17/09/2018
La voiture domine notre système de mobilité. Elle a façonné les territoires et les villes en imposant ses propres infrastructures, ses normes et sa vitesse. En s’accaparant l’espace public (routes, places de stationnement, parkings…), elle a relégué les autres modes (marche, vélo…) et usages (jeux, flânerie…) sur une portion congrue de la chaussée. Mais désormais ses externalités négatives (pollution locale, émissions de gaz à effet de serre, accidentologie, congestion, nuisances sonores, …) sont unanimement dénoncées. Par la société civile d’abord. Elles commencent aussi à être prises en compte par les pouvoirs publics, en particulier en ville. Dans ce contexte, le véhicule autonome a-t-il un rôle à jouer ?
Largement relayées par les médias, les expérimentations se succèdent et participent à entretenir le sentiment que la technologie du véhicule autonome progresse très rapidement, rendant sa diffusion inéluctable. Elles mobilisent ainsi fortement l’opinion, les investisseurs et bien sûr les pouvoirs publics. Certaines collectivités se lancent dans une course à l’expérimentation pour apparaitre comme pionnières, à l’image de la métropole rouennaise qui déclarait l’automne dernier vouloir être la « capitale européenne du véhicule autonome ».
Tout cela accrédite l’idée que le véhicule autonome est déjà dans la rue. Mais de quoi s’agit-il vraiment ? Un véhicule autonome c’est, à l’origine, un véhicule qui n’a plus besoin de conducteur pour circuler, s’arrêter et se garer… sans accident bien sûr. Le conducteur devient alors passager, libre d’occuper son temps de transport comme il le souhaite pour dormir, se divertir ou travailler, sans avoir à se préoccuper de la route. Mais dans les faits, on est encore loin de cette autonomie complète.
Pour atteindre le niveau d’automatisation correspondant à une conduite intégralement sans conducteur et dans toutes les situations, selon l’OICA (Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles) il faut franchir graduellement des étapes allant des niveaux 1 et 2, simple aide à la conduite sous surveillance du conducteur aux niveaux 3 et 4, qui permettent une conduite automatisée respectivement « sans surveillance » permanente du conducteur puis « sans intervention humaine », dans des situations définies. À titre d’exemple, PSA prévoit le passage au niveau 2 d’autonomie en 2020, au niveau 4 vers 2030 et le niveau 5, l’autonomie complète, reste indéfini. Pourtant si cette dernière est annoncée par certains d’ici 30 ans, soit une évolution relativement lente, ce calendrier est encore très discuté. Certains ingénieurs travaillant sur le sujet estiment qu’il est difficile d’imaginer un jour une autonomie complète des véhicules au sein d’un trafic mixte composé de véhicules non autonomes, de piétons et de vélos. Sans même parler des conditions climatiques (pluie, neige, brouillard…).
Si nous n’y prenons pas garde, en faisant miroiter une mobilité future fluide, propre, sûre et accessible à tous, l’industrie automobile va capturer l’imaginaire de la mobilité et nous risquons de voir perdurer le système automobile actuel sans apporter de réponses à ses effets négatifs.
Quoi qu’il en soit, pour les prochaines années, les constructeurs comme PSA et Renault s’apprêtent à développer progressivement les premiers niveaux de l’autonomie et à la proposer en option sur les modèles les plus luxueux, comme on a vu se développer ces dernières années les caméras de recul ou la possibilité de laisser sa voiture faire les créneaux toute seule. Le prix réserverait la technologie aux plus aisés, cantonnant d’abord le véhicule autonome à un marché de niche, pourtant probablement couteux en dépense publique (développement d’une signalisation connectée adaptée). Dans ce modèle de développement, le véhicule autonome reste bien le descendant direct de la voiture que nous connaissons aujourd’hui, possédée et utilisée de manière individuelle.
Si ce projet industriel était mis en œuvre, il serait source de fortes inégalités face à la mobilité. L’autonomie partielle permettrait aux plus aisés de se déplacer de manière plus confortable, et donc plus longtemps ou sur de plus grandes distances, le temps de transport quotidien devenant plus acceptable. Si le véhicule autonome se diffusait ainsi, la congestion s’aggraverait. Et dans un futur plus lointain, elle augmenterait d’autant plus que des véhicules autonomes roulant à vide pourraient s’ajouter au trafic actuel. On assisterait alors à une aggravation des impacts négatifs du « système voiture » sur l’environnement du fait de l’augmentation des distances parcourues mais aussi à cause de la consommation en énergie et en matériaux rares, nécessaires à la fabrication et au fonctionnement de ces véhicules.
Ce scénario « au fil de l’eau », est fortement questionné par les citoyens. Afin de ne pas laisser les constructeurs imaginer seuls le futur de notre système de mobilité, ces derniers viennent d’être interrogés dans le cadre d’un débat organisé en janvier 2018 dans les cinq villes françaises de Toulouse, Rennes, Sophia, La Rochelle et Conflans-Sainte-Honorine, dont le Forum Vies Mobiles était partenaire. Il a été demandé à ses 360 participants de définir le rôle qu’ils souhaitaient voir jouer (ou non) par le véhicule autonome dans leur vie et à quelles conditions ils souhaiteraient ou accepteraient de voir leurs modes de vie changer. L’occasion de savoir ce que souhaitent les gens avant que la technologie ne soit dans la rue.
Pas question pour les citoyens que le véhicule autonome ne soit qu’un produit de luxe dans un marché de niche, venant simplement s’ajouter au trafic automobile actuel. Pas d’enthousiasme non plus pour la technologie en tant que telle mais plutôt la volonté de la mettre au service d’un changement plus global dans l’organisation de notre système de mobilité pour aller vers une mobilité plus inclusive et plus sûre, dans un cadre de vie plus agréable.
Pour cela, les citoyens souhaitent que les pouvoirs publics soient à la manœuvre. Ils attendent de ces derniers qu’ils soient particulièrement attentifs aux risques pour l’emploi, aux impacts sur l’environnement, à la diminution des inégalités face à la mobilité, à la protection des données personnelles, à l’amélioration du cadre de vie (pollution locale, sonore, visuelle, congestion…) et également à la préservation de la qualité du système de mobilité.
Ainsi, si l’arrivée des véhicules sans conducteur dans leurs vies est présentée comme un phénomène inéluctable par certains, les citoyens nous invitent à imaginer des scénarios alternatifs à celui dessiné par les constructeurs.
On peut en imaginer un qui diffère fortement par le nombre de véhicules autonomes sur les routes et par son impact sur l’environnement.
Pour répondre aux attentes des citoyens, l’arrivée du véhicule autonome doit être au service d’une transformation de notre système de mobilité en permettant par exemple la mise en place d’un système hybride de véhicules autonomes partagés, se substituant autant que possible à l’usage individuel de la voiture et complémentaire à l’offre de transports en commun. Les centres villes pourraient alors être désaturés et les territoires périurbains et ruraux désenclavés. Et pour cela, les citoyens sont prêts à faire évoluer leurs pratiques. Ils ont indiqué que l’autonomie pourrait favoriser un triple renoncement : à la conduite du véhicule, à sa possession et à la pratique de l’autosolisme.
Si ce scénario, plus proche des aspirations des citoyens permettrait effectivement d’amorcer une véritable transformation de notre système de déplacement, il resterait également très dépendant de l’extraction de matériaux rares. Il pose également un certain nombre de questions : Comment financer un tel système ? Comment le mettre en place sans se confronter à l’inertie de celui préexistant ? À quelles conditions accepterait-on de partager davantage ce véhicule qu’une voiture classique ? Ce scénario est également plus lointain et incertain car il s’appuie nécessairement sur une technologie mature, de niveau 5.
Ce délai est d’abord une bonne nouvelle. Le temps nécessaire au développement de la technologie offre une marge de manœuvre aux pouvoirs publics pour encadrer et orienter le modèle de développement. Ils pourront s’assurer qu’il soit au service des aspirations des citoyens et d’une mobilité plus raisonnée, plus propre et non le fruit de logiques économiques et de court terme. À l’heure où les pouvoirs publics se doivent d’imaginer une mobilité plus durable, ils vont devoir politiser le débat afin de faire valoir leur vision de la mobilité du futur.
Ce délai est également une donnée cruciale à prendre en compte dans la stratégie de lutte contre le réchauffement climatique. Les chiffres les plus récents montrent que le secteur des transports – un tiers des émissions de CO2 en France – dont 50% sont des émissions sont dues au trafic automobile, a vu ses émissions repartir à la hausse depuis 2015.
Pour respecter les engagements internationaux de la France sur le réchauffement climatique, les pouvoirs publics doivent agir sans attendre. Si après-demain le véhicule autonome permettra peut-être une véritable révolution de notre mobilité, aujourd’hui et demain encore il ne peut être qu’une niche. Et pour décarboner dès maintenant la mobilité il faudra soutenir et développer les alternatives à l’autosolisme comme le partage des véhicules, le recours aux modes actifs (vélo et marche) et l’usage des transports en commun. Il faut également ouvrir dès maintenant le chantier de la place de la mobilité dans nos vies : a-t-elle encore vocation à augmenter ? Il s’agit alors pour les pouvoirs publics de réaliser l’importance du travail qu’il leur reste à mener pour faire face aux défis posés par la voiture individuelle, sans placer de faux espoirs dans le véhicule autonome qui ne ferait que leur faire perdre un temps précieux.
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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