Ni les innovations technologiques (l’amélioration des moteurs, les voitures électriques, …), ni les incitations à utiliser des moyens de transport peu polluants (vélo, transports collectifs…) ne parviennent pour l’instant à faire baisser les émissions de CO2 des transports en France. Face à cette impasse, les politiques commencent à réfléchir à limiter la quantité de déplacements carbonés. Peut-on imaginer une politique de limitation des déplacements carbonés qui soit équitable ? Est-ce que plafonner directement la quantité de déplacements polluants dévolus à chaque Français pourrait être une alternative à la taxe carbone ?
Ni les innovations technologiques (l’amélioration des moteurs, les voitures électriques,…), ni les incitations à utiliser des moyens de transport peu polluants (vélo, transports collectifs…) ne parviennent pour l’instant à faire baisser les émissions de CO2 des transports en France 1. Face à cette impasse, les politiques commencent à réfléchir à limiter la quantité déplacements carbonés. C’était l’objectif affiché de l’augmentation de la taxe carbone sur le carburant, qui s’est heurtée au mouvement des Gilets Jaunes ainsi qu’au rejet de la Convention citoyenne pour le Climat. Inéquitable dans la mesure où elle pèse plus fortement sur le budget des ménages les plus pauvres et elle est aussi inefficace parce qu’elle a peu d’effets sur les modes de vie des plus riches 2, pourtant les plus polluants. Peut-on imaginer une politique de limitation des déplacements carbonés qui soit équitable ? Est-ce que plafonner directement la quantité de déplacements polluants dévolus à chaque Français pourrait être une alternative à la taxe carbone ?
Cela présenterait au moins deux avantages que n’a pas la taxe :
Cela s’inscrit dans la réflexion plus générale sur l’intérêt d’attribuer des « quotas carbone » (ou crédits carbone), autrement dit des quantités limitées d’émissions de CO2, pour l’ensemble des activités humaines (habitat, mobilité, travail,…). L’idée, qui n’a pas bonne presse en France mais se voit de plus en plus discutée par la société civile, est désormais défendue par des chercheurs (comme Mathilde Szuba 3 ou Jean-Baptiste Fressoz 4), des élus (François Ruffin et Delphine Batho 5) et des militants (avec, par exemple, l’initiative des Assises du Climat menée par Pierre Calame 6). Le débat entre partisans et détracteurs se fait au niveau des principes et le rationnement des émissions n’avait encore jamais fait l’objet d’une étude de faisabilité pratique et chiffrée…
D’après l’enquête réalisée par le Forum Vies Mobiles pendant le confinement de printemps, 53% des français seraient favorables à des mesures de rationnement pour réduire le volume des déplacements, à condition que cette règle soit équitable et ne permette pas aux plus aisés d’y déroger 7.
Cette idée a déjà été expérimentée, comme récemment dans la ville de Lahti en Finlande, qui récompensait les habitants volontaires parvenant à ne pas dépasser leur quota de déplacements urbains polluants 8.
Le Forum Vies Mobiles a voulu évaluer la faisabilité, à l’échelle de la France, d’une politique de rationnement des déplacements les plus émetteurs de CO2, c’est-à-dire ceux effectués en voiture et en avion, pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 que s’est fixé le pays avec l’adoption de la Stratégie Nationale Bas Carbone 9. Le secteur des transports est aujourd’hui le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France (30% des émissions nationales en 2015). Ces émissions étant en totalité de nature énergétique, la stratégie vise une réduction de 28% des émissions en 2030 par rapport à 2015 et une décarbonation complète des transports à l’horizon 2050. Ces objectifs restent abstraits : comment respecter ces engagements et quels impacts concrets cela aura-t-il sur la vie des Français ?
Pour le savoir, le Forum Vies Mobiles a missionné le master Energie, écologie et société de l’Université de Paris dirigé par l’historien des transports et ingénieur Arnaud Passalacqua.
L’exercice a conduit ses étudiants à :
Les critères de pertinence du rationnement des déplacements carbonés :
En faisant le choix d’allouer à chacun, quels que soient ses revenus, le même droit à émettre en se déplaçant, le rationnement des déplacements carbonés se veut plus juste que la taxe carbone. Cette politique fait porter l’effort principal sur les personnes dont le mode de vie est le plus émetteur, autrement dit celles dont le pouvoir d’achat est le plus élevé. Rappelons que 40% des Français n’ont jamais pris l’avion, 30% ne le prennent pas plus d’une fois par an et seulement 15% le font plusieurs fois par an 10.
La définition d’un seuil identique d’émissions de CO2 à ne pas dépasser rend concret et partagé l’effort collectif à fournir pour lutter contre le réchauffement climatique contrairement à la taxe carbone qui n’impose pas de plafond, ne garantit pas de réduire les déplacements carbonés. et dont l’impact et l’affectation des recettes sont difficilement perceptibles par les citoyens.
Le rationnement est particulièrement adapté à la limitation des déplacements carbonés dans la mesure où il peut s’appuyer sur un système de contrôle préexistant puisque la distribution du carburant et la gestion des places sur les vols aériens sont déjà encadrés par les autorités publiques. Ces marchés ne se prêtent pas aisément à l’autoproduction (essence) ni au marché noir de leur distribution (billets d’avion nominatifs). A noter que pour une mise en œuvre réaliste, le scénario n’a pas pris en compte les vols internationaux.
En se focalisant sur les émissions directes liées au déplacement (achat de carburant ou de billets d’avion), il ne vise pas à limiter les émissions indirectes comme celle liées à la production des véhicules et ne se justifie que tant que la flotte en circulation est essentiellement thermique.
Le rationnement des déplacements carbonés est bel et bien possible. Sa mise en œuvre serait facilitée par l’adoption de règles de gestion et d’instruments de contrôle peu nombreux et souples, indispensables pour en éviter la bureaucratisation :
La simulation du rationnement des déplacements carbonés sur des modes de vie d’habitants suscite une prise de conscience. Le modèle des étudiants a la vertu de montrer que le respect des engagements pris dans la SNBC nécessite de repenser entièrement le système de déplacements : par exemple en développant les transports collectifs cadencés dans les zones périphériques et en visant un rapprochement des lieux d’emplois et de vie.
À titre d’exemple, dans les profils testés (voir ci-après), un cadre moyen comme Sylvain se déplaçant régulièrement pour son travail (en voiture et en avion) sera obligé de réduire ses émissions de carbone de 6% dès 2030, de plus de 40% en 2040 et de 97% en 2050 passant de 3,1 tCO2 en 2021 à 0,1 tCO2 en 2050. Une évolution complète de ses déplacements pour le travail est nécessaire. Il faudra limiter les déplacements domicile-travail en privilégiant le télétravail ou en covoiturant. Il devra arrêter de prendre l’avion en 2040 et, à terme, déménager ou acheter une petite voiture électrique.
Autre exemple, celui de la mobilité personnelle d’Anaïs, étudiante en 2021. On constate qu’en 2030 et 2040 elle n’aura pas besoin de réduire ses déplacements carbonés déjà très limités, à peine 0,2 tCO2 en 2021. Malgré tout, elle devra faire un effort important à horizon 2050 en réduisant de 83% ses émissions. Cela veut dire concrètement qu’à l’issue de ses études, elle devra conserver un mode de vie sobre en CO2. Pour cela, elle devra favoriser des destinations proches de son lieu d’habitation pour les vacances ou choisir des modes de déplacement, peut-être plus lents, mais décarbonés : réseau européen de train, train de nuit, ... Pour ses déplacements quotidiens, si elle a besoin d’une voiture, elle devra privilégier les services de covoiturage ou acheter un petit véhicule électrique.
À ce stade de l’analyse, le rationnement paraît une alternative à la taxe carbone intéressante à explorer pour réduire les émissions de CO2 liées aux déplacements et contribuer à limiter le réchauffement planétaire. Plusieurs points restent à creuser comme l’intérêt de jumeler rationnement des émissions liées aux déplacements et à l’habitat. L’instauration du rationnement des déplacements carbonés dans l’hexagone interroge aussi notre capacité à accepter dans le même temps des déplacements illimités par les étrangers sur notre sol (touristes, camionneurs, …). Cette zone de friction entre droits des résidents et droits des non-résidents pourrait notamment être étudiée au cours d’expérimentations locales (métropole, région,…). Ces expérimentations auraient assurément le mérite de sensibiliser acteurs politiques et citoyens à l’ampleur des transformations à mener en termes d’organisation sociale et territoriale compte tenu de la situation climatique.
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1 Réduire l’empreinte carbone de la mobilité, quelles politiques en France ?, forumviesmobiles.org
2 Comme cela été reconnu dans le « Rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2021.
3 Libération, Mathilde Szuba : « Il faut réguler politiquement l’ensemble de la consommation à des fins de justice», juillet 2019.
4 Le Monde, Jean-Baptiste Fressoz, « Rationner le transport est beaucoup plus démocratique qu’augmenter les taxes sur le CO2 », août 2019.
5 Assemblée nationale, Proposition de loi visant à instaurer un quota carbone individuel pour limiter l’usage de l’avion, présentée par M. François RUFFIN et Mme Delphine BATHO, juin 2020.
6 Le Monde, Pierre Calame : « Contre le réchauffement climatique, il faut instaurer une obligation de résultat », mars 2020.
7 Enquête sur les impacts du confinement sur les modes de vie et la mobilité des Français, forumviesmobiles.org
9 Ministère de la transition écologique, La Stratégie Nationale Bas Carbone
10 Ministère de la transition écologique, Enquête nationale transports et déplacements (ENTD) 2008
Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
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