Mai 2014
Les expressions graphiques que l’on utilise à des fins de publicité et de marketing sont souvent le reflet des formes par lesquelles nous imaginons collectivement la vie sociale et qui influencent ces représentations. Une rétrospective des affiches du métro londonien a offert une occasion de réfléchir sur l’évolution des façons dont ont été perçus les aspects changeants de Londres et de ses transports en commun.
David Booth, La Tate Gallery en métro , 1987 (l’affiche de métro la plus vendue de tous les temps)
Il y a peu de villes au monde dont l’identité soit aussi intrinsèquement liée à son système de transports que ne l’est Londres, et il y a moins encore de systèmes de transports à avoir autant inspiré les travaux des artistes que le métro de Londres. Il paraît logique, dès lors, que dans le cadre des célébrations du cent-cinquantième anniversaire du métro londonien, le Musée des transports de Londres ait consacré une exposition rétrospective des œuvres d’art que ce dernier a inspirées au fil des ans.
Comme d’autres musées, le Musée des transports de Londres est un lieu de mémoire. La combinaison d’espaces, d’objets et de récits que le visiteur réalise en se déplaçant dans le musée permet de donner forme à l’idée d’un passé collectif fournissant le fondement solide d’un futur collectif (ou, dans le cas présent, de ce qu’est Londres et de l’avenir vers lequel elle se dirige).
Cette disposition particulière, le caractère historique de cette exposition et la spécificité des affiches sur le métro, dont le graphisme va toujours au-delà de l’intention purement instrumentale d’informer et d’éduquer les usagers et met en lumière certaines évidences implicites de la vie urbaine, tout cela incitait à réfléchir sur la nature changeante des représentations collectives qui ont modelé et continuent d’influencer la vie de tous les jours à Londres.
Bien que ce métro ait été fondé en 1863, les affiches, considérées dans leur ensemble, suscitent une impression de la modernité et des multiples occasions qu’offre une ville dont bien des événements commerciaux, culturels ou sportifs font venir le monde, au sens propre, jusqu’à ses habitants-consommateurs. Les usagers du métro paraissent se déplacer avec aisance et confiance dans la ville, au milieu d’étrangers, et le simple fait de prendre le métro est présenté comme un acte de civilisation et de formation aux valeurs de la civilisation. Grâce à l’emploi des styles graphiques et des tendances artistiques les plus actuels à chaque moment de l’histoire, les affiches donnent toujours l’impression d’être modernes et à la mode. Londres est constamment dépeinte comme une ville vivante, tournée avec optimisme vers l’avenir, sûre de son identité sans être jamais repliée sur elle-même, bien au contraire, outrepassant toujours ses propres frontières géographiques, comme sur l’affiche Fly the tube (« Volez en métro ») qui annonçait l’extension d’une ligne jusqu’à l’aéroport de Heathrow, ou sur une affiche plus récente montrant une carte imaginaire du métro en 2063 sur laquelle des villes lointaines comme Dublin, Paris, Berlin, Rome ou New York deviennent de simples stations le long de lignes nouvellement étendues.
S’agissant de la commémoration d’une histoire assez longue, on pouvait s’attendre à ce que l’exposition mette l’accent sur la continuité, ce qu’elle fit en effet, parvenant à donner une impression de permanence dans une ville caractérisée par des changements incessants. Deux affiches en particulier illustrent bien le fait que cette association paradoxale de la permanence et des changements n’a rien de nouveau, et qu’elle est encore actuelle. La première est un dessin minimaliste montrant le symbole d’une correspondance, accompagné d’une citation d’Héraclite affirmant que « rien n’est constant, sauf le changement ». D’un dessin très différent, la deuxième affiche, créée en 1926, exprime un message analogue. Elle représente une vue de Londres en 2026, prophétique et futuriste, qui ne nous semble aujourd’hui que trop exacte. Certes, la plupart des immeubles londoniens ne sont pas aussi hauts, et on ne voit pas voltiger au-dessus de la ville tous ces petits avions individuels. Mais des hélicoptères et des avions venus de l’aéroport voisin de Heathrow traversent bel et bien son ciel, et des gratte-ciels sont en train de croître sur son horizon (230 nouvelles tours sont actuellement en projet). Au milieu de ce paysage urbain, la présence discrète du cercle rouge, symbole du métro, représente un signal rassurant de continuité. La légende de l’affiche suggère au spectateur que les transports de l’avenir seront peut-être aériens, mais qu’une telle perspective pourrait aussi bien n’être que cela – du vent. Par comparaison, la solide infrastructure du métro est là pour nous rassurer en nous rappelant que certaines choses resteront toujours identiques. On peut se demander si ce « confort solide » s’adresse à des inquiétudes profondes suscitées par la modernité. Pour le sociologue Zygmunt Bauman, le plus grand défi pour nous tous est d’apprendre à vivre dans l’incertitude radicale. Peut-être le métro permet-il d’échapper, au moins pour une petite part, à cette incertitude.
Clive Gardiner, Les jardins botaniques de Kew , 1926 | Orace Taylor, La vie brillante de Londres , 1924 | Alfred Leete, L’attrait du métro , 1927
Geoff Senior, Volez en métro , 1979 | Francesco Binaggia, Rien n’est constant, sauf le changement , 2013
Montague Black, Le solide confort du métro , 1926
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