Kim Pasche, 35 ans, vit neuf mois de l’année dans le nord du Canada. Il chasse l’élan à l’arc, tanne des peaux pour s’habiller et dort dans des camps qu'il construit au gré de ses déplacements. Il veut se « ré-ensauvager », apprendre à vivre comme les chasseurs cueilleurs. Le reste du temps, il parcourt le monde pour raconter son expérience.
Kim Pasche a 35 ans. Il évoque, un très léger accent suisse dans la voix, son choix radical depuis 12 ans : vivre huit mois par an comme un chasseur-cueilleur. Archéologue expérimental, il tente de se « ré-ensauvager » à travers la chasse, la collecte et la construction de son habitat. C’est une quête pour instaurer un dialogue avec la nature et retrouver nos racines. Sa femme et sa petite fille de six mois vivent surtout entre Paris et Bruxelles. Il les voit quelques mois par an.
Lorsqu’il rejoint le monde moderne, Kim parcourt l’Europe pour transmettre ses apprentissages. Entre un avion et un train, il donne des stages qu’il présente sur son site web, participe à un documentaire sur son mode de vie, écrit un livre sur les gestes premiers ou construit des programmes scolaires avec les autochtones canadiens. Il ne conçoit pas sa quête de manière égoïste.
J’ai 35 ans. Je suis né à Moudon, au nord de Lausanne.. Assez vite, par le biais de ma formation en archéologie, je me suis spécialisé sur la préhistoire. Ça m’a conduit à passer de plus en plus de temps, puis à en faire mon lieu de vie principal, au Yukon, une province nord du Canada, à côté de l’Alaska. On va dire que je suis un citadin qui essaie de se ré-ensauvager. C’est voir dans quelle mesure il est possible de réintégrer une vie de chasseur cueilleur. Ça fait 12 ans que j’y travaille. Ce que je cherche à faire est un processus actif qui ne doit pas être violent. Je m’ensauvage, mais je ne suis pas encore sauvage. De temps en temps, un plat de pâtes ça me manque. C’est un compromis, je prends des éléments modernes et j’essaie de m’en départir.
J’ai eu pendant beaucoup d’années une relation avec ma compagne sans que l’on vive ensemble. On se voyait deux mois par an, mais on a une fille de six mois maintenant. Ma femme est venue au Yukon quatre mois cette année : fin d’été, automne, début de l’hiver. Sinon, elle continue à avoir une vie entre Paris et Bruxelles. Elle est costumière. Sachant qu’elle est à moitié lapone d’origine, elle a un pied sauvage quand même. Ce qui lui permet de venir facilement vivre mon mode de vie au Yukon, mais elle n’y aspire pas au point de rester plus que quelques semaines par an.
J’ai une vie en deux temps. Sur une année, je vis 8 à 10 mois dans la nature, sur une concession de 4500 km² que j’ai au Yukon. Tous les déplacements se font à pied, raquettes, ski, chiens de traineau, et de temps en temps, en motoneige. C’est le lieu de mon travail, où j’expérimente un mode de vie alternatif.
Dans un deuxième temps, c’est complètement l’opposé. Je prends plein de fois l’avion, je vais partout. Par exemple, je suis sorti de ma forêt début janvier. Je prends un avion pour aller en Colombie où je travaille avec des autochtones. Puis, je suis revenu en Europe pour quelques mois : Espagne, France, Suisse, etc… Je suis hyper-véhiculé.
J’ai une piste d’atterrissage d’un kilomètre de long (rires). C’est à l’échelle canadienne, le Yukon est un territoire de la taille de l’Espagne avec seulement 32 000 habitants. En général, j’arrive en avion avec des éléments de base. Je m’approvisionne en nourriture environ avec un tiers de ce que j’amène et deux tiers de ce que je trouve.
Il y a une cabane sur ce terrain. C’est mon SAS, la zone tampon entre le monde sauvage et le monde moderne. J’y stocke des éléments de survie. J’ai une génératrice, un téléphone satellite pour communiquer, des médicaments. A plusieurs jours de marche, j’ai un camp, puis d’autres qui sont en mode préhistorique. Quand j’y vais, je me dévêtis des trois-quarts de ce qui est moderne. Chaque année, j’en enlève un peu plus. Par exemple, j’avais un sac à dos acheté chez Décathlon. Quand j’ai été en mesure de le remplacer par un sac que j’ai fait en peau, je l’ai fait. La même chose avec ma hache, mon couteau, etc…
Au début, j’ai eu cette idée de « réensauvagement ». Je me suis rendu compte que si on remplaçait un objet par un autre, on ne jouait que sur la forme. Si on ne travaille pas sur la fonction, on se plante. Vouloir remplacer le sac de couchage moderne par un sac de couchage primitif est terriblement naïf. Il faut penser à ce qu’est dormir. Picasso disait « le plus dur, c’est de désapprendre ». C’est vrai car il faut désapprendre l’objet, il faut désapprendre sa fonction, l’idée que l’on s’en fait, la représentation que l’on s’en fait.
Il n’y a pas un jour qui se ressemble. Pendant une semaine, je ne vais faire que pêcher du saumon. Pendant trois semaines, je vais courir après les caribous pour essayer d’en attraper un. J’arrive à telle montagne, je vois qu’ils sont de l’autre côté. C’est un jeu du chat et de la souris. Après, il y a des moments l’hiver où il n’y a pas grand-chose à faire. Je travaille mes fourrures ou je fais mes flèches. Il y a du temps libre. Alors que l’été, il faut se dépêcher de faire ceci ou cela.
Le déplacement est quelque chose de régulier, je visite chaque lieu environ une fois par an. Je m’y investis pour un moment, puis ensuite je travaille en étoile autour. Ce lieu devient mon domicile pour un ou deux mois et je fais des excusions de trois jours en montagne pour aller chercher un caribou très mobile par exemple. C’est comme plein de résidences secondaires.
Je chasse l’élan à l’arc, parfois seul, parfois en groupe avec les amérindiens avec qui je travaille. J’ai un fusil de secours. Tuer un élan, c’est avoir 300 kg de viande. Je le stocke dans une cache en haut des arbres parce qu’il y a des grizzlis. L’hiver, je reviens le chercher parce qu’on chasse en octobre, pas forcément dans les zones où l’on passe l’hiver. On voyagera plus facilement en raquettes et en skis pour le tirer en traineau. L’été, il faut tout porter à dos. Il y a toute une gestion de ce territoire.
Je suis sur un territoire amérindien, mais il n’y a personne. Les autochtones, les premières nations, ont été forcées à la sédentarité. Le village lié à ce territoire est à 200 km. Techniquement, c’est compliqué d’aller aussi loin. Par contre, j’essaie de profiter de l’opportunité logistique que j’ai pour recréer des moments de travail sur cette zone avec les autochtones pour les aider à maintenir leur mode de vie.
Cette question résume mon travail. On a souvent a jugé les peuples racines par leur assimilation matérielle : ils ont une voiture, ils chassent avec un fusil, ils sont devenus blancs. On est faussés par cette vision. Eux, souvent, ont perdu les techniques. C’est moi qui suis détenteur d’un certain savoir. Mais ce que je n’ai pas, cette toute la cosmogonie qui va avec ces techniques. Si j’allume le bois en frottant deux bouts de bois, eux ont une histoire.
Amener un avion sur mon territoire me coûte cher. J’ai besoin d’argent. Je voyage beaucoup en avion et en train pour des stages et des conférences entre la France, la Belgique et le Suisse. Pour la télé, on fait un documentaire pour mettre en image cette recherche sur nos origines. J’écris aussi. Je travaille sur des programmes scolaires avec les autochtones au Canada depuis quelques années, des projets pilotes où ils récupèrent des heures scolaires pour enseigner leur culture et que l’école ne soit pas uniquement le reflet de la culture occidentale. Puis, j’ai une voiture en Suisse que j’utilise pour mes déplacements entre la Suisse et le Sud de la France.
Le mode de vie des premières nations ne change pas ou peu à l’échelle que l’on connait aujourd’hui. A chaque fois que je retourne dans la nature, c’est relativement stable : la pêche, la chasse, la collecte, etc… Par contre, chaque année, je reviens dans le monde moderne. En 12 ans, il a complètement changé. L’écart est de plus en plus violent. Après huit mois dans la nature, tout le monde parle de Hashtag. Il m’a fallu une semaine pour comprendre de quoi on parlait. Il y a ce genre de problème. Me réadapter est de plus en plus compliqué. Ça va de plus en plus vite, c’est donc comme si j’étais absent de plus en plus longtemps.
Parce que j’ai l’impression que ce serait égoïste de ma part. Depuis que je suis enfant, je trouve qu’il y a un problème dans notre civilisation. Nous sommes coupés de ce qui nous entoure. En vivant comme cela, je me suis rendu compte que je tirai des conclusions qui pourraient me servir assez vite. Je reviens chaque année dans le but de partager, transmettre, échanger sur ce que moi je vis. On connait tous cette phrase « Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ». Le problème, c’est que nous ne savons pas d’où l’on vient. Parce que les derniers chasseurs-cueilleurs qui sont nos ancêtres ont disparu 2 000 ans avant la naissance de l’écriture.
Je pense que l’on va dans le mur. La pérennité de l’espèce humaine est en jeu. Et ce n’est pas en corrigeant la forme des choses, en utilisant le progrès pour réorienter nos impacts, que l’on y arrivera. Je veux mettre en perspective nos choix de civilisation, participer au changement. On a perdu nos parents qui étaient chasseurs-cueilleurs. On les a tués. Les peuples racines ont des modes de vie plus simples, plus proches de la nature. Je fais des ponts entre ces peuples qui vivent en dialogue avec la nature pour dégager des éléments fondamentaux de l’équilibre entre l’homme et son environnement. Tant qu’on ne fait pas ce travail sur nos racines, pour redéfinir l’impulsion de notre civilisation, on loupera une bonne partie des solutions que l’on pourrait trouver. C’est ça le moteur pour moi.
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