En France, comme dans le monde, de plus en plus de ville décident de proposer la gratuité des transports en commun. Pour quelles raisons ? Le point avec Maxime Huré, Maître de conférence en sciences politiques à l’université de Perpignan.
Le 1er septembre 2018 la communauté urbaine de Dunkerque deviendra la plus grande agglomération française (200 000 habitants) à mettre en place la gratuité des transports collectifs pour ses habitants. Ce projet de mise en gratuité des transports n’est pas le seul en France puisqu’on peut citer d’autres expérimentations, notamment l’année dernière à Niort, en 2009 l’expérience retentissante d’Aubagne, qui avait déjà franchi le pas, et auparavant donc la ville de Châteauroux en 2001, ou encore, pour la 1ère agglomération Française, citons aussi Compiègne donc dès 1975.
La gratuité des transports collectifs est une politique mise en œuvre par des villes qui décident d’ouvrir leur réseau de transport en libre accès, aux usagers. On dénombre aujourd’hui en France 36 réseaux de gratuité totale des transports collectifs, même si divers expérimentations peuvent être citées. Par exemple de nombreuses villes utilisent des navettes gratuites de bus, notamment, ou encore il y a eu des expérimentations menées par la ville de Paris, ou encore de Grenoble, de gratuité du réseau de transport collectif les jours de pollution, de pics de pollution. Donc on a des expériences extrêmement variées de réseau gratuit. On peut aussi choisir la gratuité pour des populations types : par exemple la gratuité pour les étudiants ou la gratuité pour les personnes âgées, mais on peut considérer aujourd’hui qu’en France il y a 36 réseaux gratuits, qui sont souvent des réseaux de villes moyennes, puisque Dunkerque, la plus grande agglomération, regroupe 200 000 habitants. Villes moyennes qui utilisent principalement le bus dans leurs déplacements de transports collectifs, excepté Aubagne qui a un tramway dans son réseau de transport. En Europe on peut également citer d’autres expérimentations, et dans le monde bien sûr, et notamment la plus retentissante c’est la ville de Tallinn, la capitale de l’Estonie, qui est passée en 2013 à la gratuité totale des transports collectifs. Donc une ville de 440 000 habitants. Mais d’autres expérimentations avaient déjà précédées celle de Tallinn, notamment en Belgique, notamment en Italie, Bologne dans les années 70, ou encore en Allemagne. Et puis aux Etats-Unis on a déjà une quarantaine de petites villes et de villes moyennes qui ont adopté ces politiques de transports collectifs gratuits.
Ce qu’il faut savoir dans le financement des transports collectifs c’est qu’il y a une enveloppe pour le fonctionnement et puis une enveloppe pour l’investissement. Globalement, l’enveloppe pour l’investissement est entièrement, ou presque, financée par de l’argent public, par les subventions publiques.
La partie consacrée au fonctionnement du réseau est découpée en 3 participations distinctes : on a d’abord les pouvoirs publics, qui vont financer à travers des subventions une partie du fonctionnement du réseau. On a ensuite le versement transport donc une taxe spécifique aux entreprises, qui permet également de financer ce fonctionnement du réseau, et enfin on a une dernière partie supportée par les usagers qui, à travers les tickets ou encore les abonnements, vont participer à ce financement. Ce qu’il faut préciser c’est que la partie des usagers est en partie financée par les entreprises, puisque les entreprises prennent en charge 50% de l’abonnement de leurs salariés. Et puis en réalité, en fait, la partie supportée par les usagers est, en tout cas en France et dans les réseaux Européens, en constante diminution. On observe que, même si l’idéal serait que les usagers contribuent à environ un tiers du financement des réseaux, dans la réalité, même dans les grandes villes, on est en-deçà des un tiers. Par exemple à Lyon, qui a un réseau relativement performant avec beaucoup d’usagers qui payent leurs titres de transport, on est à environ 25% du cout du fonctionnement assuré par les usagers. Dans les villes ayant fait le choix de passer à la gratuité on est largement en-dessous du tiers du financement supporté par les usagers puisque par exemple Dunkerque on était à 9,2% du financement des transports collectifs assurés par les recettes de billettique. Donc en-dessous de 10%, ce qui est relativement faible dans l’ensemble du financement global des transports collectifs. C’est aussi une des raisons qui explique le passage à la gratuité des transports.
Tout d’abord ce qu’il faut bien préciser c’est que le passage aux transports collectifs gratuits est avant tout une mesure politique, qui répond à des enjeux territoriaux variés. Ça peut être par exemple, dans le cas de Dunkerque, la redynamisation du centre-ville. Ça peut être, dans le cas de certaines villes allemandes, comme a pu l’annoncer récemment le gouvernement allemand, de lutter contre la pollution atmosphérique. Ça peut être, dans le cas d’autres réseaux, d’enjeux sociaux, de pouvoir d’achat ; de gain de pouvoir d’achat pour la population. Et puis ça peut être tout simplement de répondre à des aspects économiques de financement et d’utilité sociale du réseau. C’est-à-dire qu’on s’aperçoit que dans certaines villes, des bus vont quasiment rouler à vide, et donc on va – plutôt que de perdre de l’argent en faisant rouler des bus à vide – on va ouvrir le réseau au maximum d’usagers possible à travers la gratuité des transports, pour rendre le réseau beaucoup plus utile socialement, et même, quelque part, économiquement.
Enfin, il y a des raisons qui tiennent à ce que la gratuité correspond en fait à une incitation au report modal, notamment au report modal de la voiture vers les transports collectifs. Pendant très longtemps, pour inciter au report modal, on a eu des politiques contraignantes envers l’automobile, en augmentant les coûts – de stationnement, parfois des péages urbains, divers taxes… Aujourd’hui on se rend compte que ces politiques contraignantes ne sont peut-être pas la seule solution et la seule voie à suivre pour faire diminuer le trafic automobile. Donc on va choisir la gratuité en tant que mesure incitative pour vraiment favoriser ce report modal.
Une autre explication est peut-être liée au contexte, qui évolue aussi, et même j’ai envie de dire un changement de paradigme en matière de tarification dans les transports collectifs. Ce qu’il faut savoir c’est que dans les années 1970 et dans les années 1980, un certain nombre d’acteurs, d’économistes des transports, d’associations, se sont mobilisés pour porter ce qu’on a appelé la tarification sociale des transports.
Des tarifications sociales ont pu être appliquées pour, on va dire, des individus à faibles revenus, ou des personnes âgées, mais on se rend compte que des limites importantes dans l’accès à ces tarifications sociales ont aujourd’hui été pointées. Notamment, parfois, des personnes qui sont tellement éloignées de l’emploi, éloignées de certaines formes de socialisation, vont ne pas aller chercher ces tarifications sociales. D’autres pour des raisons de complexité administrative ne vont pas le faire. On se rend compte aussi que ces tarifications sociales ont eu un coût puisqu’on va mettre à disposition des procédures spécifiques et puis du personnel dédié à l’accueil de ces publics sociaux.
Ce qu’on observe aujourd’hui c’est un peu un changement de paradigme, où on va prendre en compte les limites de cette tarification sociale, pour se dire que c’est, finalement, une des manières de lutter contre ces limites et d’attirer des publics, on va dire en très grande précarité, éloignés de la mobilité ; les plus éloignés de la mobilité… On va ouvrir complètement le réseau de transport collectif, donc on assisterait peut-être à un changement de paradigme, qui serait aussi lié à un changement de paradigme dans le monde académique de la recherche.
Cette nouvelle dynamique en faveur des transports collectifs gratuits nourrit de nouveaux questionnements également, dans la recherche urbaine. Ce qu’il faut savoir c’est que les questions de tarification dans les transports ont, pendant très longtemps, été analysées par des économistes des transports, qui sont relativement dominants dans le champ des études sur les transports. Et aujourd’hui on a de nouvelles approches, plus sociologiques, géographiques, mais aussi de science politique, qui vont d’avantage s’intéresser aux effets de la mise en gratuité des transports collectifs sur les modes de vie urbains. Et puis il s’agit aussi de répondre à un certain nombre d’idées reçues qui ont été véhiculées récemment sur la question de la gratuité des transports collectifs, notamment le fait que le passage à la gratuité des transports collectifs occasionnerait un surcroit de dégradations et d’actes de vandalisme dans les réseaux. Autres idées reçues : que le passage à la gratuité occasionnerait des difficultés dans l’investissement pour l’avenir (entrainant donc une dégradation du matériel et des infrastructures à long terme), ou encore que, le report modal potentiel de la voiture vers les bus serait en fait assez limité.
Pour citer cette publication :
Maxime Huré (26 Juin 2018), « Pourquoi la gratuité des transports collectifs gagne-t-elle du terrain ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 21 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./videos/12476/pourquoi-la-gratuite-des-transports-collectifs-gagne-t-elle-du-terrain
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