7 octobre 2021
Dans le cadre de la Mission sur l'avenir du modèle économique des transports en commun confiée par le ministre des Transports à Philippe Duron en 2021, le Forum Vies Mobiles a présenté son analyse du système de mobilité actuel et son programme pour une décarbonation efficace des transports en France autour de trois axes : intégrer la mobilité dans un système global, développer une intermodalité efficace et rester au plus près des territoires.
Le Forum Vies Mobiles travaille sur le temps long et réfléchit à l’horizon 2030/2050. La question à laquelle il se propose de contribuer à travers son audition est : que peut-il être fait dans le domaine des transports collectifs, à la sortie de la crise sanitaire de la Covid-19, qui sera utile pour les 10 à 30 prochaines années ?
La mobilité des personnes en France est fondée sur un système de déplacement dominé par la voiture à pétrole et les modes de vie sont encastrés dans ce système :
Au XXe siècle, nos modes de vie ont été réorganisés par ce que certains spécialistes ont appelé le « tournant de la mobilité ». Ils se sont réorganisés et réinventés autour de la voiture, de la flexibilité qu’elle nous offre et de sa vitesse : vitesse physique et vitesse économique puisqu’il n’a jamais été aussi peu coûteux de posséder et d’utiliser une voiture qu’aujourd’hui. Dans le même temps, le territoire a également été transformé : adaptation des villes à la voiture selon les principes de l’aménagement fonctionnaliste, développement des espaces périurbains, des grandes infrastructures routières, etc.
Il s’agit d’un système produit par la collectivité. Les voitures, bien que généralement possédées ou utilisées individuellement, ne peuvent rouler que parce qu’il existe des infrastructures publiques qui les accueillent dans le cadre d’un usage « commun » de la voirie avec les autres modes. On se propose donc d’élargir le champ de la réflexion pour ne pas penser qu’aux transports collectifs, mais plus largement au système social et territorial collectif dans lequel ils trouvent leur place et qui relève de l’action publique.
Alors que la sortie de crise nécessite une mobilisation collective, il nous semble légitime et nécessaire de redéfinir ce qui est de l’ordre du collectif.
La mobilité a été au cœur des préoccupations du mouvement des Gilets Jaunes. Il trouve son origine dans plusieurs événements ayant trait à la mobilité (projet de taxe carbone, révision des modalités du contrôle technique, limitation des vitesses à 80km/h) et a pris pour symbole l’univers de la route (occupation des ronds-points, gilet de sécurité routière).
À travers la revendication d’une taxation du kérozène avant de taxer l’essence des particuliers, le mouvement dénonce les inégalités face à la mobilité et effectivement, il existe des disparités très importantes entre les Français avec :
Mais, si en moyenne, plus on est riche, plus on se déplace, on peut aussi être très modeste et passer beaucoup de temps à se déplacer.
La crise s’inscrit dans un contexte où la « dépendance à la voiture » est particulièrement prégnante dans les milieux peu denses, éloignés des services et des lignes de transport collectif, ou quand il s’agit simplement de rejoindre une périphérie urbaine à une autre, et particulièrement coûteuse pour les plus démunis, alors que l’injonction à la mobilité est toujours plus forte pour le travail, pour accéder aux services, pour affirmer son statut social, etc. . : les Gilets Jaunes sont souvent des actifs modestes qui ont besoin de leur véhicule pour travailler (ambulanciers, aides à domicile,…), comme près de 40% des actifs désormais, qui se déplacent quotidiennement ou presque pour leur travail, qu’ils soient chauffeurs de taxis ou de camions, conducteurs de train ou désormais livreurs mais aussi lignards, jardiniers paysagistes, commerciaux ou infirmières.
Tous les métiers ne sont pas télétravaillables, la crise de la Covid19 en témoigne, et on comprend pourquoi, que ce soit sur la plateforme du Vrai Débat ou dans le cadre du Grand Débat, les gens demandent des infrastructures et des politiques cohérentes 2.
Avant la crise sanitaire, nous assistions à une augmentation continue des kilomètres parcourus et des temps de déplacement dans un contexte d’augmentation de la population nationale : on constate que le volume global de déplacements augmente sans discontinuer et que ces derniers restent dominés par la voiture.
Or, il est important de noter que les déplacements habituels sont structurés par le travail :
Dans ce contexte d’augmentation globale du volume de déplacements dominés par la voiture individuelle, se pose la question d’un possible découplage entre la croissance des kilomètres parcourus et les émissions de CO2.
Jusque-là, les politiques ont avant tout misé sur la technologie : performance énergétique du carburant et des véhicules, report modal et amélioration de l’occupation des véhicules. Sans succès ! Les émissions du transport continuent à augmenter 4.
Source : Aurélien Bigo
On continue aujourd’hui à s’en remettre à l’innovation technologique : véhicule électrique, véhicule autonome, etc. Pourtant leur contribution à la transition est à minima contestée sinon négative 5. Les politiques n’osent pas penser à réduire les déplacements, autrement que via la taxation du carburant qui a été rejetée.
Peut-on concevoir autrement la réduction des déplacements 6 ? Cela nécessiterait des politiques plus articulées qu’elles ne le sont actuellement entre SNBC / LOM / santé / aménagement du territoire 7. Nous proposons de nous appuyer sur les aspirations de la population.
Pour le Forum, la crise sociale révèle une crise démocratique : on constate une aspiration très largement partagée à ralentir et à vivre en plus grande proximité, à contre-courant des modèles d’organisation contemporains 8 et qui peut converger avec la nécessité de réduire notre empreinte écologique. La très grande ville est de plus en plus repoussoir. Au premier chef, la région parisienne. Pourtant, les élus mettent en œuvre des politiques pour essayer de la faire grandir toujours davantage.
Quelle pourrait être la place des transports collectifs dans un monde plus égalitaire où le volume des déplacements diminuerait, c’est-à-dire où on irait moins vite donc moins loin pour des raisons écologiques mais aussi sociales, dans la mesure où, sur 12.000 personnes interrogées dans le monde en 2016 la moitié souhaiterait pouvoir vivre au quotidien à moins de 30 km et l’autre à moins de 30 mn, aspirations confortées par l’expérience vécue avec la crise sanitaire.
Cette diminution de la fréquentation est le fruit de :
Le vélo et la marche vont voir, ou voient déjà, leurs parts modales augmenter :
Et ce, d’autant plus que la population « cible » est importante : 30% des Français pratiquent leurs activités à moins de 9 kilomètres de leur domicile et 60% des actifs travaillent à moins de 9 kilomètres de leur domicile 11.
Près d’un tiers des actifs ont télétravaillé pendant le premier confinement 12, une expérience complètement nouvelle pour près d’1 actif sur 4. Cette dernière est d’ailleurs appréciée par une partie des télétravailleurs : plus d’1 sur 2 ont apprécié l’expérience 13.
On peut donc anticiper une augmentation de la pratique du télétravail par rapport à la situation pré-Covid-19. Cette dernière restera néanmoins modérée puisque près de 20% des actifs estiment qu’ils pratiqueront le télétravail au moins 2 fois par semaine à l’avenir dont 4% seulement à plein temps 14.
Tous les territoires voient leur population augmenter. Alors que l’on a connu une période d’exode rural jusque dans les années 90, on constate depuis plusieurs années que la population augmente partout même dans les campagnes.
Mais sommes-nous aujourd’hui à un possible point de bascule vers un exode urbain ? Un Francilien sur deux souhaitait quitter l’IDF avant la crise 15. Et ce, avant tout pour s’installer dans une ville petite ou moyenne ou dans la campagne et 39% disent que la crise a renforcé leur souhait de partir. Un quart des habitants des autres métropoles souhaitent déménager dans une ville petite ou moyenne 16.
La possibilité de télétravailler peut modifier cet équilibre et amplifier cette tendance en rendant ce rêve plus accessible : le premier frein au départ en IDF avant la crise était l’emploi.
Plutôt que de simplement remettre en question la place des transports collectifs, la crise de la Covid-19, peut et doit être l’occasion de penser le système de mobilité du futur, soutenable sur le plan écologique et social, et de commencer à le déployer. Ce nouveau « tournant de la mobilité » peut être aussi révolutionnaire que celui qui a eu lieu au XXe siècle avec la diffusion du système voiture.
Aujourd’hui, les aspirations des habitants vont dans le sens de la prise en compte des enjeux écologiques, si on leur permet de se projeter dans un système alternatif. Pour réduire le volume global des déplacements carbonés, il faut que la puissance publique conçoive un système complet, et le pense comme un bien commun.
Cela signifierait :
Par hypothèse, décarboner les transports c’est, pour le Forum, aller moins vite et donc, moins loin au quotidien. Cela amène à revoir l’aménagement du territoire, à identifier les impasses créées par le système actuel où prédomine la voiture individuelle et à réfléchir à la hiérarchisation spatiale de l’offre de transports. Nos propositions s’appuient sur des modèles existants, les mixent et les adaptent au territoire français, sa taille, sa densité, son organisation :
Partant du diagnostic et des modèles susvisés, les propositions du Forum Vies Mobiles pour un système de mobilité durable et fonctionnel sont de 3 ordres :
i) Donner aux AOM la compétence « système de mobilité » de leurs territoires : transports collectifs ferrés et routier et voiture
ii) Développer les modes et leurs infrastructures en fonction des distances qu’ils permettent de parcourir
iii) Penser les systèmes de déplacement à l’échelle des bassins de vie
iv) Intégrer la politique de santé (la sédentarité, station assise, est la principale cause de la baisse de l’‘espérance de vie en bonne santé)
i) Avoir la possibilité de déléguer aux opérateurs la gestion d’un système intermodal local (par exemple : transports collectifs, marche et stationnement) ii) Avoir la possibilité de mutualiser coûts et recettes de différents secteurs : modes actifs, TC et route (stationnement, péage, etc.)
i) Impliquer les entreprises dans la modération des déplacements rapides de leurs salariés, par :
ii) Impliquer les entreprises dans le dimensionnement et le fonctionnement du système de mobilité grâce à :
i) Marche / Voiture : combien de routes secondaires où on peut marcher sur l’accotement ?
ii) Vélo / Voiture : combien de routes où on peut faire du vélo en toute sécurité ? avec des enfants ?
Réallouer une partie du réseau routier aux modes lents, sans rupture à l’échelle métropolitaine, voire comme aux Pays-Bas, à l’échelle des bassins de vie et des espaces ruraux, pour qu’il soit agréable, efficace et sûr.
i) Gare ferroviaire / gare routière : combien de gares où les horaires des trains correspondent avec ceux des cars ?
ii) Marche / Train : combien de gares où on peut langer un enfant ? accéder en fauteuil roulant ?
iii) Vélo / Train : combien de gares avec un parking à vélos sécurisé ? combien de trains dans lesquels pouvoir monter avec son vélo ?
Développer parkings à vélos sécurisés et facilement accessibles, possibilité d’embarquer les vélos à bord dans les trains (notamment hors des heures de pointe), parking relais.
i) Poursuivre l’Intégration de l’information voyageurs sur tous les modes existants (scolaires, d’entreprises, …), voire la tarification sur des « plateformes d’information et d’achat » accessible à tous les usagers
ii) Poursuivre l’intégration de la signalétique « déplacements », temps et distance, quel que soit le mode à emprunter
Elle doit tenir compte de l’évolution démographique annoncée qui n’est pas sans impact sur le système de mobilité du futur, avec 3 éléments majeurs :
i) Remailler le territoire de connexions interurbaines structurantes, plus denses et plus régulières en transports collectifs, train ou cars
i) Diminuer progressivement l’utilisation de la voiture solo grâce à la socialisation de son usage à certaines heures voire son abandon (cf réseau de recherche mondial sur les villes sans voitures)
i) Rendre accessible et mutualiser l’offre existante souvent mal connue ou réservée
ii) Dédier une partie du réseau existant aux modes actifs 17
iii) Créer un service minimum
iv) Déployer une filière industrielle de véhicules légers voire low tech et hybrides voyageurs/marchandises pour le transport de petites charges
1 Enquête Nationale Mobilité et Modes de Vie 2020, Forum Vies Mobiles, 2020
3 Enquête Nationale Mobilité et Modes de Vie 2020, Forum Vies Mobiles, 2020
7 Décarboner la mobilité : quelles politiques en France ? Forum Vies Mobiles, 2020
9 Observatoire des mobilités émergentes, Obsoco/Chronos, 2020
10 Enquête sur les impacts du confinement sur la mobilité des Français, Forum Vies Mobiles, 2020
11 Enquête Nationale Mobilité et Modes de Vie 2020, Forum Vies Mobiles, 2020
12 Enquête sur les impacts du confinement sur la mobilité des Français, Forum Vies Mobiles, 2020
13 Enquête sur les impacts du confinement sur la mobilité des Français, Forum Vies Mobiles, 2020
14 Observatoire des mobilités émergentes, Obsoco/Chronos, 2020
15 Enquête sur l’aspiration à quitter l’Île-de-France, Forum Vies Mobiles, 2020
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xLa mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
En savoir plus xExercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLes mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
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