes pour de longs entretiens sur les projets en cours. - Le Fonds public d'investissement d'Arabie saoudite (PIF) est un outil de centralisation puissant, qui dirige les financements de manière unilatérale avec des conséquences fortes sur les populations locales. - La question de l’eau, centrale dans un projet comme Green Riyad par exemple, est un point aveugle de la transition écologique de l’Arabie saoudite. Elle ne mise pas sur une diminution de son usage, mais sur la multiplication des solutions de production très énergivores (usines de dessalement notamment).L’externalisation de la maîtrise d’œuvre : le risque de la reproduction de modèles inadaptés
- La conception des plans de mobilité et d’urbanisme est très largement externalisée. Le gouvernement, à travers des agences comme la RCRC à Riyad ou la RCU à AlUla, fait appel à des grandes agences d’urbanisme et des cabinets de conseils internationaux pour élaborer les masters plans. Il en résulte une forte importation de modèles globalisés issus d’Amérique du Nord et d’Europe. Aujourd’hui, c’est le modèle européen, notamment à travers le concept de la ville du quart d’heure, qui est largement sollicité par les aménageurs, tandis que le système tout-voiture hérité du modèle nord-américain et prégnant dans une ville comme Riyad est dans une certaine mesure remis en cause. Ce passage d’un modèle du Nord à un autre doit interroger sur la pertinence de leur importation sur un territoire comme celui de l’Arabie saoudite, dont les contraintes exceptionnelles mériteraient une approche sui generis que l’on n’a pu observer que chez les universitaires et, dans une certaine mesure, dans les projets de la SAR, le développement du ferroviaire étant très fortement contraint par le climat désertique. - Les laboratoires qui s’intéressent aux sciences sociales opèrent dans des universités d’ingénierie (divisées entre universités privées et universités publiques) qui laissent peu de place aux approches qualitatives et aux enquêtes sur les aspirations des habitants. C’est un manque qui semble parfaitement identifié par les universitaires eux-mêmes.Un développement sensible des modes alternatifs à la voiture, mais pas à l’avion
- Les modes actifs sont largement mis en avant sans que soit vraiment pris en compte leur potentiel de report modal ou leur adaptation aux chaleurs extrêmes. Le vélo par exemple est considéré avant tout comme un mode sportif (avec un discours orienté sur la santé, dans un pays où la question de l’obésité a récemment émergé). À Djedda, la Corniche, à destination principale des habitants, est un exemple d’aménagement en faveur des modes actifs réussi, qui crée un espace public très pratiqué. Elle reste cependant dédiée aux loisirs, et non aux déplacements fonctionnels. - Les transports en commun font l’objet d’une attention particulière. L’ampleur d’un projet comme le métro de Riyad a assurément vocation à servir avant tout le rayonnement international de la capitale saoudienne. Parallèlement, le système de bus de la ville est lui peu médiatisé, mais semble répondre efficacement à un besoin des habitants. Un développement similaire est en cours dans les deux autres villes visitées, Dammam et AlUla. - Aucune réflexion n’est enclenchée sur l’aviation. Comme pour les autres pays du monde, les solutions techniques priment sur la réduction des vols. Au contraire, le développement du tourisme devrait largement augmenter la demande à la fois pour les vols internationaux et les vols domestiques, le tourisme local étant un levier revendiqué dans un projet comme AlUla. Le train n’est pas considéré comme une alternative à l’avion, mais plutôt comme un concurrent de l’automobile. ---------Remerciements :
Nous souhaitons remercier toutes les personnes que nous avons rencontrées et qui ont permis la réussite de ce voyage. Nous tenons particulièrement à remercier, de manière non exhaustive :- Sheikh Hamad bin Majed Alowaishiq de la Youth Saudi Socity ;
- La société saoudienne de chemin de fer, Saudi Arabia Railway-SAR ;
- La compagnie de métro de Riyad : Capital Metro Compagnie – CAMCO et la RatpDev de Riyad ;
- L’autorité organisatrice de la région Est de Dammam, Al Sharkiya ;
- L’agence française pour le développement d’AlUla, AfAlula ;
- Le service économique de l’ambassade de France à Riyad ;
- EGIS Riyad ;
- Systra AlUla ;
- Prof. Nedal Taisir Al-Ratrout de King Fahd University of Petroleum and Minerals (KFUPM de Dahran) et son équipe ;
- Le département des transports et d’ingénierie du trafic de Imam Abdullrahman University de Dammam et particulièrement : Dr. Abdulhamid Al-Mojil coordinateur (Saudi Aramco Chair for traffic safety), Dr. Sami Abdulla Khair (Department head, Transportation and Traffic Engineering, IAU) et Muhammad A. Dalhat, ainsi que les membres du département ayant participé aux discussions.
- Dr. Mohamed Ezzat Al-Atroush de Prince Sultan University de Riyad
- Dr. Imran Reza, de University of Wyoming, USA, ancien chercheur de IAU et de KFUPM ;
- Green Riyad.
Références :
Almatar, K.M. Transit-Oriented Development in Saudi Arabia: Riyadh as a Case Study. Sustainability 2022, 14, 16129. https://doi.org/10.3390/su142316129 Al-Rashidn, M., and al (2020) Gender-Responsive Public Transportation in the Dammam Metropolitan Region, Saudi Arabia, Sustainability. Badawi, Samaa, and Alshimaa Aboelmakarem Farag. 2021. "Young Saudi Women's travel behavior change over 2015/2020." Journal of Transport & Health 21: 101080. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.jth.2021.101080 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214140521001109 Ménoret, P. (2014). Joyriding in Riyadh: Oil, Urbanism, and Road Revolt, Cambridge University Press : Cambridge. Omar Alotaibi & Dimitris Potoglou (2018) Introducing public transport and relevant stratégies in Riyadh City, Saudi Arabia: a stakeholders’ perspective, Urban, Planning and Transport Research, 6:1, 35-53, DOI: 10.1080/21650020.2018.1463867 Sultan, B., I. M. Katar, and M. E. Al-Atroush. 2021. "Towards sustainable pedestrian mobility in Riyadh city, Saudi Arabia: A case study." Sustainable Cities and Society 69: 102831. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.scs.2021.102831. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2210670721001219 Tesoriere, G. & Errigo, M. F. (2018). Urban travel behavior determinants in Saudi Arabia. Tema Journal of Land Use, Mobility and Environment. 31-46. doi: http://dx.doi.org/10.6092/1970-9870/5449 Vision 2030 : https://www.vision2030.gov.sa/en Youssef, Z.; Alshuwaikhat, H.; Reza, I.Modeling theModal Shift towards a More Sustainable Transport by Stated Preference in Riyadh, Saudi Arabia. Sustainability 2021, 13, 337. https://doi.org/10.3390/su13010337 Portail statistique de l’Arabie Saoudite : https://portal.saudicensus.sa/portal Commission Royale de la ville de Riyad : https://www.rcrc.gov.sa/en/ Master Plan de AlUla, « Journey throudh time Masterplan”: https://ucl.rcu.gov.sa/ [^1]: Pour la France, voir notre recherche sur les livreurs à vélo : https://forumviesmobiles.org/recherches/13524/etre-livreur-velo-passion-ou-exploitation [^2]: https://forumviesmobiles.org/carnets-des-suds/13481/se-mouvoir-sarreter-safficher-dans-lespace-public-les-strategies-de-mobilite-des-algeroises [^3]: Société nationale de production de pétrole. Première dans le monde.Activer
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