Should we advocate for the compact city? Geographer Sébastien Munafò defends the indispensability of this model, particularly for its environmental qualities and the urbanity it fosters. Marc Pearce of the Mobile Lives Forum, on the other hand, feels it is crucial to consider, instead, many lifestyles in presence in city areas such as Geneva or Zurich and the diversity of living environments they require.
Urban sprawl is often criticized because of the important energy and resource expenditure associated with it, as well as the pollution produced during the long daily commutes of peri-urban inhabitants. However, the virtuous nature of dense, compact cities (from a mobility standpoint) is also challenged by the idea that such density fosters in residents the need to escape for weekends or during vacations, by plane or car, thereby creating externalities identical to those associated with the daily commute practices observed in peri-urban areas.
J.-P. Orfeuil and D. Soleyret’s hypothesis of compensatory travel – also known as the “barbecue effect” – refers to the fact that, on weekends, peri-urban residents are able to have barbecues in their gardens, while many urban dwellers seek to escape their living environment, traveling long distances by plane, train or car to get closer to nature.
In his doctoral thesis, S. Munafò analyzed leisure mobility in Switzerland, cross-comparing contextual, quantitative and qualitative analyses. His work shows that the travel habits of inner city dwellers and those of peri-urban residents do not greatly differ when we consider travel over an entire year (i.e. including weekends and holidays), and not just daily mobility. He also noted that truly compensatory leisure mobility was rare: though inner city residents do travel farther and more frequently for leisure purposes, this travel is not necessarily driven by the desire to escape from their dense urban environment. Weekends spent visiting other cities are an example of this.
Sébastien Munafò concluded from these observations that families choose a living environment that suits their lifestyles and therefore do not feel the need to escape from them. He also concluded that specific characteristics of living environments give rise to certain lifestyles rather than others. This also applies to public transport: the better the quality of the service, the less likely people are to use their cars or nearby airports, which incites longer-distance leisure travel.
However, if there is no clear relationship between dense living environments and occasional leisure mobility – considering that dense cities do not generate less travel on an annual basis – the soundness of the compact city is therefore put into question. This question is crucial insofar as energy overconsumption and pollution are two of the principle arguments against urban sprawl. This is a key issue for regional development.
In the following debate, Sébastien Munafò will defend the idea that the compact city remains an indispensable model, especially in terms of the wealth of amenities it offers; whereas Marc Pearce of the Mobile Lives Forum will defend the argument that it is imperative to consider the many lifestyles in presence in city areas such as Geneva or Zurich and the diversity of living environments they require.
To go further
ORFEUIL, J.-P., SOLEYRET, D. (2002). Quelles interactions entre les marchés de la mobilité à courte et longue distance ? Recherche Transport Sécurité n°76. Inrets.
MUNAFÒ, S. (2015). Cadres de vie, modes de vie et mobilités de loisirs : les vertus de la ville compacte remises en cause ? EPFL, Lausanne, 2015.
For the Mobile Lives Forum, mobility is understood as the process of how individuals travel across distances in order to deploy through time and space the activities that make up their lifestyles. These travel practices are embedded in socio-technical systems, produced by transport and communication industries and techniques, and by normative discourses on these practices, with considerable social, environmental and spatial impacts.
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Les résultats de la recherche que j’ai menée en Suisse, en particulier sur les agglomérations de Genève et Zurich (Munafò, 2015), invitent à rejeter l’hypothèse de "l’effet barbecue". Cet effet, tel qu’il a été formulé, relève plutôt d’une interprétation trop rapide des mécanismes explicatifs des mobilités occasionnelles très importantes constatées chez les urbains centraux. Une interprétation qui débouche malheureusement sur des recommandations opérationnelles potentiellement néfastes puisqu’elles tendent à rejeter en partie la ville compacte en tant que forme urbaine vertueuse en matière de mobilité.
Alors que nos données mettent bien en évidence le lien connu entre une mobilité quotidienne peu intense en kilomètres et une densité élevée, elles montrent une logique inverse pour la mobilité occasionnelle (voyages d’une journée et voyages avec nuitées). Pour ce type de mobilité, plus la densité du territoire de résidence augmente, plus les kilomètres parcourus par personne augmentent également. Dans les parties les plus denses du pays, c’est-à-dire parmi les habitants des centres-villes, cette mobilité va même jusqu’à représenter des distances plus importantes que la mobilité considérée comme quotidienne et cette tendance persiste lorsque l’on fixe les critères socio-démographiques, tels que le revenu ou la formation. Ces résultats invitent donc à requestionner fondamentalement le lien ville compacte = courtes distances. Cette équation, valable pour la mobilité quotidienne, disparaît voir s’inverse quand on considère la mobilité totale réalisée par les uns et les autres à l’échelle annuelle.
Figure n° 1 : Distances moyennes parcourues par personne dans le cadre de la mobilité quotidienne et occasionnelle en fonction de la classe de densité d’activité humaine (emplois + habitants) par surface bâtie (classe d’égale amplitude).
C’est bien ce phénomène de mobilité occasionnelle importante chez les urbains centraux qu’observent les principales recherches menées à grande échelle sur le sujet. Il est ainsi bien montré par Orfeuil et Soleyret (2002) à propos des interactions entre mobilités de courtes et longues distances lorsqu’ils pointent « la surmobilité francilienne à longue distance » (Ibid., p. 202). C’est également lui qui constitue le cœur des résultats mis en exergue par Holden et Norland, deux chercheurs norvégiens (2005, p.2159) qui suggèrent l’existence d’une courbe inverse à celle de Newman & Kenworthy (19881) en observant les distances parcourues en avion par les urbains ou encore ceux de la recherche menée en Ile-de-France et à Rome par l’équipe 6t/LaTTS (2011) et par Hélène Nessi (2012) dans sa thèse.
En réalité si ce phénomène est, de prime abord effectivement surprenant, les mécanismes à l’œuvre pour l’expliquer – une compensation par la mobilité d’un manque d’espaces favorables à la détente chez les urbains centraux – ne sont pas vérifiés.
Tout d’abord, on considère souvent à tort la mobilité occasionnelle comme relevant uniquement de la mobilité de loisirs. Or, les déplacements professionnels, l’accompagnement ou les achats représentent une part très conséquente de celle-ci et cette part tend, par ailleurs, aussi à croître avec la densité. Plus le territoire est dense, plus les habitants se caractérisent par des activités professionnelles impliquant des voyages plus ou moins lointains et une mobilité réalisée avec les moyens de transport à longue distance (notamment le train et l’avion). Un résultat clairement en lien avec les structures économiques des territoires à dominante urbaine, caractérisés par une économie orientée vers les services et l’information et particulièrement connectée à l’échelle internationale (Ascher, 1995 ; Sassen, 1991).
À l’inverse, nous retrouvons fréquemment le raccourci qui considère la mobilité de loisirs comme relevant uniquement de l’occasionnel. En réalité, notre temps libre et nos mobilités de loisirs s’inscrivent d’abord largement dans nos routines quotidiennes et hebdomadaires. La plupart des activités pratiquées lors du week-end ne se distinguent d’ailleurs pas d’une certaine routine et des habitudes développées par les citadins durant la semaine. En raison de l’importance des loisirs au quotidien, les préférences et les aspirations des citadins en la matière font partie intégrante de leurs stratégies résidentielles. On choisit le centre-ville comme lieu de résidence aussi parce que le barbecue ne constitue pas son loisir préféré, du moins pas celui que l’on souhaite inscrire prioritairement dans nos routines. À l’inverse, choisir un cadre de vie verdoyant est lié à l’envie d’en profiter un maximum au quotidien.
Autre raccourci qui imprègne souvent les études menées sur le sujet : parmi les loisirs, tous ne relèvent pas d’une recherche spécifique de nature, de calme ou de plein air. Une grande partie de nos mobilités de loisirs est d’abord réalisée en vue d’entretenir des liens sociaux, rendre visite à nos familles, fréquenter les bars, les restaurants ou encore, profiter d’aménités culturelles. Autant d’activités qui ne sont pas fondamentalement liées à des espaces naturels. Ces activités, que j’ai appelées « compactophiles », donnent aux localisations urbaines centrales le même avantage de proximité que pour d’autres activités contraintes, telles que le travail ou les achats. Cette logique « compactophile » s’oppose ainsi à celle naturophile qui est sous-entendue par l’hypothèse de compensation et qui donne aux habitants des cadres de vie moins denses et un avantage comparatif de localisation.
Les résultats de ma recherche montrent clairement que la logique de compensation qui voudrait que les urbains centraux soient de plus grands consommateurs de mobilité naturophile ne se vérifie pas. Lorsqu’il s’agit de mobilités quotidiennes et ancrées dans les routines, nos résultats montrent surtout l’importance de la logique de proximité. Jouant un rôle central dans les choix résidentiels des citadins, les types de loisirs qu’ils affectionnent ponctuent logiquement leurs modes de vie et se déploient dans les environnements qu’ils ont choisis en grande partie aussi pour cela. Nos données indiquent qu’habiter au centre est ainsi corrélé à davantage de loisirs « compactophiles » (profiter du restaurant au coin de la rue) et résider en périphérie à des loisirs plus orientés vers les attributs de la nature et du plein air (le fameux barbecue ou la balade dans la forêt à proximité).
En ce qui concerne la mobilité occasionnelle, nous constatons que le lien avec la densité n’est pas vérifié non plus. L’enquête qualitative menée à Genève et Zurich a permis de montrer que la motivation des urbains centraux à parcourir d’importantes distances durant leur temps libre, même pour se rendre en pleine nature (motif naturophile), ne relève aucunement d’un besoin de compensation et de fuite des contextes urbains denses pour profiter d’environnements plus favorables. Par ailleurs, on montre aussi, chez les périurbains, un goût très prononcé pour des déplacements longs vers des environnements calmes et verdoyants dont on suppose qu’ils devraient davantage profiter autour de leur domicile. En d’autres termes, leur cadre de vie ne semble aucunement les sédentariser plus que d’autres types de citadins.
Comme souligné plus haut, les citadins arbitrent pour une localisation résidentielle aussi en fonction des activités de loisirs qu’ils favorisent : habiter au centre-ville c’est apprécier l’intensité urbaine tout comme habiter en bordure de l’espace rural c’est aimer les attributs de ce type de territoire. Ces goûts se traduisent ensuite par des activités et déplacements de loisirs spécifiques. Les deux types de citadins se déplacent alors aussi sur de longues distances pour profiter d’aménités qu’ils apprécient au quotidien dans leur environnement résidentiel proche. Peu importe que ces derniers aient un jardin ou non à disposition, qu’ils habitent dans un quartier dense très animé ou un quartier de pavillons très calme. Les réelles différences dans ce domaine opposent en réalité les habitants des agglomérations, tous géotypes confondus, et les habitants d’espaces ruraux et périphériques bien moins mobiles pour ces motifs. S’il faut donc voir un effet dans les parts croissantes des mobilités occasionnelles en fonction de la densité du territoire de résidence, c’est donc d’abord d’un effet d’urbanité2 des modes de vie qu’il s’agit et pas d’un quelconque "effet barbecue".
Si certains périurbains peuvent effectivement rester chez eux pour profiter d’un barbecue entre amis alors que les urbains centraux doivent se déplacer au moins jusqu’au prochain parc pour le faire, cette différence de mobilité concerne finalement des distances faibles et des occasions assez peu fréquentes en regard de toutes les fois où le périurbain se voit contraint de se déplacer vers la ville pour son travail ou ses loisirs. En outre, même s’il bénéficie d’un magnifique jardin, il est rare que le résident périurbain en question y passe toutes ses vacances, et ce sont précisément ces mobilités occasionnelles qui pèsent le plus lourd en termes de consommation énergétique. Non seulement ces mobilités sont motivées par des logiques indépendantes des cadres de vie (comme souligné ci-dessus), mais elles sont aussi moins énergivores chez les habitants des centres-villes, ceci principalement en raison de leur utilisation de moyens de transport moins consommateurs d’énergie (train et avion vs. voiture chez les périurbains). À l’échelle suisse, la courbe de consommation énergétique totale pour la mobilité associée à la densité ne s’inverse pas et montre toujours un lien très clairement négatif en terme d’énergie consommée : les plus grands consommateurs restent les habitants des territoires périurbains ou ruraux.
La discussion entre une interprétation des mécanismes à l’origine de la mobilité occasionnelle importante des urbains selon l’hypothèse de compensation ou selon l’urbanité des modes de vie que je propose ne pourrait relever que d’un débat interprétatif théorique finalement sans grand intérêt si elle ne débouchait pas sur des conclusions et recommandations opérationnelles opposées et dont les enjeux sont, eux, cruciaux.
Aujourd’hui, l’hypothèse de l’ « effet barbecue », même si elle a été avancée prudemment par les principaux auteurs qui l’ont abordée, donne un argument séduisant pour critiquer la densité urbaine. Malgré ses faiblesses, il est ainsi très fréquemment cité par celles et ceux qui militent pour la ville-nature, voire pour réhabiliter les formes périurbaines ou étalées, jusque-là unanimement critiquées. Soutenir l’hypothèse de compensation va donc de pair avec l’idée d’une densité moindre qu’il s’agirait de favoriser. Tous nos résultats invitent cependant à s’éloigner définitivement de ce type de posture dont les recommandations sont potentiellement néfastes et à réaffirmer, face à cela, les vertus de la ville compacte. Les avantages de proximités et d’accessibilités que cette forme urbaine procure pour une grande partie des loisirs (les « compactophiles ») s’ajoutent, en effet à ceux qu’elle peut offrir pour les activités fonctionnelles plus contraintes (lieux de travail, équipements, commerces et services). Face à cela, les avantages comparatifs des cadres de vie moins denses, s’ils sont bien réels pour certains loisirs naturophiles quotidiens, ne sédentarisent pas pour autant leurs habitants pour les loisirs occasionnels. Ces avantages apparaissent donc plus que légers en termes de mobilité.
Dans ce débat, il s’agit aussi de rappeler que le caractère durable des mobilités ne peut se résumer à la seule variable de dépense énergétique, comme invite à le faire l’hypothèse de « l’effet barbecue ». Si cette variable traduit très bien les enjeux majeurs de consommation de ressources non renouvelables et du réchauffement climatique à l’échelle globale, elle ne rend pas bien compte des enjeux plus locaux liés à la qualité de vie, tout aussi cruciaux. Si l’objectif est vraiment d’attribuer un caractère plus ou moins durable à la mobilité des différents types de citadins, il s’agit de prendre également en compte la génération de polluants atmosphériques, de bruit, d’accidents ou encore de la congestion liée à leurs déplacements. Or, dans ce domaine, l’utilisation plus importante des modes doux et des transports publics par les habitants des centres-villes, pour leur mobilité routinière comme occasionnelle, pour les mobilités contraintes comme pour leurs loisirs donne à leur mobilité un caractère bien moins nuisible que celle des résidents de territoires moins denses plus tournés vers la voiture. Et ceci, même s’ils prennent occasionnellement l’avion pour partir en vacances à la mer ou admirer une exposition à Berlin. Les résultats que nous avons obtenus concernant les émissions de particules fines, particulièrement nocives, ne laissent par exemple planer aucun doute sur les vertus de la compacité. Un simple regard porté sur cet indicateur et son lien avec la densité suffit ainsi pour enlever toute pertinence aux argumentaires des défenseurs des formes étalées ou du rurbain.
En outre, même si notre recherche n’avait pas pour but de les examiner, il s’agit de ne pas oublier, dans ce débat, les autres vertus attribuées à la ville compacte : consommation réduite du sol, optimisation de l’utilisation d’infrastructures et d’équipements collectifs, réduction des coûts d’urbanisation, stimulation de la sérendipité, des contacts informels, de l’innovation et de la production de richesses. Plus qu’une forme spatiale, elle est aussi une forme sociétale dont les avantages écologiques, économiques et sociaux sont nombreux. Dans ce sens, la ville compacte ne mérite pas d’être remise complètement en cause sous prétexte que la mobilité, les échanges et la diversité en sont constitutifs (urbanité) et qu’il y est peut-être moins aisé qu’ailleurs d’y faire un barbecue entre amis.
Nos résultats militent donc pour continuer à encourager la compacité urbaine dont les vertus en matière de mobilité sont confirmées. Bien entendu, souligner cet enseignement ne signifie pas pour autant que la politique d’aménagement du territoire doive désormais se résumer à contraindre tout un chacun à habiter des cœurs des villes ou des ensembles très densément bâtis. La diversité des aspirations en matière de cadres de vie doit absolument être prise en compte. La ville centre constitue un géotype bien particulier qui n’est pas recherché par un grand nombre de ménages qui préfèrent des logements plus grands, des environnements plus verts et calmes et/ou des sociabilités davantage basées sur l’interconnaissance. Et les formes suburbaines et périurbaines aux qualités propres peuvent répondre à ces aspirations. L’urbanisme des modes de vie, dont la philosophie est de créer pour chaque mode de vie l’environnement adéquat, n’est de loin pas à jeter. Ma recherche invite cependant à prendre conscience que les formes les moins denses restent davantage génératrices d’externalités négatives que les autres en termes de mobilité. Un des défis majeurs des urbanistes consiste donc aujourd’hui à pouvoir répondre à la grande diversité de la demande en matière de cadres de vie tout en réduisant certains des désavantages qu’ils peuvent générer. Cela peut par exemple passer par une politique visant à réduire la dépendance automobile dans les zones les moins denses et à favoriser une certaine compacité compatible avec des modes de vie périurbains.
Pour terminer et de manière plus générale, les conclusions de ma recherche invitent à s’éloigner de toute politique visant à sédentariser les citadins. C’est finalement bien ce genre de philosophie qui est sous-jacente dans les propos qui font de la ville-nature une solution aux enjeux de mobilité de demain. En réalité, la mobilité est inhérente à la ville et à l’urbanité, l’un ne va pas sans l’autre ! Il s’agit ainsi d’accepter qu’une grande partie des déplacements de loisirs occasionnels des citadins est d’abord réalisée en fonction de leurs aspirations profondes à entretenir des liens sociaux et à casser leurs routines en changeant temporairement d’espaces, de rythmes, de sociabilités, voire de normes. Tenter de les sédentariser en leur proposant un jardin semble un objectif bien vain, car beaucoup trop éloigné de leurs projets. Admettre cela ne signifie cependant pas pour autant rester passif face aux très nombreux enjeux globaux et locaux liés à notre mobilité. Cela suppose simplement une posture parfaitement consciente des ingrédients qui composent l’urbain et qui ne vise, dès lors, pas à les supprimer, mais à en réduire au mieux les effets néfastes.
6t ; LATTS. (2011). Incidences du “rapport au cadre de vie“ sur la mobilité de loisir. Rapport final pour le PUCA sous la direction de Nicolas Louvet. Paris : 6t bureau de recherche.
Ascher, F. (1995). Métapolis ou l’avenir des villes. Paris : Editions Odile Jacob.
Holden, E., & Norland, I. (2005). Three Challenges for the Compact City as a Sustainable Urban Form : Household Consumption of Energy and Transport in Eight Residential Areas in the Greater Oslo. Urban Studies, 42 (12).
Lévy, J. (2003). Urbanité (déf) in Lévy, J. & Lussault, M. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétes. Paris : Belin.
Munafò, S. (2015). Cadres de vie, modes de vie et mobilités de loisirs. Les vertus de la ville compacte remises en cause ? Thèse de doctorat. Lausanne : EPFL.
Nessi, H. (2012). Influences du contexte urbain et du rapport au cadre de vie sur la mobilité de loisir en Ile-de-France et à Rome. Thèse de doctorat sous la direction du directeur de Recherche Olivier Coutard. Marne-la-Vallée : Université Paris Est.
Newman, P. & Kenworthy, J. (1988). The transport energy trade-off : fuel-efficient traffic versus fuel-efficient cities. Transportation Research, 22A (3), 163-174.
Orfeuil, J-P. & Soleyret D. (2002). Quelles interactions entre les marchés de la mobilité à courte et longue distance ? Recherche Transport Sécurité, nº76, Inrets.
Sassen, S. (1991). The Global City: New York, London, Tokyo. Princeton: Princeton University Press.
1 Sur un échantillon de plus de 30 villes du monde, ces deux chercheurs australiens ont montré que, plus la densité est élevée plus la consommation de carburant pour automobile par habitant est faible. A l’inverse, plus la ville est étalée, plus elle est importante.
2 Nous entendons ici l’urbanité au sens de Jacques Lévy, à savoir une fonction de la densité et de la diversité des interactions sociales permises par la morphologie et les mixités fonctionnelles et sociales d’un espace (Lévy in Lévy & Lussault, 2003).
Le modèle de la ville compacte, défendu par Sébastien Munafò à l’issue de sa thèse, s’appuie sur le comportement présumé vertueux des habitants des centres-villes en matière de déplacements ainsi que sur la désirabilité de leur mode de vie.
Je contesterai ici cette préconisation, en revenant à la fois sur l’interprétation que fait l’auteur de ses données, sur la légitimité d’une généralisation de ses résultats à partir des seuls cas suisses et sur le cadre conceptuel dans lequel s’inscrit la recherche et dans lequel on dissocie la ville dans son ensemble de ses composantes centrales et périurbaines.
Je tenterai enfin de faire valoir la dimension politique de l’urbanisme, considérant que le modèle de la ville compacte ne peut répondre seul à la complexité des dynamiques à l’œuvre dans une ville et la diversité des attentes de ses habitants.
Dans sa thèse, Sébastien Munafò mobilise l’idée de compensation de deux manières différentes.
D’un côté il s’en sert pour désigner le souhait qu’auraient les habitants du centre-ville de fuir occasionnellement la ville afin de rejoindre la campagne. La question est alors de savoir si les citadins se déplacent occasionnellement pour compenser un mode de vie en ville considéré comme éreintant.
Pour y répondre, Sébastien Munafò s’intéresse aux motifs des déplacements occasionnels (ceux parcourus durant les week-ends et les vacances en particulier). Il distingue alors les motifs de déplacement dits naturophiles (randonnée en forêt, vacances à la plage, maison à la campagne, etc.) et les motifs « compactophiles » (visites urbaines, musées, terrasses de cafés, etc.). Il montre de cette manière que si, à Zurich, la majorité des déplacements des habitants du centre-ville sont effectués pour accéder à des activités proches de la nature, ce n’est pas le cas des habitants du centre de Genève qui privilégient les cafés et les musées.
À travers cette comparaison, Sébastien Munafò montre avec succès que les déplacements occasionnels correspondent avant tout à des attentes sociales et à une pluralité d’aspirations en matière de loisirs et de vacances, qui ne dépendent pas mécaniquement de la densité du cadre de vie dans lequel on vit. Il n’y a donc pas de logique de compensation qui anime les déplacements occasionnels des personnes vivants dans les centres-villes.
Mais Sébastien Munafò mobilise aussi l’idée de compensation pour comparer les gaz à effets de serre (GES) émis lors des déplacements effectués à l’année dans le périurbain et en ville centre.
Il existe un décalage entre les déplacements particulièrement émetteurs de CO2 effectués au quotidien par les habitants du périurbain (généralement effectués en voiture) et la sobriété des déplacements quotidiens des habitants du centre-ville (effectués à pieds, en vélo ou en transport en commun). Mais, si on prend en compte l’ensemble des déplacements effectués à l’année, à la fois au quotidien et durant les week-ends et les vacances, ce décalage persiste-t-il ?
Il n’est plus question de motifs mais bien de kilos de GES émis à l’année lors des déplacements. Il n’est plus question alors de comparer les modes de vie propres aux cadres de villes centraux à Genève et à Zurich mais surtout de comparer les modes de vie propres à chaque cadre de vie (centre, suburbain, périurbain) dans chacune des villes. Plutôt qu’une logique de compensation, il est question cette fois-ci du rattrapage d’un cadre de vie par un autre, en termes d’émissions de CO2.
Or, si elles sont comparables en termes de taille et de densité, les deux villes présentent d'importantes différences, tant en termes de pratiques de déplacement de leurs habitants que d’émission de GES. Et ce n'est que dans le cas de Zurich que les émissions de CO2 liées aux déplacements effectués à l'année sont significativement plus élevées dans le périurbain que dans les autres cadres de vie. À Genève, les émissions sont, elles, comparables d’un cadre de vie à l’autre. Comme le montre le graphique ci-dessous, les émissions liées aux déplacements effectués à l’année par les habitants du centre-ville de Zurich équivalent à 7/10e de celles relatives aux déplacements des habitants du périurbain, alors que pour Genève elles équivalent à 9/10e.
Dans le cas de Genève, le CO2 émis lors des importants déplacements occasionnels des habitants du centre « compensent » bien la sobriété de leurs déplacements quotidiens. Autrement dit, à l’année, les émissions de CO2 des genevois habitants en centre-ville rattrapent celles émises par les habitants du périurbain.
C'est un résultat important à souligner puisqu'il permet de montrer qu’en fin de compte, il n’y a pas de cadre de vie type plus vertueux qu’un autre en matière d’émissions CO2. De la même manière qu'elle ne permet pas de préjuger des motifs de déplacements occasionnels (comme le besoin de nature), la densité d’un cadre de vie, à elle seule, ne permet donc pas de déduire un schéma de déplacement qui, à l'année, serait forcément plus soutenable qu’un autre.
Ce constat exige qu’on précise les objectifs qu’on cherche à atteindre en termes de durabilité. Parce que, si le centre-ville zurichois est, sur le plan des déplacements, moins émetteur que son pourtour périurbain, il est tout aussi émetteur que le périurbain genevois.
Dès lors, si on considère comme Sébastien Munafò que la vie en ville centre à Zurich est suffisamment vertueuse, pourquoi fustiger la vie dans le périurbain genevois ? A contrario, faut-il repenser le cadre de vie urbain de Zurich et la manière dont se déploient sur un territoire plus large les activités de ses habitants ? Dans une perspective plus globale de lutte contre le réchauffement climatique et de réduction des GES, les déplacements des uns et des autres, pris à l'année, sont tout autant problématiques. Le centre-ville zurichois serait, par exemple, plus d'une fois et demi plus émetteur que le périurbain francilien (qui pourtant fait l'objet d'une large remise en question sur le plan environnemental) et deux fois et demi fois plus que le périurbain romain1.
D'ailleurs, si on classe les cadres de vie étudiés par Sébastien Munafò, des moins émetteurs aux plus émetteurs de CO2, on arrive à une classification qui est indépendante du critère de densité ou de centralité :
Au final, seul le suburbain genevois et le périurbain zurichois se démarquent des autres cadres de vie. La mobilité des habitants de ces derniers émettent autour de 2 500 kg d’équivalent C02 à l’année.
La thèse de Sébastien Munafò ne se contente pas de comparer les pratiques effectives de mobilité et leur impact carbone. Elle s’intéresse aussi aux choix résidentiels et aux parcours de vie des habitants de Genève et Zurich.
Sébastien Munafò montre que, dans des villes comme Zurich et Genève, les pratiques de déplacement dans le centre-ville ou dans le périurbain sont le résultat d’une articulation entre les aspirations des ménages et les caractéristiques fonctionnelles des cadres de vie dans lesquels ces ménages ont choisi de vivre. Autrement dit, les pratiques de déplacements résultent à la fois d’une demande de mode de vie et d’une offre de cadre de vie.
C’est dans les entretiens que Sébastien Munafò a conduits qu’on discerne le mieux cette articulation entre mode de vie et cadre de vie. Chacune des personnes interrogées se demande si le cadre de vie dans lequel elle s'apprête à déployer ses activités tout au long de l'année répond à ses attentes en termes de travail, de sociabilité, de proximité avec la famille et les amis, de déplacements quotidiens et, bien sûr, de loisirs et de vacances…
« Je suis venue à Genève pour les études. En fait, à Genève, j’ai toujours vécu au centre. J’ai d’abord vécu du côté de Carouge, avec des étudiants, aux Acacias et au Rondeau. […] Ces choix-là étaient assez clairs, on n’avait pas de voiture. L’idée c’était de rester au centre pour profiter des services. »
– Katia, 40 ans, Genève-Centre, Les Pâquis
« J’aime bien la ville, j’ai vécu au centre de plusieurs villes, des très grandes villes. Mais, en même temps, j’aime bien la campagne et la nature. Concilier ça, c’est pas facile. Ici pour moi c’est presque l’idéal. Parce que tu traverses la passerelle et tu es dans la rase campagne. C’est assez urbain, à 20 minutes en bus, tu es au centre »
– Yves, 50 ans, Genève-Suburbain, Vernier
« Sinon, on va beaucoup dans la forêt, que ce soit au bord du Rhône aussi la forêt. Ce qui est pratique c’est que tu peux vite partir faire une petite randonnée à vélo dans la campagne. Donc ça c’est chouette aussi. Non, vraiment les bois c’est assez apaisant. Les zones sauvages. »
– Laurent, 34 ans, Genève-Périurbain, Aire-la-Ville
Dans l’ensemble, les cadres de vie semblent correspondre aux attentes des habitants. Dès lors, il devient difficile de conclure, comme le fait Sébastien Munafò, que le cadre de vie offert par la ville centre puisse remplacer tous les autres.
L’enquête qualitative menée par Sébastien Munafò montre, par ailleurs, l’importance de la pluralité des cadres de vie pour répondre aux besoins des habitants au cours de leur existence. La notion de cycle de vie lui permet ici de mettre le doigt sur la manière dont les modes de vie s’articulent dans le temps avec les possibilités qu’offre le territoire. En effet, si les attentes et les aspirations des ménages donnent lieu à un mode de vie et au choix d’un cadre de vie correspondant, celles-ci peuvent changer avec le temps…
«Moi j’ai trouvé incroyable, l’argent qu’on avait dépensé pour payer le loyer jusque-là. [À Genève centre] Ça m’a fait une somme énorme et ça n’a donné rien. Alors quand on a eu l’occasion, on a entrepris les démarches pour faire les travaux ici et, en 1979, on est venu habiter ici. Et pour les enfants c’était chouette. Il y a le vallon de l’Allondon, il y a plein d’endroits magnifiques pour jouer. À Lancy, ils étaient un peu timides pour aller dehors. Mais ici, c’était autre chose.»
– Rose, 68 ans, Genève-Périurbain, Russin
« À Plainpalais, on avait tout. Que ce soit infrastructures, magasins, transports publics, médecins, écoles, activités […] Finalement, si je suis partie, c’est plus de par la situation familiale, avec l’arrivée successive des enfants. On a cherché plus grand, car on vivait toujours dans des appartements. »
– Vanessa, 45 ans, Genève-Suburbain, Vernier
« Moi j’aimerais retourner en Valais dans la maison familiale, mais revenir à Genève aussi. Ne pas rester tout le temps là-bas. Revenir pour mes petits-enfants. Avoir un petit pied à terre proche de la ville. »
– Françoise, 62 ans, Genève-Suburbain, Grand-Saconnex
Difficile dans ces circonstances, de considérer que le centre-ville de Genève ou de Zurich puissent se passer de leur pourtour périurbain, puisque les habitants du centre-ville eux-mêmes ne sauraient s’en contenter.
Lorsque Sébastien Munafò défend la ville compacte au motif que la qualité de vie en centre-ville serait de facto meilleure, il fait aussi abstraction de ce que certains interviewés expriment le point de vue inverse. C’est notamment le cas de ceux qui vivent en centre-ville…
« J’ai jamais trop aimé Paris, c’est une ville tout à fait désagréable, malgré le fait que j’aie des amis là-bas. On s’y déplace difficilement, les trottoirs sont minuscules, à cause de la densité c’est impraticable. Les seules fois où j’ai eu du plaisir, c’était en voiture la nuit. Dans les restaurants les tables sont minuscules, les chaises sont minuscules, les chiottes c’est insupportable. On sent la contrainte spatiale tout le temps. »
– Sylvain, 41 ans, Genève-Centre, Délices-Grottes
« Je crois que ce qui me gêne essentiellement, c’est le bruit. Mais on savait quand on est venus ici. Ce n’était pas forcément un coin tranquille. »
– Alain, 67 ans, Genève-Centre, Délices-Grottes
On se demande, dès lors, selon quels critères l’auteur définit cette qualité de vie urbaine ? Que faire de tous ceux qui cherchent une amélioration de leur cadre de vie en partant vivre en périphérie, dans un cadre plus proche de la nature ?
La question de la qualité de vie pose particulièrement problème lorsque Sébastien Munafò généralise son analyse au-delà des cas d’études suisses. En effet, Zurich et Genève sont comparables à une ville moyenne française (comme Nantes), à la fois en termes de taille et de densité. Or, l’hypothèse de « l’effet barbecue » suppose que les habitants font le constat d’une qualité de vie insuffisante dans des centres villes devenus trop denses. Dès lors, la pertinence de cette hypothèse semble moins forte dans les villes étudiées par Sébastien Munafò qui sont peu denses et très vertes. Qu’en est-il pour des mégalopoles comme Paris, Le Caire ou Bombay, d’une densité jusqu’à six fois plus élevée que celle de Zurich ?
De ce point de vue, les terrains choisis par Sébastien Munafò ne permettent pas complétement de remettre en cause la thèse de « l’effet barbecue » puisque ces terrains ne constituent pas des cas suffisamment problématiques du point de vue de la densité et des effets que celle-ci peut avoir sur la qualité de vie des habitants du centre-ville.
Mais de quoi parle-t-on, en fin de compte, lorsqu’on préconise la ville compacte ou la ville dense? Les villes du monde diffèrent en taille, en densité, en composition sociale, en activités, en offres de transport et même en termes d’aspirations de leurs habitants. Et comme le montrent les résultats de la thèse de Sébastien Munafò, tous ces éléments comptent pour comprendre les pratiques de mobilité d’une ville prise dans son ensemble.
Le découpage en cadres de vie (centre-ville, suburbain, périurbain) que propose Sébastien Munafò pour matérialiser la ville compacte (i.e. le centre-ville) d’un côté et la ville dite diffuse (i.e. le périurbain) de l’autre, se construit sur deux dimensions principales : la densité et le rapport au centre. Il y a donc les espaces denses au centre et les espaces peu denses à l’extérieur. Mais que dire du suburbain, de cet entre-deux qui semble pourtant être le plus vertueux en termes des déplacements de ses habitants ? Si on revient à la comparaison des GES émis à laquelle procède Sébastien Munafò, le suburbain est en effet le cadre de vie le moins nocif sur cette question, même lorsqu'on considère chaque ville indépendamment de l’autre.
Mais si on procède de la même manière que l’auteur et qu’on souhaite généraliser le cadre de vie qui semble être le plus vertueux, on en vient à se demander : à quoi ressemblerait, concrètement, cette ville mi-compacte-mi-diffuse ?
Si on ne raisonne qu’à partir de la densité, cela équivaudrait à faire d’une ville comme Los Angeles (d’une densité moyenne comparable au suburbain de Zurich) une référence…
Los Angeles, août 2014
…Ou alors, si on ne raisonne qu’en termes de centralité, de penser une ville dénoyautée, en forme d’auréole ou de beignet américain. La généralisation d’un type d’espace pose problème, en soi. Mais c’est particulièrement le cas lorsque le modèle qu’on préconise s’appuie sur un nombre limité de dimensions, aussi structurantes soient-elles. Et si la généralisation à partir du cadre de vie suburbain paraît improbable, elle reste intéressante à plusieurs égards. D’abord parce que cette généralisation est comparable à celle que propose la thèse de la ville compacte puisqu’elle aussi réduit la ville dans son ensemble aux caractéristiques formelles d’une de ses parties seulement.
Ensuite, parce que l’idée d’une « ville donut », aussi saugrenue soit-elle, soulève la question de la relation qu’entretiennent entre eux les espaces de densité et de centralité différentes. Des espaces suburbains dépourvus de centre-ville et de périurbain paraissent impensables, irréalistes. Mais un centre-ville comme celui de Genève ou de Zurich peut-il exister, lui, sans son cortège d’externalités, d’espaces résidentiels périphériques et plus généralement sans une offre de cadres de vie variée à même de garantir le potentiel d’accueil du territoire ?
En préconisant la généralisation d'un cadre de vie particulier au détriment des autres, on fait abstraction d'une lecture plus globale de l’organisation des activités sur le territoire. On oublie par ailleurs que l'explosion des grandes villes est concomitante à celle du périurbain, que le développement de villes denses d'envergure a justement eu pour effet une spécialisation fonctionnelle des territoires, contribuant structurellement aux problèmes auxquels la ville compacte cherche pourtant à répondre.
À y regarder de plus près, la préconisation de Sébastien Munafò révèle un problème de logique interne contenu dans sa définition de la ville compacte. En se focalisant sur la densité, l’auteur de la thèse sous-estime l’importance de la centralité dans l'équation. Celle-ci renvoie en particulier à des questions d’accès ; accès aux aménités de la ville mais aussi aux infrastructures de transport.
En effet, Sébastien Munafò montre que l’explosion des déplacements occasionnels est en grande partie liée à l’accès à ces infrastructures. Ce sont ceux qui ont les meilleurs accès qui partent le plus loin en vacances et qui peuvent se rendre à leur travail en vélo ou en métro tous les jours. De ce point de vue, la densité n’a que très peu à voir avec les questions de mobilité : la sobriété des déplacements quotidiens dépend surtout de la distance qui sépare les activités du quotidien et des infrastructures disponibles pour les relier. Dans le cas de la ville compacte, cette sobriété dépend essentiellement du rapport au centre. Et même si la densité permet de concentrer plus d’activités sur un espace donné, cette concentration a une limite, notamment quand elle est organisée en fonction d’un seul point de convergence : son centre.
Le centre supposant par définition une périphérie, on aura beau accumuler des espaces denses sur de vastes espaces (exemple précédent de Los Angeles), on ne réglera pas pour autant la question des accès et des déplacements nécessaires pour réaliser son programme d’activités. On peut même aller plus loin et dire que plus on accumule des espaces denses, plus la centralité pose problème.
En ce sens, dire que la ville compacte est plus vertueuse du fait de l’accessibilité qu’elle permet correspond, du point de vue logique, à une tautologie : dès lors qu’on organise les activités de la ville à partir de son centre, vivre au centre permet un meilleur accès à la ville, à ces activités.
Pourtant ce ne sont pas les modèles alternatifs à la ville compacte qui manquent et la question des accès trouve des réponses différentes d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre et d’un courant théorique à l’autre. Et même parmi les tenants de la ville compacte, il existe un débat qui oppose la ville monocentrique à la ville polycentrique.
Une ville comme Copenhague, reconnue pour la vertu des pratiques de déplacements de ses habitants, est un bon exemple d’alternative. Basée sur un modèle d’urbanisme qui a réparti les activités de la ville et les espaces de densités variables le long des infrastructures de transport (le « finger-plan »), Copenhague s’est développée de manière à ce que ses habitants puissent tous accéder aux aménités habituellement attribués à la ville, aux lieux de travail et aux espaces verts, quel que soit la densité et la proximité au centre des espaces dans lesquels ils vivent. En forme de main, la ville permet à la fois de favoriser l’accessibilité et l’interpénétration des espaces naturels et des espaces urbains.
La compacité – ou plutôt la centralité – n’est pas un objectif à viser en soi. Ce qu’on vise c’est bien ce qu’elle permet et ne permet pas et ce qu’elle produit ou reproduit, notamment en termes d’inégalités sociales d’accès.
Plan régional de Copenhague de 19476
En effet, plutôt que d’appeler à faire davantage de ville compacte, c’est un droit à la ville au sens d’Henri Lefebvre qu’on pourrait défendre. Plutôt que de plaider pour un modèle d’urbanisme, le droit à la ville proposait en son temps une lecture critique des modes de production de la ville, révélant une concentration du pouvoir dans les centre-villes et la reproduction des inégalités sociales via la pratique même de l’urbanisme. En ce sens, proposer un modèle de ville, c’est proposer un modèle politique, un mode d’organisation économique et sociale du pouvoir.
L’absence d’une telle lecture peut aussi être reprochée aux conclusions de Sébastien Munafò. En effet, la question des motifs de déplacements occasionnels, aussi importante soit-elle, ne participe que partiellement à l’explication des différences de pratiques de déplacement au centre et en périphérie. Absentes de la discussion, les inégalités sociales d’accès au centre sont pourtant de mise. Si, dans des agglomérations comme celle de Paris – ville la plus dense d’Europe –, on peut vouloir aller au travail en vélo, encore faut-il avoir les moyens financiers pour vivre en centre-ville. La pression qu’une densité d’activité comme celle de Paris exerce sur le marché de l’immobilier est considérable et contribue structurellement à priver une part importante de la population des cadres de vie les plus centraux.
L’auteur évoque les « autres » vertus de la ville compacte et de l’urbanité. Mais quelles sont-elles ? Et surtout, comment la présente recherche permet-elle de les saisir ?
Quand on parle d’urbanité, il est souvent question, par exemple, de la force et la qualité du lien social que permettrait la ville compacte. On trouve comme principale justification à cette idée le concept de « sérendipité » définit par la capacité d’un lieu à produire des rencontres accidentelles, à établir fortuitement un lien social entres des gens a priori différents.
À travers l’idée de « sérendipité », on fait comme si la diversité des personnes présentes sur un territoire permettait la transmission, par capillarité, des valeurs et conditions sociales des habitants ; on fait comme si la présence quasi forcée de personnes de classes sociales différentes en un même lieu permettait, mécaniquement, une plus grande mobilité sociale. Pourtant, même durant l’ère industrielle, âge d’or de la ville, les mécanismes de distinction sociale ont eu raison de cette mobilité-là. Déjà à l’époque, la volonté de se distinguer dans un environnement socialement hétérogène se traduisait par une panoplie de moyens de différentiation, comme la première classe dans le métro2, ou par le biais de pratiques sociales et modes vestimentaires codifiées.
Paris 1900 - Photo : Jacques-Henri Lartigue (1894-1978)
Même aujourd’hui, l’enquête de Sébastien Munafò montre que la question du lien social dans les espaces les plus densément peuplés, celle de l’ouverture à l’autre et de la mixité sociale ne va pas forcément de soi, au contraire…
« On n'a pas énormément de contacts. Au rez, il y a des bureaux, et puis après il y a un peu de tout. C’est pas des gens qu’on connaît vraiment. Je ne leur laisserais pas mes clés quand je pars en vacances. Il y aussi pas mal de changements, ça tourne pas mal. »
– Jacques, 45 ans, Genève-Centre, St Gervais-Chantepoulet
« Je ne suis pas vraiment impliqué dans la vie de quartier. Moi je n’ai pas pris le temps, je voyage beaucoup. Je n’ai pas de liens vraiment étroits avec les gens ici. Je n’ai pas d’amis proches. »
– Yves, 50 ans, Genève-Suburbain, Vernier
Par ailleurs, l’entre-soi peut être une réalité en ville dense…
« J’aurais vraiment de la peine à vivre dans un autre quartier, un quartier plus clean ou plus beau peut-être. On a une relation ici avec les gens qui est pas la même que dans un autre quartier. […] Pour se moquer de nous c’est un peu le quartier des bobos, on est tous ensemble, on est tous pareils, tous un peu culturels sans fric. C’est un peu le petit Berlin. On est tous un peu solidaires. »
– Sylvain, 41 ans, Genève-Centre, Délices-Grottes
L’histoire de Paris – histoire d’une ville compacte par excellence –, est une histoire de la ségrégation sociale en milieu urbain. Depuis les travaux de rénovation urbaine du baron Haussmann au milieu du XIXe siècle, de la sortie des fonctions productives hors du centre-ville, de la concentration des classes sociales les plus élevées à l’intérieur de la ville, Paris et son pourtour sont devenus le terrain privilégié d’une ségrégation sociale très forte3. Le caractère fortuit des rencontres en centre-ville a largement été maîtrisé. Par le jeu de la spéculation financière notamment, Haussmann a réussi à transformer la capitale française, consolider sa position en tant que centralité suprême de l’activité politique et économique du pays, tout en coupant la ville en deux, avec à l’est les quartiers populaires et à l’ouest les quartiers aisés réservés à l’entre-soi aristocratique et bourgeois. Cette distinction géographique perdure aujourd’hui et les stratégies d’entre-soi sont à la fois nombreuses et activement engagées par les habitants et les acteurs institutionnels4.
Face aux nombreux travaux sur le sujet5, il est aujourd’hui difficile de présupposer qu’il y a une correspondance stricte entre compacité et mobilité sociale. Et même quand des personnes d’horizons sociaux différents partagent physiquement un même quartier, c’est souvent le signe d’une gentrification avancée du quartier, signe que la population d’origine modeste a commencé à déménager en dehors de la ville, loin de la mixité fonctionnelle de celle-ci, loin de sa centralité et de l’accessibilité qui fait tout son intérêt.
Sans une volonté politique forte pour permettre aux populations fragiles de rester dans leur quartier, les concepts de compacité et de mixité ne peuvent assurer une égalité d’accès aux aménités de la ville.
En définitive, la ville compacte n’est ni nécessaire, puisque comme le montre des villes comme Copenhague, on peut organiser l’accessibilité par d’autres moyens que la densité, ni suffisante, puisqu’à elle seule elle ne permet pas de faire société.
Sébastien Munafò montre que si la logique de compensation n’est pas de mise pour des villes comme Zurich ou Genève, les mobilités des personnes vivant dans le centre-ville, prises à l’année, peuvent être aussi importantes que celles des habitants du périurbain.
Malgré cette contribution fondamentale à la discussion sur les cadres de vie de demain, les conclusions de Sébastien Munafò concernant la ville compacte restent difficiles à entendre.
Il lui aurait suffi de contester, comme il l’a fait par ailleurs, la portée de « l’effet barbecue », mais il va jusqu’à proposer un contre-modèle et, au fond, commet la même erreur que ceux qui préconiseraient un modèle de ville conçu à partir des espaces périurbains (assimilés à la « ville diffuse »).
Le modèle de la ville compacte oppose ainsi deux parties (centre et périphérie) d’un même tout (la ville). Or la question des émissions de GES n’appartient pas qu’au périurbain. Le problème est d’ordre systémique : il concerne la ville prise dans son ensemble et l’éventail des modes de vie qu’elle permet d’accueillir.
Et c’est bien là toute l’originalité et tout l’intérêt de la thèse de Sébastien Munafò. En entrant par les modes de vie, ses résultats permettent de montrer que la question de la sobriété énergétique de nos mobilités ne dépend pas que de la densité ou même du modèle d’urbanisme. La durabilité de nos mobilités dépend au moins autant des aspirations des individus. Et ce n’est qu’en conjuguant la diversité de ces aspirations avec un mode d’organisation du territoire qu’on sera à même d’exprimer un choix de société capable de répondre aux enjeux climatiques qui nous concernent tous.
Au final, il s’agit bien d’une question fondamentalement politique. Dès lors, la question n’est pas tant de savoir quel modèle d’urbanisme choisir mais plutôt comment faire entrer la question des cadres de vie dans le débat public, afin qu’on puisse imaginer des villes qui répondent à la fois aux aspirations des habitants et aux questions environnementales, à toutes les échelles.
1 6t ; LATTS. (2011). Incidences du « rapport au cadre de vie » sur la mobilité de loisirs. Rapport final pour le PUCA sous la direction de Nicolas Louvet. Paris : 6t bureau de recherche.
2 Voir Tim Cresswell, Michael Lemarchand, Géraldine Lay, Ne pas dépasser la ligne !, 2015, 192p., sur la différenciation des identités politiques et sociales au travers des pratiques de déplacements, aujourd’hui plus que jamais d’actualité, au sein des lieux de transit - lieux de densité humaine particulièrement importante, que ce soit au cœur d’une mégalopole dense comme Paris (Gare du Nord) ou en plein rural néerlandais (Aéroport de Schiphol).
3 David Harvey, Paris, capitale de la modernité, Paris, Les Prairies ordinaires, 2012, 529 p.
4 Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2008, 121 p.
5 Dont : Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Les Éditions de Minuit, 1979, 670 p.
6 Image prise sur Skyscrapercity, issue du plan régional de Copenhague de 1947 délivré par le Bureau du Plan Régional [http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=1251193] (Egnsplankontoret) en 1949.
Pour un résumé en anglais du plan régional : https://fr.scribd.com/doc/99318840/Copenhagen-Regional-Plan-1947-Fingerplan-English-summary.To cite this publication :
Sébastien Munafò et Marc Pearce (Mobile Lives Forum) (28 November 2016), « Living environments and leisure mobility: challenging the compact city », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 22 November 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./en/arguings/3371/living-environments-and-leisure-mobility-challenging-compact-city
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