Novembre 2015
Le tourisme lent est en train de gagner en importance à mesure qu’augmentent les inquiétudes suscitées par le changement climatique. Il se pourrait néanmoins que certaines formes de tourisme à faible émission de carbone soient déjà plus répandues qu’on ne l’admet actuellement.
La pratique du tourisme a changé au cours de l’histoire, reflétant les modifications de nos façons d’être dans le monde et de réfléchir sur lui. Le réchauffement climatique est l’un des grands enjeux environnementaux, politiques, et culturels de notre époque et il a affecté la manière dont certains groupes de personnes passent leurs vacances et les raisons qu’ils en donnent. Bien qu’il s’agisse d’un phénomène encore récent et relativement peu étudié, la littérature de voyages peut offrir des aperçus intéressants sur les aspects éthiques et esthétiques émergents des vacances à faible émission de carbone. Le livre de l’écologiste Ed Gillespie, Only Planet, donne un bon exemple récent d’un récit de voyage sur le tourisme lent.
À strictement parler, le voyage lent n’est pas quelque chose d’entièrement nouveau. Quand Gillespie écrit qu’il « voulait faire l’expérience des transitions intimes entre le paysage, la culture, les personnes et le langage, absorber les images, les sons et les odeurs du voyage au lieu de se contenter de parcourir le monde en faisant des sauts de lapin dans une saucisse en aluminium », ses sentiments font écho à des préoccupations et des impressions que l’on trouve sans cesse exprimées dans l’histoire du tourisme moderne.
Ces sentiments historiques ont aujourd’hui donné naissance à des styles variés de tourisme généralement qualifiés d’« alternatifs » et d’« éthiques ». Il n’est pas surprenant que le tourisme lent leur soit habituellement associé, ou qu’il en soit même considéré comme une version raffinée ou plus sophistiquée. Only Planet se lit comme l’aventure d’un globe-trotter où les trajets en avion sont remplacés par de longs voyages en trains et en navire. Le public auquel est implicitement destiné ce livre est composé de jeunes Britanniques soucieux de l’environnement, pour qui voir le monde est un élément essentiel de leur identité, un rite de passage. À cet égard, le livre fonctionne bien. Eu égard au fait que beaucoup de gens soucieux de l’environnement sont réticents à renoncer aux destinations lointaines pour leurs vacances, il s’agit ici d’une publication bienvenue.
Malgré cela, cette caractérisation du voyage lent me gêne à cause de l’hypothèse implicite que ce type de voyage prend sens seulement s’il est conforme à un mode imposé d’esthétique environnementale. Dans cette perspective, il rend ses partisans aveugles à des formes de tourisme qui n’impliquent, par exemple, qu’un court trajet, voire aux nombreuses personnes qui ne voyagent tout simplement pas et dont l’empreinte carbone est donc la plus faible à cet égard.
Le fait que ces écrits universitaires et journalistiques sur le tourisme et l’environnement aient peu à dire à ce propos s’explique en partie par le présupposé que voyager doit être une expérience enrichissante, impliquant de découvrir du nouveau et de faire l’expérience des différences culturelles. Ceux qui voyagent volontairement moins ou dont les vacances se concentrent sur ce qui est familier sont dépeints comme des sédentaires, des gens peu ouverts à la nouveauté. Cette conception persistante du tourisme néglige la diversité de ses formes en Europe ou ailleurs et ignore que certaines d’entre elles sont déjà de faible émission de carbone ou peuvent le devenir.
Les stations balnéaires espagnoles sont un bon exemple de lieux où les vacances se concentrent sur ce qui est familier. Il ne s’agit pas en cela de consommer des services et de fréquenter des lieux faciles à reconnaître instantanément n’importe où (comme de manger dans un McDonald), mais plutôt de donner des connotations positives à ce qui est familier, sous forme d’une nouvelle rencontre de lieux et de personnes. Cela implique le développement et la reproduction des réseaux d’amitiés et des relations familiales, un attachement à certains lieux et l’entretien de souvenirs d’enfance. Ceux qui pratiquent cette forme de tourisme, souvent connue sous le nom de veraneo (« villégiature »), décrivent leurs vacances de différentes manières, qui impliquent entre autres un sentiment d’appartenance (« Ici, on est chez nous »), les retrouvailles d’amis et de parents (« C’est un endroit que nous connaissons bien », « Nous formons une grande famille »), un temps qui se vit au ralenti (« Je viens ici pour ne rien faire ») et l’éloge du plaisir et de la santé que donne le plein air (« La mer, c’est un bain de jouvence »).
Mon but n’est pas d’attribuer un charme romantique aux stations balnéaires méditerranéennes. Il s’agit plutôt de mettre en évidence la variété des récits et des pratiques qui caractérisent la façon dont les gens vivent les lieux et rencontrent d’autres personnes pendant leurs vacances. L’élément essentiel à ce propos est que ces formes de vacances impliquent souvent de très faibles émissions de carbone (dans la plupart des stations balnéaires, les touristes viennent de la même région, ou d’une région avoisinante, et, une fois parvenus à destination, ils utilisent rarement leur voiture, accomplissant leurs trajets quotidiens beaucoup plus souvent à pied).
Si l’on adoptait une définition plus large du tourisme lent, reposant sur une estimation des émissions de carbone, on constaterait qu’il est déjà bien plus répandu qu’on ne l’admet communément. Il est pratiqué par de nombreuses personnes, même si elles n’en ont pas conscience. Ces formes de tourisme lent sont rarement décrites comme excitantes, aventureuses ou instructives, bien que ces aspects puissent en faire partie. Dans ces voyages plus courts, l’important est d’apprécier ce que l’on considère comme des plaisirs simples.
Le livre de Gillespie est important parce qu’il montre aux voyageurs potentiels qu’il est possible de partir au loin sans être dépendant de l’avion. Il faut néanmoins rappeler la réelle diversité qui existe dans les façons de passer ses vacances. Une réévaluation de la variété des cultures du tourisme en Europe devrait permettre d’élaborer des récits positifs pour décrire les pratiques et les motivations de ceux qui voyagent moins, ou dont les habitudes de voyage sont faibles en émissions de carbone.
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