EVOLMOB - Évolution du rapport des jeunes à la voiture
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I. La recherche
Alors que le nombre global de détenteurs du permis de conduire n’a jamais cessé d’augmenter au sein des pays de l’OCDE, on constate une rupture chez les jeunes depuis les années 2000. Dans la plupart des pays de l’OCDE (Japon, Etats-Unis, Suède, Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis, Australie, Canada, France, …)[^1], les jeunes de 30 ans et moins sont moins nombreux à passer le permis de conduire que leurs homologues 10 ou 20 ans plus tôt. Plusieurs hypothèses explicatives ont été avancées : tandis que certains chercheurs[^2] mettent en avant des facteurs économiques comme le renchérissement des carburants ou les effets de la crise économique sur le pouvoir d’achat, d’autres privilégient des facteurs culturels. Ils suggèrent que la voiture a été remplacée par le Smartphone comme symbole et vecteur de liberté pour les jeunes[^3]. <br /><br /> EVOLMOB visait à comprendre les raisons et les conséquences du moindre passage du permis de conduire chez les jeunes en France et au Canada. Quel rapport les jeunes entretiennent-ils aujourd’hui à l’automobile? Quels sont les ressorts des évolutions observées dans ces contextes économiques, géographiques et sociaux différents ? <br /><br /> L’enquête a été menée par des chercheurs issus de trois institutions : le LAET-Laboratoire Aménagement Économie Transports (France), l’Ecole Polytechnique de Montréal (Canada) et l’Institut National de la Recherche Scientifique (Canada). Le Forum Vies Mobiles est à l’initiative du volet qualitatif de la recherche. Les jeunes interrogés, âgés de 16 à 35 ans, présentent divers profils sociaux (situation professionnelle ou étudiante, niveau de revenus, genre, situation familiale) et territoriaux (zone d’habitat urbaine ou périurbaine de Lyon et Montréal) . Le volet quantitatif s’est appuyé sur les enquêtes ménages - déplacements les plus récentes des agglomérations de Lyon[^4], Grenoble et Montréal (volet en partie financé par le programme interministériel PREDIT). Le croisement de méthodes quantitatives et qualitatives a permis de brosser un tableau du rapport des jeunes à la voiture aujourd’hui. <br /><br /> Ce projet s’inscrit dans le premier axe de recherche du Forum Vies Mobiles : Comprendre : entre vies mobiles et immobiles : comment habite-t-on la mobilité aujourd’hui ? <br /> La recherche, qui a débuté en mars 2014, a fourni ses résultats début 2016. <br /><br />
II. Les résultats
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1.Passage du permis de conduire : un retournement de tendance
<br /><br /> Après des décennies de diffusion croissante du permis de conduire chez les hommes puis chez les femmes, on assiste en France à une baisse du taux de détention du permis de conduire chez les jeunes : - 9% chez les 18-30 ans entre 1993 et 2008[^5]. Cette baisse est particulièrement notable chez les jeunes de moins de 25 ans. <br /><br />
- À Lyon (1995 - 2006) : Baisse de 2% la part des des détenteurs du permis chez les 18-24 ans (on passe de 65 à 64%), léger tassement chez les 25-29 ans (baisse d’un peu moins de 1%). La baisse concerne avant tout les jeunes habitant dans la ville-centre (baisse de 4% pour les 18-24 ans).
- À Grenoble (2002 - 2010), les données sont plus récentes et la tendance semble s’amplifier : Baisse de 10% des détenteurs du permis chez les hommes de 18-25 ans. La part de détenteurs du permis passe de 81 à 73%.
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À Lyon (1995 – 2006), part des ménages non équipés : +20% chez les 18-24 ans (on passe de 20 à 24% de ménages non équipés), +67 % chez les 25-29 ans (on passe de 12 à 19%) et + 46% chez les 30-34 ans (de 11 à 16%).
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À Grenoble (2002 – 2010), part des ménages non équipés chez les 16-34 ans : + 46 %. On passe de 11 à 16% de ménages non équipés. <br /><br />
3. Un usage de la voiture qui recule au profit des transports en commun et du vélo
<br /><br /> En France, on assiste à une baisse des déplacements en voiture de 10%, tous âges confondus[^6]. Ce phénomène est particulièrement marqué chez les jeunes. <br /><br />
- À Lyon (1995 – 2006) : Baisse de 16 % du nombre de déplacements réalisés en automobile comme conducteur tous âges confondus Cette baisse s’étend aussi au nombre de déplacements comme passager d’une voiture.
- À Grenoble (2002 – 2010) : Baisse de 18 % du nombre de déplacements tous âges confondus.
L’étude que viennent de publier l’ObSoCo et Chronos[^7] rappelle que la voiture reste très utilisée par les 16-34 ans : à l’échelle de la France, 50% des 18-24 ans et 64% des 25-34 ans ont recours à la voiture quasi quotidiennement. Pour la majorité des 18-34 ans, posséder une automobile reste la meilleure formule (devant la location, l’autopartage ou encore le fait de se passer complètement de voiture). Pour autant, la recherche EVOLMOB montre que la voiture occupe une place moindre pour les 18-34 ans que pour les générations précédentes au même âge, en particulier pour les jeunes urbains. Elle met en évidence une rupture de tendance : le passage du permis, l’acquisition d’une voiture et son utilisation par les jeunes baissent pour la première fois depuis plusieurs décennies. Il s’agit là d’une rupture historique ! Plus encore, le volet qualitatif de la recherche montre que la voiture a bel et bien perdu de sa superbe : elle ne fait plus rêver. <br /><br /> <br /><br />
4. Un changement profond du rapport à la voiture chez les jeunes
<br /><br /> La baisse du passage du permis chez les jeunes traduit un changement profond du rapport à l’automobile. Les facteurs économiques jouent un rôle : en France particulièrement, le coût du permis de conduire est un facteur limitant son passage ; l’acquisition d’une voiture, son utilisation et son entretien sont rendus plus difficiles dans un contexte économique relativement tendu. Mais les évolutions mises en évidence ne sont pas uniquement une réponse à des problèmes conjoncturels de financement : les baisses les plus fortes (à Lyon et Grenoble) concernent en premier lieu ceux dont les revenus sont les plus bas, mais également les plus diplômés, ceux dont les revenus sont les plus élevés. <br /><br /> Il apparaît que pour les jeunes interrogés, le passage du permis de conduire et l’acquisition d’une voiture perdent leur statut de rite de passage à l’âge adulte[^8] et de vecteur d’autonomie (excepté pour certaines jeunes femmes d’origine modeste qui les considèrent comme un outil d’émancipation). D'autres expériences comme les voyages à l’étranger tendent à jouer ce rôle. <br /><br /> Désormais, le permis est avant tout vu comme une compétence, un diplôme, qu’il est utile d’avoir – à indiquer sur le CV par exemple - mais qu’on n’utilise pas forcément, surtout quand on habite en centre-ville où les alternatives sont nombreuses pour se déplacer. On passe le permis quand on en a le temps et les moyens, la priorité étant généralement donnée aux études. <br /><br /> « Passer le permis, mes parents ne m’y ont pas poussé, ils me l’ont imposé. Ils m’ont dit que c’était nécessaire pour plus tard, que le jour où j’en aurais besoin, je l’aurais. » (Tiana, 23 ans) <br /><br /> De moins en moins utilisée de manière automatique et exclusive, la voiture est intégrée à un panel de solutions de mobilité entre lesquelles les jeunes font des arbitrages. Les résultats des investigations quantitatives et qualitatives convergent pour mettre en évidence un « découplage » entre détention du permis et de voiture, d’une part et conduite d’un véhicule au quotidien, d’autre part. L’importance de l’offre de transport en commun et dans une moindre mesure, des services de mobilité (vélos en libre-service…) influence le choix du mode de déplacement. <br /><br /> « On devient autonome en comprenant tout ce qui peut exister comme moyens de transport, parce qu’on sait mieux les utiliser". » (Marc, 32 ans) <br /><br /> Cette tendance, si elle se confirme, serait porteuse de profondes transformations de la mobilité dans les années à venir. <br /><br /> La plupart des jeunes font preuve d’une conscience écologique - nourrie par les enseignements sur l’écologie à l’école - qui se traduit par une mise en avant de l’impact environnemental de l’utilisation de la voiture (pollution). Rares sont les jeunes qui font de l’écologie un déterminant de leurs pratiques de déplacement, mais cela peut conforter des choix en faveur des transports collectifs ou des modes actifs (vélo, marche). En revanche, rien dans l'étude ne vient étayer l’hypothèse d’un rôle des TIC (technologies de l’information et de la communication) dans l’évolution du rapport des jeunes à l’automobile. <br /><br /> En conclusion, la voiture ne fait plus tellement rêver. Vue avant tout comme un objet fonctionnel par les jeunes interrogés, elle est peu investie comme symbole de réussite sociale. Elle est même de plus en plus perçue comme une contrainte en centre-ville (coûteuse, difficile à garer…). <br /><br /> « C’est horrible de conduire en ville ! Il faut trouver une place, tout est payant… c’est plus une contrainte qu’autre chose. Pour moi, ce n’est pas l’indépendance la voiture, en fait. » (Anaïs, 22 ans) <br /><br /> Cette tendance semble s’amorcer également en dehors des villes-centres mais plus discrètement, certainement en raison d’une offre de transport moins importante, qui rend l’usage de la voiture souvent incontournable. <br /><br />
5. Les documents et rapports
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- Rapport quantitatif – Grenoble [[{"type":"media","fid":"2745","attributes":{"width":"445","height":"437","typeof":"foaf:Image"},"view_mode":"default"}]]
<br /><br />
- Rapport quantitatif – Lyon – PREDIT [[{"type":"media","fid":"2748","attributes":{"width":"424","height":"466","typeof":"foaf:Image"},"view_mode":"default"}]]
<br /><br />
- Rapport qualitatif [[{"type":"media","fid":"2747","attributes":{"width":"444","height":"482","typeof":"foaf:Image"},"view_mode":"default"}]]
<br /><br />
- Diaporama – Synthèse des résultats [[{"type":"media","fid":"2749","attributes":{"width":"485","height":"274","typeof":"foaf:Image"},"view_mode":"default"}]]
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III. Actualité de la recherche
<br /> Un article a paru dans la revue Espacetemps.net : [https://www.espacestemps.net/articles/je-taime-moi-non-plus/](https://www.espacestemps.net/articles/je-taime-moi-non-plus/) <!-- Notes -->[^1]: Source : « Causes of Youth Licensing Decline : A Synthesis of Evidence”, Alexa Delbosc & Graham Currie, Transport Reviews, 2013 [^2]: Source : Idem [^3]: Source : A New Direction: Our Changing Relationship with Driving and the Implications for America’s Future, Tony Dutzik and Phineas Baxandall, 2013. [^4]: Une nouvelle enquête ménage déplacement a été réalisée à Lyon en 2015. Elle est en cours de dépouillage. [^5]: Source : "Automobile et stratification sociale. Diffusion, caractéristiques et coûts de l'équipement automobile en France depuis les années 1980." Yoann Demoli, 2015 [^6]: http://www.smtc-grenoble.org/emd-2010-des-resultats-tres-encourageants. [^7]: Étude sur les pratiques et attitudes de déplacement des 18-70 ans (deuxième vague de l’Observatoire des mobilités émergentes). [^8]: En effet, le permis de conduire a longtemps été décrit comme un rite de passage vers l’âge adulte : Mauger G. et Fosse-Poliak C. (1983), « Les loubards », Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°50, pp. 49-67. ; Gossiaux J-F. (1992) Avoir seize ans dans les Ardennes, Paris, Éditions du comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) ; Pervanchon M. (1999), Du monde de la voiture au monde social : conduire et se conduire, Paris, L’Harmattan ; Masclet O. (2002), « Passer le permis de conduire : la fin de l’adolescence » in Rites et seuils, passages et continuités, Agora Débats/jeunesse, L’Harmattan, pp. 46-57.
Dans la plupart des pays de l’OCDE, l’usage de la voiture tend à baisser depuis le début des années 2000 et, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les jeunes passent moins le permis de conduire. La recherche visait à comprendre ce que cette tendance dessinait pour le futur. Pour ce faire, elle s’est intéressée de plus près aux comportements de déplacement des jeunes dans trois métropoles régionales en France et au Canada. Quel rapport les jeunes entretiennent-ils aujourd’hui à l’automobile dans ces territoires? Quels sont les ressorts des évolutions observées, dans deux contextes économiques, géographiques et sociaux différents?