La révolution technologico-informationnelle va-t-elle permettre de mieux comprendre les problématiques liées aux transports ? Le point avec Catherine Morency.
Ces dernières années, plusieurs appareils qui sont apparus qui ont totalement changé la façon dont on accède à l’information.
Ce dont je vais parler ici, c’est justement de cette révolution dans l’accès à l’information, l’accès aux données et de la façon dont cela a pu modifier les pratiques en termes d’étude de mobilité. L’époque où on devait uniquement se fier à des cartes routières en format papier, tend à disparaître pour les jeunes générations et il est désormais très facile d’utiliser différents outils ou appareils pour savoir en un simple clic où on se situe et, surtout, quels sont les chemins à prendre pour atteindre différentes destinations.
En plus d’avoir une incidence dans le quotidien des gens, ces technologies et l’information auxquelles elles nous permettent d’avoir accès, ont eu et ont toujours des effets sur la façon dont les études de transports sont conduites.
Si on revient un peu dans l’histoire des modèles de transports, les premiers modèles ont été développés autour des années 50. Les premiers ordinateurs ont permis de mettre ensemble certaines données et de faire des calculs un peu complexes, c’était évidemment une grande simplification de la réalité et c’est donc une petite révolution qui s’était opérée au début des années 50.
Le monde des transports vit aujourd’hui une révolution, c’est la révolution de l’accès, la révolution dans les technologies disponibles pour faire les études et ça provient notamment de la prolifération, de la démocratisation des données et des technologies qui permettent notamment de les gérer.
Du côté des données, on pense évidemment automatiquement à Google et aux divers produits disponibles : Google Maps, Google Street View, Google Trafic, Google Earth. Il y en a plusieurs qui ont vraiment changé la façon dont les gens perçoivent leur environnement, comprennent les rues, les cartes. Il y a eu des prédécesseurs ou des concurrents : MapQuest, Yahoo Maps et évidemment il ne faut pas oublier toutes les fonctions qui viennent avec ça : on a des cartes, on peut se localiser, on a plusieurs fonctions qui permettent de faire des calculs, des itinéraires. Il y a beaucoup de fonctions qui ont été imbriquées dans ces outils et qui, en plus de démocratiser l’accès aux données, démocratisent aussi la facilité avec laquelle on peut faire des calculs.
Du côté des technologies, on pense aux téléphones, aux tablettes intelligentes, aux ordinateurs qui sont dotés de GPS, même d’accéléromètres, donc ça multiplie les possibilités en termes de collecte de données et évidemment tous ces outils sont branchés sur Internet, sur le web. Ça permet aux gens d’être branchés et d’accéder à l’information et ça permet aussi d’assurer un partage en continu.
Les individus et les institutions ont maintenant facilement accès à cette information géographique mais aussi sur les réseaux de transports. L’individu doit évidemment changer ses comportements en ayant accès à cette information, à l’information sur la congestion, sur les itinéraires possibles. On modifie un peu sa façon de penser, c'est-à-dire qu’il est maintenant au courant de différentes alternatives. Il va aussi générer des données pendant qu’il se déplace et donc il peut devenir lui-même un contributeur aux données qui sont utiles en transport.
Précédemment, les institutions devaient beaucoup investir. Il y a quelques années, avoir accès à des données de territoires, des données d’adresses, des données sur les intersections, ça coûtait extrêmement cher et souvent, il fallait les construire nous-mêmes pour que ce soit adapté pour alimenter les modèles de transports. Donc il y avait beaucoup de ressources humaines, beaucoup d’argent qui était investi pour avoir une base de données à jour. Aujourd’hui, on a la possibilité de déléguer ceci, il y a plein de sociétés qui nous vendent des bases de données ou qui les rendent tout simplement disponibles en ligne.
C’est vraiment une démocratisation, il y a plein de personnes qui ont maintenant accès aux données, qui en comprennent mieux le sens et qui sont très conscients de leur utilité.
Évidemment, l’information est “surveillée”. Plus on a d’utilisateurs de ces outils, plus on peut assurer une certaine qualité, c'est-à-dire que les gens qui vont aller faire des requêtes sur Google, qui vont observer qu’une rue est absente, vont envoyer un message ou un commentaire à Google pour que cette information soit actualisée. On a donc une série d’“agents de surveillance” qui contribuent à ce que la qualité de ces données soit meilleure donc c’est aussi une très bonne technique.
Comment cela a-t-il un effet sur la planification des transports et les études de transports ? Au niveau de la collecte, la première opération, c’est d’avoir des données pour faire des études de transport. L’apparition de ces outils – comme Google et Internet, avec toutes ces bases de données sur les réseaux de transports et le territoire – a un effet sur le fait qu’on puisse accéder plus facilement à cette information. On peut développer des outils qui vont nous permettre de recueillir, via le web, les données sur la mobilité des résidents. Dans plusieurs régions, vous avez ces grandes « enquêtes ménage » qui sont faites généralement par téléphone, ou en face à face.
Maintenant, la disponibilité de ces données, le fait qu’on puisse y avoir accès par le web, offre l’opportunité de rejoindre les gens par le biais de cette nouvelle technologie. Et même, on voit que les données en continu, on pense aux données de cartes à puce, les données qui proviennent des transactions d’accès aux réseaux de transports en commun, vont ébranler un peu les réflexes qu’on a en termes de collecte de données. Souvent pour mettre en place des processus de collecte, après encore une fois, beaucoup de ressources, beaucoup d’argent, on obtient finalement des données 1 an après que l’opération soit terminée et elles sont pratiquement désuètes.
Donc le web et la disponibilité des plates-formes comme celles offertes par Google, qui combinent à la fois des données de référence, des fichiers, des fonctions de calculs, facilitent le développement de ces outils de collecte. L’autre élément intéressant, c’est que ça peut être transposé plus facilement d’une région à l’autre parce que Google permet d’avoir une couverture qui est beaucoup plus complète que celle qu’on obtient quand on s’intéresse particulièrement à un territoire.
L’autre élément intéressant au niveau du traitement, c’est le fait que ces fonctions sont plus facilement accessibles par des développeurs moyens, c'est-à-dire quelqu’un chez lui peut faire du développement grâce aux fonctions de Google.
L’autre élément qui a eu un effet très important sur le monde du transport, c’est l’apparition de standards. Là, je parle de fichiers GTFS, les fichiers GTFS, ce sont des General Transit Feed Specification, des fichiers qui décrivent les réseaux de transports en commun. On a plusieurs villes qui ont adopté ce standard de définition de ces réseaux, qui permettent à Google d’introduire des outils de calculs de trajets sur les réseaux de transports en commun.
La beauté, c’est que les développements de fonctions à partir de ces fichiers standardisés peuvent être transposés d’une région à l’autre. Donc toute région qui adopte ce standard va pouvoir utiliser des fonctions développées un peu partout à travers le monde et ça permet de faciliter les analyses comparatives, ça permet d’avoir des calculateurs sur plusieurs réseaux donc réseaux routiers, réseaux de transports en commun. Ça déresponsabilise, mais en fait c’est une délégation qui est très heureuse, c'est-à-dire que toutes les autorités de transports n’ont plus le fardeau de devoir développer ces outils de calculs de chemins, c’est maintenant disponible dans plusieurs régions, donc ça augmente le niveau d’accessibilité à ces outils pour les usagers : on a une meilleure information et on a plusieurs applications qui peuvent être téléchargées sur les téléphones.
Évidemment, Google Maps et ses prédécesseurs, comme je le disais, MapQuest ou Yahoo Maps, ont révolutionné le domaine en facilitant l’accès à des données qui étaient lourdes à développer et qui devenaient rapidement désuètes parce que ça coûtait très cher de faire l’actualisation en continu. Ils ont développé beaucoup de fonctions qui permettent aux individus d’accéder à des données qui étaient avant impossible à trouver.
Évidemment, toute belle chose a ses mauvais côtés, Google demeure une entreprise et on ne peut pas nécessairement exploiter les données ou les outils comme on voudrait le faire.
Google garde un certain contrôle sur l’utilisation des données qui est faite et on peut évidemment y voir une certaine ambigüité éthique. C'est-à-dire que si vous ouvrez votre téléphone et que vous faites une recherche de chemin, Google va vous demander si vous autorisez l’application à utiliser vos données de géolocalisation. Si vous répondez oui, vous contribuez à un ensemble de données qui vont permettre à des entreprises, Google en l’occurrence, d’avoir des outils ou de faire des évaluations de la congestion.
Google Trafic, par exemple, qui a été mis en ligne dans les dernières années, s’appuie sur les traces GPS qui proviennent des déplacements faits par les personnes qui autorisent Google à utiliser les données. Évidemment, tel qu’expliqué par un représentant de Google, quand vous choisissez d’activer Google Maps avec l’option “Ma position‟ sur un téléphone ou sur une tablette intelligente, le téléphone envoie de manière anonyme des traces des données qui décrivent votre vitesse, votre localisation spatiale. Quand on met toutes les données qui proviennent de tous ces individus qui se déplacent, ça permet de faire des estimations sur les temps de parcours, et donc sur la congestion.
Évidemment, la propriété des données n’est pas évidente et ce n’est pas certain non plus que les gens sont au courant qu’en autorisant Google, ils contribuent à fournir évidemment des outils très intéressants, mais ils contribuent aussi à l’utilisation que Google peut en faire et aux bénéfices qui vont être retirés par l’entreprise !
On a vu apparaître évidemment d’autres types d’outils qui sont ouverts et publics, on peut penser à Open Street Map. C’est un site Internet qui s’appuie sur les contributions d’un peu tout le monde. C’est, je dirais, l’équivalent de ce que Wikipédia est au niveau encyclopédique, mais ce sont des informations sur la géographie. Donc à partir de ces sources ouvertes, il y a des nouveaux développements qui se font, il y a des fonctions qui sont développées alors on réplique grosso-modo ce qui est disponible sur des sites comme Google, mais à partir de données ouvertes et pour lesquelles les possibilités d’utilisation sont totalement dégagées de toute licence d’utilisation.
Évidemment, on pourrait penser que ces sites ouverts vont générer du chaos ou des données qui ne sont pas parfaitement représentatives de la réalité, mais ce n’est pas ce qu’on voit. Wikipédia le confirme : le contenu est assez représentatif et il y a même des études qui montrent que c’est à peu près équivalent à ce qu’on trouve dans l’encyclopédie Britannica.
Donc la contribution de tous – on appelle ça le crowdsourcing ou, en français, l’externalisation ouverte – veut dire qu’on fait appel à la créativité, à l’intelligence et au savoir-faire de plusieurs personnes qui peuvent être, soit engagées, soit faire ça gratuitement pour construire des ensembles de données qui vont pouvoir être utiles à qui veut bien les utiliser.
Donc ça aussi c’est une révolution. On a vu l’apparition de ces grands sites, de grandes fonctions qui ont permis à plusieurs d’avoir accès à des données qui avant étaient très chères à construire. Elles sont maintenant disponibles, ces données, tout le monde y a accès, tout le monde peut faire du développement. Le défi, maintenant, n’est plus d’y avoir accès – ça a souvent été un frein, ce n’est plus le cas – mais c’est vraiment de les exploiter de façon pertinente. La quantité des données disponibles est multipliée, donc ça permet évidemment d’avoir une meilleure compréhension de la complexité des comportements. Si on a des données pour tous les jours de déplacement, on arrive à bien comprendre la variabilité, on arrive à avoir des données très actuelles, à comprendre quand de nouvelles routes sont construites mais évidemment, ça amène beaucoup de débit au niveau du traitement. Ça ouvre la porte à des modèles beaucoup plus complexes, donc il y a tout un travail qui va devoir se faire pour faire évoluer aussi les modèles qui exploitent ces données parce que si on a les données en continu et qu’on a une compréhension beaucoup plus approfondie de la complexité, on va devoir en tenir compte aussi dans les modèles qu’on développe pour représenter les phénomènes de transports. Évidemment, la démocratisation des données, combinée à la démocratisation des outils, ouvre la porte au développement de nouvelles méthodes et de modèles qui sont beaucoup plus complexes et collaboratifs. Et donc on peut faire appel aux gens pour qu’ils contribuent à la qualité des données et on peut les interroger de façon plus simple. En plus, l’autre aspect qui est développé à partir de ces données ouvertes, c’est toute la partie visualisation, donc dissémination de ces données, et les fonctions qui sont disponibles à la fois dans Google ou dans des outils comme Open Street Map permettent de développer de nouveaux objets qui vont permettre à plus de gens de comprendre tous ces enjeux de transports.
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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Théories
Pour citer cette publication :
Catherine Morency (02 Septembre 2013), « Démocratisation des données : vers de nouvelles études des transports ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 21 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./videos/1137/democratisation-des-donnees-vers-de-nouvelles-etudes-des-transports
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