01/07/2019
Depuis que les Algérien.ne.s se sont mis en mouvement dans l’espace public, le 22 février 2019, la scène politique est rythmée par la déferlante de marches hebdomadaires, décrites par la presse comme autant de « tsunamis », dans les centres urbains des villes principales et secondaires du pays. L’attention, portée sur les revendications et les acquis progressifs du mouvement populaire, a jusqu’ici négligé les formes spatiales de sa mobilisation, pourtant au cœur de la renaissance de la société civile. Or, la lutte quotidienne pour (re)conquérir l’espace public est la raison d’être de ce soulèvement.
Article rédigé par Ghaliya N. Djelloul et Aniss M. Mezoued
En adoptant un regard à la fois sociologique et urbanistique, nous avons souhaité dans cet article analyser les ressorts spatiaux et leurs effets sur les espaces publics, autrement dit comment l’appropriation de l’espace public de la ville a permis l’ouverture d’une fenêtre politique et son maintien jusqu’à ce jour, pour revendiquer un changement radical du système de gouvernance et l’institution d’un État de droit.
Ce soulèvement, qui fut rapidement baptisé « révolution du sourire » grâce à l’extraordinaire processus d’accélération du temps induit par l’ampleur des marches et la multiplication des initiatives citoyennes (associatives, artistiques, professionnelles, syndicales, locales, etc.), a permis l’expression d’un imaginaire politique pacifique et la mise en pratique d’une forme de gouvernance horizontale. Faisant preuve dans l’organisation de ces marches d’un grand degré de responsabilité, allié à leur créativité, à leur humour et à l’intelligence collective, les Algériennes et Algériens dessinent un horizon de changement pacifique et inclusif, qui ne cesse d’attirer des foules de tout âge, genre, classe et ethnicité.
Image 1 : Durant les premières semaines, les marcheurs étaient rapidement contraints à l’immobilité en raison de la masse de participants. Cette photo illustre l’importance au sein du mouvement de la jeunesse et des références à la culture populaire internationale (ici le masque d’anonymous aux couleurs du drapeau algérien). © Khadidja Markemal
Grâce à leur pratique de la non-violence comme « ethos » et « pathos » (Butler, 2017), cette « révolution du sourire » abaisse les barrières et multiplie les leviers de « desserrement » qui permettent de faire advenir un espace public. Les marcheurs et les marcheuses, recouvrant un sens de la dignité par la mise en œuvre de leurs capacités citoyennes, désarment un régime qui orchestrait jusqu’alors l’incertitude au nom de la stabilité et participent à à la (re)création d’un ordre social. Leur mobilisation permet à la société civile de redécouvrir sa capacité d’agir et de transformer le cours de l’histoire en se remémorant des slogans comme : « un seul héros, le peuple ».
Image 2 : Les marches sont rythmées par des chants, dont les paroles expriment la souffrance et le besoin de liberté des jeunes, et le rythme de percussions qui insufflent aux rassemblements une ambiance festive et pacifique. Le répertoire reprend aussi bien des chants de supporters, que l'hymne national ou des chants patriotiques. © Khadidja Markemal
L’émergence de ce corps social dont les signaux faibles sont présents depuis quelques années (Mezoued, 2016), notamment dans le milieu artistique, permet d’une part une redécouverte de l’espace public au sens politique d’expression et de confrontation des idées (Habermas, 1971), et d’autre part une réappropriation de l’espace public de la ville dans ses dimensions matérielles. Les deux étant fortement liées, nous proposons dans ce texte de nous attarder sur la spatialité des événements pour mettre en relief les autres « coordonnées » (Sabourin, 1997) de la mobilisation, que sont le temps et le langage du groupe, qui rendent possible la production d’une « mémoire sociale » (Halbwachs, 1938) de cette expérience collective. Nous souhaitons ainsi comprendre comment cette société civile émergente (redécouverte, voire ressuscitée) s’organise pour maintenir et tenter de pérenniser la mobilisation dans l’espace et dans le temps.
En nous basant sur une formule reprise par les participants et commentateurs du mouvement, « c’est en marchant que l’on apprend à faire la révolution », nous montrerons comment l’ouverture de l’espace public est un processus d’apprentissage continu, produit par la pratique. Il n’est pas une phase délimitée ou un mouvement linéaire, mais plutôt le fruit d’une tension dynamique d’enchevêtrement des espaces-temps.
La mobilisation de la société civile chaque vendredi, qui voit « le peuple » renaître en tant que corps collectif dans les centres urbains de nombreuses villes du pays, est le fruit d’un processus « cognitif » et « affectif » qui prend place durant la semaine, sur internet comme dans l’espace public (Landriève, 2017). Aussi, la gestion quotidienne de l’information à travers les médias et les réseaux sociaux revêt un caractère crucial, car elle permet de « moduler » la représentation de la réalité, « de structurer la prise de conscience de problèmes spécifiques et leur donner un sens politique et culturel dans un processus d’interaction » (Nedelamann, 1987 : 186), ainsi que de créer un sentiment de solidarité entre les acteurs qui constituera « le ciment de la mobilisation » (Lolive, 1997 : 129).
Quelles sont les conditions de possibilité de la mise en mouvement (la capacité physique d’accès, de mouvement et d’appropriation de l’espace) et ses formes de réalisation ? Quelques éléments de réponse peuvent être avancés grâce au concept de « motilité », comme capacité et compétence à se mouvoir, (Kaufmann, Jemelin, 2008) des marcheurs et des marcheuses, défini comme le potentiel de mobilité, c’est-à-dire la mobilité en puissance. En amont du déplacement, les différents facteurs définissant les potentialités habituelles des mobilités algéroises sont ici fondamentalement déconstruits et reconstruits. L’accessibilité de l’hypercentre, lieu du rassemblement, est par exemple mise à mal par l’arrêt des transports en commun et notamment du métro, ainsi que par l’inaccessibilité des voiries centrales aux voitures (le mode principal de déplacement à Alger), qui sont réappropriées par les participant.e.s. Le stationnement est ainsi relégué à la périphérie, ce qui entraîne les manifestants à se déplacer sur de longues distances avant de rejoindre les lieux de rassemblement. De ce fait, les capacités physiques et/ou de « débrouille » (se lever tôt, faire du covoiturage, prendre un taxi, passer la nuit chez des amis ou de la famille dans le centre-ville, etc.) deviennent surdéterminantes par rapport aux potentialités liées à l’offre de transport et à l’accessibilité des lieux. La palme de l’ingéniosité revient sans conteste à ces jeunes de la wilaya (subdivision territoriale) voisine de Boumerdès, qui ont été jusqu’à affréter un bateau pour contourner les barrages et se rendre à Alger 1 !
Image 3 : À Alger, les transports en commun sont arrêtés le vendredi. © Khadidja Markemal
Ainsi, une forme d’appropriation et de compétences pour des mobilités alternatives se met en place chaque vendredi, tout en définissant de nouvelles spatialités du territoire algérois et de ses mobilités. Les rues dites secondaires deviennent des portes d’entrée (et de sortie) aux espaces de la mobilisation et des sortes de plateformes modales qui combinent stationnement et drop-off pour covoiturage ou chauffeurs divers. Elles induisent également de nombreux problèmes de stationnement et de nuisances (stationnements en double file des deux côtés de la rue, difficulté pour sortir, etc.). Alors qu’avant le 22 février, la journée du vendredi était rythmée par la prière collective que les fidèles accomplissaient dans leur quartier, et après laquelle seulement les routes commençaient à être remplies (vers 14 h), aujourd’hui les marcheurs et les marcheuses tentent d’arriver le plus tôt possible sur le lieu de rassemblement pour éviter les embouteillages. La prière collective a ainsi perdu de sa centralité dans la structuration de la journée, en raison des stratégies de mobilité.
Image 4 : À partir d’une certaine heure, la foule des marcheurs est telle qu’elle ne permet plus la circulation des voitures. Photo prise ici dans une des ruelles perpendiculaire aux avenues principales de la ville, lieu de concentration des manifestations. © Khadidja Markemal
Dans le sillage du Hirak 2 du 22 février, on assiste à une mobilisation de personnes, mais également de services et de dispositifs communicationnels qui ont contribué à étoffer le potentiel de mobilité et ainsi faciliter la mobilisation. L’usage des réseaux sociaux et des TIC a été déterminant pour aider à l’auto-organisation des manifestants, à travers des groupes Facebook existants (Info Trafic Algérie par exemple), ou créés pour l’occasion. De la même façon, les services de mobilité à la demande telle que Yassir 3, qui se fraie progressivement une part de marché dans la mobilité quotidienne et occasionnelle des Algérois, contribuent, avec les taxis, à compenser l’interruption des transports en commun et à rendre possible une accessibilité au plus proche des lieux de rassemblement, sans contrainte de stationnement.
Ces facilitateurs de la mobilité sont complémentés par ce que nous appelons des facilitateurs de la mobilisation, qui agissent directement ou indirectement sur la motilité même, et donc sur la mobilité, pendant les manifestations. C’est ainsi que se sont mis en place, dès la troisième semaine, des équipes de « brassards verts » qui diffusent, en amont de la marche du vendredi, des infos sur l’état des lieux (risque d’effondrement des bâtiments ou du sol, consignes de la marche du jour, carte indiquant les postes de secours médicaux, etc.). Le jour même, ils se mettent en mouvement à la recherche des lieux comportant un risque de mouvement de foule et se placent en hauteur pour indiquer à la foule le sens de la marche ou les ruelles par lesquelles s’échapper, et pour intervenir en cas de malaise ou d’incident. Il est intéressant de noter la manière dont les compétences physiques et urbaines sont déployées pour coordonner le corps collectif que constitue la foule, afin d’éviter qu’elle ne se transforme en source de danger pour les participant.e.s.
Image 5 : Carte diffusée sur la page des Brassards verts pour informer la population avant la marche du vendredi.
Une autre initiative intéressante est celle des « gilets oranges », apparus à la suite des heurts entre policiers et manifestant.e.s lors du neuvième vendredi. Ce groupe s’est mis sur pied pour s’interposer en tant que médiateurs entre ces corps, et éviter, justement, tout « corps-à-corps ».
Image 6 : Au fil des semaines, la mobilisation s’organise en amont : des consignes pour le bon déroulement de la marche et la sécurité des marcheurs et marcheuses sont diffusées. © Ghaliya Djelloul
À Alger, il est intéressant de noter combien la morphologie urbaine est utilisée aussi bien pour dissuader la mobilité « vers » (avec les barrages filtrant les accès à la wilaya d’Alger dès le jeudi matin ou l’enserrement des marcheurs par une file de fourgons les menant aux places de rassemblement), que pour contraindre à l’immobilité « dans » les lieux de la marche (avec des groupes de policiers formant des barrières physiques pour encadrer, quadriller et empêcher d’avancer). Mais la ville d’Alger est également utilisée comme ressource pour déjouer les obstacles et faciliter la mobilisation du mouvement populaire.
De ce fait, les facilitateurs de la mobilisation agissent en permanence pour déjouer le dispositif de contre-mobilisation mis progressivement en place depuis le début des marches. Il est important de relever également que ces agents ne sont a priori pas des représentants syndicaux ou des associatifs ayant l’habitude d’organiser des marches, mais de simples volontaires mobilisés par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Des espaces numériques aux espaces urbains, un processus continu de résistance émotionnelle et physique se met en place pour accéder et se déplacer dans la ville, face à l’« enclos » (Mbembe, 2016) mis en place par le régime. Les dimensions cognitive et affective sont donc centrales dans l’expérience de la mobilisation, et indiquent la présence de temporalités conflictuelles.
D’une part, la temporalité Hirak impose un rythme hebdomadaire, qui se maintient par la production en amont des émotions collectives nécessaires à la mobilisation du vendredi et en aval d’un discours politique présentant chaque marche comme un « événement » politique majeur, qui focalise l’attention (Wagner-Pacifici, 2017).
Image 7 : Le bruit de l’hélicoptère rôde toute la journée du vendredi, telle une épée de Damoclès qui rappelle la présence du pouvoir au « peuple ». © Khadidja Markemal
D’autre part, dans un contre-mouvement, le pouvoir tente quotidiennement de casser ce rythme par des retournements spectaculaires (comme l’incarcération de figures du régime), de l’intimidation, de la répression, des rumeurs et de la désinformation. Les manifestant.e.s sont ainsi confronté.e.s à un tiraillement émotionnel quotidien, et c’est grâce à la mobilisation continue durant la semaine, et notamment à la marche des étudiant.e.s du mardi, qu’ils surmontent la pression psychique et se préparent à affronter les difficultés et les risques de la marche du vendredi. C’est en imaginant et en se projetant dans un autre monde possible lors de l’espace-temps des marches du vendredi que les Algériennes et les Algériens trouvent les ressources cognitives et émotionnelles pour résister, au quotidien, au « path dependency » (North, 1990) d’une routine politique qui les dissuadait jusqu’ici de participer à la chose et à l’espace publics.
L’occupation de l’espace public de la ville à travers la revendication politique n’est pas chose nouvelle en Algérie. Elle trouve ses racines dans les mobilisations de la fin des années 1980, qui a abouti à l’ouverture démocratique du pays (passage du parti unique au multipartisme) et au gain lent mais progressif des libertés d’action et de revendication (libertés relatives de la presse écrite, d’association et de réunion). Cependant, la décennie noire (1990-2000), qui a suivi ce début de « transition démocratique » encore en chantier depuis trente ans, a entraîné le pays dans une instabilité sécuritaire et politique qui a mené à une hypersécurisation des établissements liés aux fonctions régaliennes de l’État d’une part, et de l’espace public d’autre part. Ce dispositif sécuritaire a provoqué un phénomène de confiscation du centre de la ville et de ses centralités symboliques (Mezoued, 2010), constituant jusque-là les lieux de rassemblement de toutes les mobilisations.
Ces dispositifs sécuritaires ont fini par transformer les pratiques urbaines, les modes de vie et les modes d’appropriation du territoire et de ses lieux (Mezoued, 2016b). Ces lieux symboliques (place des Martyrs, marches du palais du gouvernement, Boulevard Zighout Youssef, etc.) sont devenus progressivement des non-lieux (Auger, 1992), c’est-à-dire des espaces non appropriés et non vécus par les citoyens, et détachés progressivement des représentations collectives.
Image 8 : Barrages de police bloquant l’accès au haut de la ville, notamment vers le Palais du Peuple et la présidence de la République. Photo prise ici au niveau du Telemly, au pied de la fameuse unité d’habitation « aérohabitat ». © Yacine Ketfi
De ce fait, le mouvement du 22 février a progressivement réinventé des lieux symboliques par des moments d’immobilité et d’occupation de l’espace durant les marches. Ainsi, l’escalier de la Grande Poste, le tunnel des facultés, la place Maurice Audin et l’immeuble en chantier de la Parisienne sont devenus les nouveaux lieux symboliques de la contestation, constituant à la fois des espaces publics matériels et des espaces publics politiques. Les manifestants ont tenté d’atteindre d’autres espaces, notamment le palais d’El Mouradia, siège de la présidence de la République, dans les hauteurs de la ville, mais l’accès a été empêché le plus en aval possible (au sens du point le plus bas par rapport au relief de la ville).
Image 9 : Le tunnel des facultés a été un haut lieu symbolique, à forte intensité en raison du confinement et de la saturation du bruit, qui débouche sur la place Audin et le champ de lutte du début du boulevard Mohammed V, puis plus haut vers le Telemly et l’aérohabitat (photo précédente). ©Yacine Ketfi
Ces nouveaux lieux symboliques font donc l’objet de nouvelles confiscations destinées à mettre à mal la mobilisation. Le tunnel des facultés, par exemple, est complètement barricadé par les fourgons de la police depuis le neuvième vendredi, tandis que les marches de la grande poste ont été entourées de clôtures métalliques, sous prétexte de travaux, depuis le treizième vendredi.
Image 10 : Confiscation d’un des lieux les plus symboliques de la contestation : la Grande Poste. L’escalier a été barricadé sous prétexte de travaux sur les marches, puis sécurisé par les fourgonnettes de police. © Sofiane Bakouri
Dans un autre registre, la relation mobilité/immobilité contribue à définir certaines modalités spécifiques d’appropriation de l’espace public. C’est le cas notamment du « carré féministe », qui s’est mis en place au bout de la cinquième semaine au niveau de l’entrée de la faculté centrale. Profitant de l’ouverture de l’espace public, cet espace d’expression a attiré beaucoup de critiques, car on l’accuse de « séparatisme » et de tentative de troubler l’unité du mouvement : pourquoi en effet s’isoler dans un carré au lieu de participer à la marche collective ? Et pourquoi vouloir visibiliser les demandes spécifiques des femmes ? Ces accusations ont beaucoup servi de justifications aux violences qui ont visé les féministes.
Or, le collectif « Femmes algériennes pour un changement vers l’égalité » explique que le lancement de ce carré est le fruit d’une stratégie délibérée visant à mettre en place une manière, pour les femmes, de « se regrouper et de marcher ensemble 4 », à la fois pour palier à la difficulté de se rencontrer (en raison de contraintes et d’obstacles spécifiques à leurs pratiques de mobilité), tout en restant « dans » le mouvement, et non en dehors, puisqu’après une heure, le carré devient mobile. Cette modalité d’appropriation de l’espace public souligne leur volonté de « faire corps » politiquement, en tant que groupe minorisé, avant de s’intégrer à la marche, de manière à politiser la condition des femmes, derrière une barrière et des slogans communs.
Image 11 : Semaine après semaine, le carré féministe fait la place belle aux jeunes générations de féministes, qui rappellent le rôle qu’ont toujours joué les femmes dans les luttes algériennes. © Leila Saadna
La particularité du Hirak du 22 février est son caractère pacifique porté dès le début du mouvement avec le slogan Silmiya (qui signifie « pacifique », « non-violent »). Les différents agents de la mobilisation s’en sont saisis et œuvrent constamment pour maintenir ce caractère non-violent, malgré les tentatives de débordement et d’affrontements avec la police, qui restent marginales face à la force du caractère pacifique sur l’ensemble du territoire national. Malgré les nombreuses divergences d’idées qui apparaissent au fur et mesure que la mobilisation s’étend dans le temps, notamment concernant l’issue de la révolution et les formes que pourraient prendre la transition politique, la revendication de la Silmiya des manifestations et de l’occupation de l’espace public reste l’élément le plus consensuel. Il se traduit notamment par l’humour et le sens de l’autodérision qui puisent aussi bien dans des références culturelles algériennes que globales (séries télé, films, musique, etc.) pour défaire l’imaginaire de la violence politique et continuer à étendre « le domaine du possible » (Badis, 2019).
Image 12 : Le balai est un des symboles brandis pour symboliser, avec humour, le besoin d’assainissement de la classe politique algérienne. © Khadidja Markemal
La non-violence est donc le cadre que les marcheurs et les marcheuses se donnent pour permettre aux idées divergentes de cohabiter dans l’espace public. Les slogans « Yetne7aw ga3 ! Yet7asbou ga3 ! Netrabaw ga3 ! » 5 (« Qu’ils partent tous ! Qu’ils soient tous jugés ! Que nous nous éduquions tous ! ») expriment bien la volonté de rupture, mais également d’évolution vers une nouvelle forme de vivre-ensemble, où la non-violence, qui semble aujourd’hui former une nouvelle forme de « thérapie collective » (Carlier, 1995), garantirait enfin l’existence d’un lien civil.
Enfin, quoi de mieux que de conclure un texte sur la révolution en cours par un slogan, issu de son propre mouvement : « Marcher, c’est bon pour la santé. Manifester, c’est bon pour la dignité ! »
Augé, Marc. 1992. Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : Fayard.
Badis, Salah, 2019. « Extension du domaine du possible ». HuffPost Maghreb, 25.02.19. https://www.huffpostmaghreb.com/entry/extension-du-domaine-du-possible_mg_5c73cf3ee4b06cf6bb28632c?utm_hp_ref=mg-algerie
Butler, Judith. 2017. Interprétation de la non-violence. In: Botbol-Baum, Mylène (éd.), Judith Butler, du genre à la non-violence. Nantes : Cécile Defaut, p. 84-98.
Carlier, Omar. 1995. Entre nation et jihad: Histoire sociale des radicalismes algériens. Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
Djelloul, Ghaliya. 2019. « Algérie : quand la société civile renaît ». The Conversation France, 27.02.19. https://theconversation.com/algerie-quand-la-societe-civile-renait-112638
Habermas, Jürgen. 1997. Théorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard.
Halbwachs, Maurice. 1970. Morphologie sociale (1938). Paris : Armand Colin.
Kaufmann, Vincent et C. Jemelin. 2004. « La motilité, une forme de capital permettant d’éviter les irréversibilités socio-spatiales ? », Espaces et sociétés.
Landriève, Sylvie. 2017. « Mobilisation », Forum Vies Mobiles. https://fr.forumviesmobiles.org/reperes/mobilisation-3609
Lolive, Jacques. 1997. « La montée en généralité pour sortir du Nimby. La mobilisation associative contre le TGV Méditerranée ‘, Politix, vol. 10, no 39, p. 109-130.
Mbembe, Achille. 2016. Politiques de l’inimitié. Paris : La Découverte.
Mezoued, Aniss. 2010. Alger : du centre « confisqué » à l’éclatement des centralités. Notes de Recherche, EDT-Développement territorial.
Mezoued, Aniss. 2016a. Espace (s) public (s) d’Alger : les signaux faibles d’une reconstruction spatiale et d’une construction politique. Les cahiers raisonnance, p. 49-55.
Mezoued, Aniss. 2016 b. Terrorisme, d’Alger à Bruxelles. La Libre Belgique.
Nedelmann, Birgitta. 1987. « Individuals and Parties-Changes in Processes of Political Mobilization », European Sociological Review, vol. 3, no 3, p. 181-202.
North D. 1990. Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge : Cambridge University Press.
Paul Sabourin, « Perspective sur la mémoire sociale de Maurice Halbwachs », Sociologie et sociétés, vol XXIX, no 2, automne 1997, p. 139-161. Montréal : PUM.
Wagner-Pacifici, Robin, 2017, What is an Event. Chicago : Chicago University press.
1 https://www.huffpostmaghreb.com/entry/interdits-dacces-a-la-capitale-pour-manifester-ils-decident-dy-venir-par-barque_mg_5cc422dae4b04eb7ff9637f3 (consulté en juin 2019).
2 Signifiant littéralement « mouvement », ce terme a rapidement désigné le soulèvement de masse initié le 22 février, par inspiration des mobilisations similaires ayant eu cours dans la région. Sa prononciation la plus usitée en Algérie est « Harak ». Pour plus de d’informations, voir https://www.elwatan.com/edition/actualite/du-hirak-au-harak-tentative-de-lexique-17-05-2019 (consulté en juin 2019).
3 Équivalent 100 % Algérien d’Uber. Il existe aujourd’hui plusieurs compagnies de ce type, dont les plus importantes sont : Yassir, Temtem, Coursa, Wassalny et Amir.
4 Lors d’une conférence portant sur les « Violences contre les femmes : parlons-en! », le 29 mai, plusieurs membres du collectif s’expriment à ce sujet. Voir : https://www.facebook.com/lejounalducrisfeministealgerien/videos/2403810172973825 (consulté en juin 2019).
5 Les chiffres 3 et 7 remplacent les lettres عet ح, transcrites officiellement par ʿ et ḥ. Il s’agit de conventions courantes, et nous sommes ici fidèles à l’orthographe utilisée sur les pancartes.
La mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLes mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
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