Pour pouvoir se passer véritablement de la voiture individuelle et répondre à l’urgence écologique, il faut sortir de l’impuissance politique de manière efficace et ordonnée. Pierre Helwig propose une réinvention radicale des mobilités en France en utilisant les infrastructures existantes pour développer les modes collectifs et actifs et en relançant activement l’aménagement du territoire pour réduire et rationaliser les déplacements. Il livre ainsi une feuille de route ambitieuse, crédible – et chiffrée ! – pour atteindre les objectifs français de décarbonation.
La stratégie nationale bas carbone engage la France à diminuer drastiquement l’empreinte carbone de l’ensemble des secteurs d’activité, et notamment celui des transports représentant à lui seul 30% des émissions de gaz à effet de serre 1. Pour répondre aux besoins de mobilité et garantir une accessibilité de tous les territoires tout en engageant une réduction structurelle de l’empreinte carbone, plusieurs leviers doivent être activés simultanément : organiser un report modal vers des solutions de déplacement sobres en énergie, améliorer le remplissage des véhicules, diminuer des distances parcourues, rééquilibrer le territoire entre les grandes métropoles, les villes, les villages et les zones rurales.
Pour opérer la transition des mobilités en quelques années, il apparaît inévitable de déployer des solutions crédibles, fonctionnelles et soutenables afin d’assurer des mobilités durables sur tous les territoires sans distinction, et pour cela, de s’appuyer prioritairement sur les infrastructures existantes pour modifier leurs usages. En effet l’aménagement du territoire dont nous héritons est le résultat de nos politiques passées, mais ne saurait être le motif d’inégalités dans l’accès aux mobilités alternatives à la voiture individuelle. Or aujourd’hui en France, les rares endroits où l’on peut concrètement se passer de voiture sont Paris, une partie de la région parisienne et de rares centres urbains, et ne concernent donc que quelques millions de personnes sur les 67 millions de Français. Sur le reste du territoire métropolitain, se passer de voiture est en pratique impossible, malgré les investissements massifs engagés depuis plus de 30 ans dans la recréation de réseaux lourds de transport en commun en site propre (métros, tramways et bus à haut niveau de service) qui n’ont fondamentalement pas changé la donne.
Au vu de la dynamique actuelle et faute de réorientation profonde de notre stratégie collective, décarboner les transports d’ici 10 ans constitue donc un défi inatteignable.
Cet article découle d’un double constat : d’une part celui d’une organisation de la décision embrouillée et complexifiée par 40 ans de décentralisation, qui nous conduit à une réinvention perpétuelle de solutions locales, source d’un peu d'innovations mais de beaucoup d'errements, d’inerties, de gaspillages, et in fine d’une impuissance à d’agir de manière efficace et coordonnée .
D’autre part, l’urgence dans laquelle il nous faut désormais agir pour lutter efficacement contre le changement climatique ne nous laisse plus le droit à l’erreur, et il n’est plus possible de laisser cheminer chaque acteur, chaque territoire, chaque collectivité avec son propre agenda et son propre référentiel, sans que ne soit mise en place une véritable refonte des modes de décision et des outils de coordination des politiques en matière d’aménagement du territoire.
Reposant sur plus d’une décennie d'expériences de terrain, d'analyses de projets sous différents angles ayant permis d’identifier les similitudes et les spécificités d’approches, cet article tente de formuler une démarche synthétique susceptible de surmonter les impasses auxquelles nous sommes collectivement confrontés, pour pouvoir reprendre la maîtrise de nos choix collectifs et engager concrètement et rapidement une évolution coordonnée des offres de transport et de l’aménagement du territoire, qui est générateur des flux futurs, mais aussi le fruit de choix passés en matière d’infrastructures, de localisation d’activités et de mode de décision.
Organiser les déplacements quotidiens à l’échelle des départements permettrait d’embrasser véritablement les bassins de vie, de mêler les zones rurales aux pôles urbains, et de mettre en place une offre de mobilité suffisamment qualitative pour répondre à l’essentiel des besoins sans nécessiter de voiture personnelle. Refonder l’organisation des mobilités à l’échelle départementale viserait le déploiement d’une offre ferroviaire métropolitaine économique et performante autour de la ville centre et entre les villes secondaires, d’un maillage par des bus et cars express sur tous les grands axes, et d’un encouragement massif aux modes actifs . Au cœur de cette transformation résiderait l’adaptation des voiries existantes pour prioriser partout les modes collectifs et actifs en lieu et place de l’automobile.
Ces principes un peu théoriques mériteront évidemment d’être déclinés aux spécificités et aux caractéristiques de chaque territoire. Cependant, l’article ambitionne de fournir un cadre de raisonnement clarifié et renouvelé pour imaginer une organisation plus sobre des mobilités et éviter de porter des projets qui s’avèreraient inutiles ou inadaptés aux besoins de la transition.
La loi d’orientation des mobilités (Loi LOM) adoptée le 26 décembre 2019 s’est fixée comme objectif de supprimer les zones blanches de la mobilité en France. Par son article 8, elle prévoit ainsi que l’intégralité du territoire français soit couverte par une autorité organisatrice de la mobilité (AOM). Il s’agissait de compléter la couverture du territoire en confiant aux petites intercommunalités le soin de décider de la prise de compétence mobilités, puisque jusqu’alors, seules les grandes agglomérations (communautés d’agglomération, communautés urbaines et métropoles) avaient la responsabilité d’organiser des offres de mobilité sur leur ressort territorial (RT).
Prendre la compétence consiste à autoriser chaque intercommunalité à organiser ses propres offres de mobilité sur son territoire, ainsi qu’à lever un impôt spécifique pour en assurer le financement, le « versement mobilité » 2 (VM), acquitté par les entreprises implantées sur son sol en fonction de leur masse salariale. À défaut de prise de compétence, c’est la Région, en tant qu’autorité organisatrice de premier rang, qui assure la desserte par ses propres moyens.
Une telle approche relève de sérieux biais en ne permettant vraisemblablement pas de lever effectivement le déficit d’offres de mobilités alternatives à la voiture dans les territoires de faible et moyennes densités, qu’ils soient situés en périphérie de grandes agglomérations ou plus encore en contexte rural. En effet, il ne peut suffire d’autoriser une intercommunalité à lever un impôt sur les entreprises pour que, par magie, cela lui permette de développer des solutions crédibles et suffisamment attractives pour répondre aux besoins de mobilité.
D’une part, les ressources de ces nouvelles AOM périphériques et rurales seront pour la plupart d’entre elles extrêmement faibles, étant donné que les entreprises appelées à financer le VM se trouvent généralement situées au sein des plus grandes agglomérations qui concentrent l’essentiel des emplois du département. Or ce sont ces ressources qui servent jusqu’à présent à financer des offres de mobilité déployées au sein de ces grandes agglomérations. Faute d’un mécanisme de solidarité entre les plus grandes intercommunalités où se trouvent les emplois, et les plus petites où résident les personnes qui dépendent de la grande intercommunalité pour leur travail, les loisirs, les équipements et administrations, la tâche est assurément vaine.
D’autre part, du fait de la mobilité facilitée au cours des dernières décennies et de la formidable extension des aires urbaines, l’aire de rayonnement et d’attraction des grandes villes dépasse désormais systématiquement les limites spatiales des intercommunalités. Par conséquent, les offres de mobilité « urbaines » restreintes au strict ressort territorial de ces intercommunalités manquent souvent de pertinence et d’attractivité (en fréquence et en temps de parcours) pour les déplacements en échange avec les territoires situés aux franges de ces intercommunalités.
Figure 1 : Ressorts territoriaux des AOM (Cerema, 2020) // Aires d’attraction des zones urbaines (INSEE, 2020)
Enfin, la coordination des offres urbaines organisées par les AOM centrales ou périphériques avec les offres ferroviaires et routières interurbaines organisées désormais par les Régions se pose de manière évidente. Or en la matière, nous sommes encore très loin de converger vers une offre harmonieuse, maillée, clarifiée en termes de service (fréquence, horaire, amplitude), d’information (plans et sites), de tarification, tant à l’échelle des bassins de vie qu’au-delà.
Pour toutes ces raisons, nous proposons dans ce qui suit des pistes pour concevoir une transformation radicale du mode d’organisation de la mobilité en France, tant en termes de structure et de consistance des offres (volet technique), de tarification et de financement (volet économique) que d’ organisation et de coordination des choix (volet institutionnel).
La condition première pour amorcer la transition suppose de permettre à tous de continuer à vivre et à se déplacer comme ils l’ont fait jusqu’alors, sans nécessiter de recourir à une voiture.
Y parvenir suppose de commencer par offrir des solutions de mobilité alternatives qui soient véritablement crédibles pour chacun, pour tous les usages, sur tous les territoires déjà urbanisés, et qui puissent être déployées à court terme et mises en œuvre à moyens constants.
Pour organiser une accessibilité de tous les territoires sans voiture, il convient de déployer un maillage multimodal à l’échelle de tous les bassins de vie, c’est-à-dire par le déploiement :
Pour encourager une pratique massive et attractive de la marche, du vélo et des nouvelles mobilités (trottinettes, mono-roues, rollers…) mais également des personnes à mobilité réduite, la première chose à faire serait de leur accorder toute la place et l’attention qu’ils méritent dans l’espace public. Cela nécessite donc que chaque voirie existant aujourd’hui sur le territoire évolue pour que l’on puisse s’y déplacer sans être doté d’un véhicule motorisé.
Ce qui devrait constituer un droit de base à l’heure de l’impératif de sobriété énergétique et de contrainte climatique est en pratique bien loin d’être vérifié, au sein-même des villes, mais plus encore en dehors. En effet, combien d’itinéraires cyclables existent en France et parmi eux, combien sont constitués d’aménagements réellement sécurisés, continus, assez larges pour qu’une pratique quotidienne du vélo soit véritablement confortable et enviable pour tous les publics ?
En zone rurale , un maillage fin du territoire devra être assuré pour l’ensemble des mobilités actives. Sur les axes très circulés, essentiellement les routes départementales, l’aménagement systématique d’un large trottoir cyclable, par ailleurs éclairé au passage des piétons ou descyclistes, devra permettre de protéger ces modes actifs plus vulnérables. Sur les axes moins circulés, la cohabitation des modes actifs avec les véhicules motorisés sera assurée par une inversion des priorités grâce à leur transformation en vélorue avec limitation à 30km/h. Une cartographie et un jalonnement clarifié devra permettre de se déplacer aisément partout.
Figure 2 : Les routes départementales en France sont généralement réservées aux seuls véhicules motorisés, faute d’aménagement des abords pour les piétons et les cyclistes (Pierre Helwig)
Figure 3 : Densité comparée du maillage cyclable entre la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne (Openstreetmap)
Figure 4 : Adapter les abords des routes départementales doit permettre d’accueillir des modes doux, y compris hors des villes et des villages (Pierre Helwig avec Streetmix)
Figure 5 : Exemple d’adaptation d’une route départementale pour favoriser et sécuriser les mobilités actives : large trottoir cyclable, éclairé de nuit, séparé de la chaussée et continu en traversée des villages (Pierre Helwig).
Figure 6 : Exemple de transformation simple des chemins vicinaux en autoroutes à vélo sécurisées par la mise en place de jalonnement, parfois d’un éclairage, et de la priorité sur les véhicules agricoles (Pierre Helwig)
Cette mesure vise d’une part à doubler les routes les plus fréquentées pour sécuriser la marche et le vélo. En estimant que 20% des routes départementales puissent être dotées d’un trottoir cyclable dénivelé et éclairé aménagé sur les bas-côtés, sans acquisitions foncières, le coût d’investissement estimé à 0,5 M€ / km reviendrait à 376 M€ / département (T1.a) 3.
Pour offrir des itinéraires alternatifs aux grands axes, il est proposé de transformer les chemins vicinaux existant en véloroutes ouvertes aux usages agricoles. En réaménageant 20% des chemins communaux par un renforcement de la chaussée, la mise en place d’une couche de forme et d’un jalonnement, l’investissement estimé à 0,1 M€ / km reviendrait à 139 M€ / département (T1.b) .
Les coûts d’entretien (maintenance, nettoyage, viabilité hivernale) de ces aménagements n’ont pas été considérés comme des surcoûts par rapport à ce qui est déjà réalisé sur ces voiries.
En zone urbaine , chaque voirie devra garantir un accès fluide et sécurisé aux modes actifs. Cela implique une nouvelle hiérarchisation viaire dans laquelle les grands axes seront dotés de larges trottoirs et de voies cyclables sécurisées prises sur la voirie générale, tandis que les axes secondaires évolueront en vélorues, voire en rues totalement piétonnes en fonction de leur configuration et de l’évolution possible du plan de circulation. Les rues piétonnes seront particulièrement adaptées pour assurer les livraisons des commerces et la logistique urbaine.
Figure 7 : Partage de l’espace dans les voiries n’ayant pas vocation à accueillir de transport public : en haut, trottoirs élargis et pistes cyclables prises sur la chaussée ; en bas, rues résidentielles piétonnisées et apaisées (Pierre Helwig avec Streetmix)
Figure 8 : Les rues piétonnes avec plots rétractables sont propices à l’organisation de livraisons en matinée (Pierre Helwig)
Il est proposé de revoir le partage de la voirie en zone urbaine et de mieux hiérarchiser les réseaux viaires pour prioriser les modes actifs, vélo et marche, sur tous les axes, mais aussi les bus et cars sur les voies principales grâce à des sites propres, en réaffectant de la chaussée initialement dédiée à la voiture individuelle et à la circulation générale. Pour cela, sans travaux lourds de réaménagement, nous proposons d’opérer des mesures légères : peintures au sol, mise en place d’un jalonnement clarifié, reprises ponctuelles du revêtement et des carrefours. Le coût d’investissement estimé à 0,05 M€ / km, appliqué à la moitié des voiries communales, représenterait un total de 174 M€ / département (T2) .
L’offre de transport public produite sur le territoire français apparaît largement inadaptée aux enjeux de la transition car elle répond mal à la diversité des besoins de mobilité. En effet, malgré la priorité affichée et les importants investissements consentis, leur utilité demeure encore largement insuffisante au vu de leurs parts très modestes face à la voiture, en parts modales et davantage encore en voyageurs-kilomètres, puisque les transports motorisés individuels représentent 80,6% de ceux-ci, contre 19,4% pour les transports collectifs, dont 11,5% pour le ferroviaire, 6,2% pour le transport urbain et 1,7% pour l’aérien 4. Inverser rapidement la situation nécessite d’accroitre structurellement l’attractivité relative des transports publics face à la voiture individuelle, ce qui suppose donc de lever certains freins consubstantiels à leur (dés)organisation actuelle.
Aujourd’hui, chaque collectivité disposant de la compétence mobilité est libre de mettre en place son propre réseau de transport. Les territoires ne sont donc pas dotés d’un réseau unifié et intégré mais d’une superposition voire d’un enchevêtrement d’offres éparses globalement non attractives. En effet chaque réseau dispose de son nom commercial, de son plan de réseau, de son site internet, de sa numérotation de lignes, de sa grille tarifaire et de sa billettique. Cette complexité est pénalisante tant pour les usagers, qui doivent faire appel à de multiples canaux d’information pour imaginer l’organisation de leur mobilité, que pour les décideurs et les opérateurs qui peinent à articuler les différents réseaux entre eux au sein de leur territoire.
Une solution passerait par l’organisation unifiée de l’ensemble des dessertes de transport public à une plus grande échelle, idéalement donc au niveau des cent départements français.
De la sorte, les réseaux bâtis à l’échelle départementale relieraient les principaux pôles urbains à la Préfecture, en articulant les zones denses, peu denses et rurales de manière lisible et performante. La distinction entre réseaux urbains et interurbains n’aurait de fait plus de sens. Les lignes seraient numérotées de manière cohérente et unique à l’échelle nationale, avec le code du département puis un numéro à trois chiffres (ex : 75.020 = la ligne 20 du bus parisien) comme le fait la Suisse avec son indicateur horaire officiel unifié de tous les transports publics.
Figure 9 : Chaque ligne de transport public en Suisse, quel que soit son mode, dispose d’un identifiant unique
Figure 10 : La Suisse propose une offre intégrée de tous ses transports publics ferrés, routiers, câbles et bateaux
L’émergence de réseaux multimodaux cohérents, maillés et unifiés à l’échelle des bassins de vie passe par une réorganisation des lignes, un cadencement des horaires, une simplification des tarifs et de l’information voyageur. Ce chantier mené dans chacun des 100 départements métropolitains constituerait un processus continu et évolutif, estimé à 2M€ / département / an (T3), et inscrit en fonctionnement bien qu’il ne s’agisse pas de charges d’exploitation.
Les transports ferroviaires sont essentiellement orientés autour des dessertes nationales (TGV, Intercités) et régionales (TER). Dans les grandes zones urbaines, hormis en Île-de-France, ils ne rendent toujours pas de services suffisamment qualitatifs pour les déplacements du quotidien, faute de fréquence, d’amplitude, d’extension et de maillage des dessertes proposées.
Dans les territoires moins denses, le réseau ferroviaire a progressivement disparu ou est en voie d’abandon, puisque les « petites lignes » manquent toujours d’un modèle d’exploitation adapté à des dessertes plus légères, plus fréquentes et structurantes à l’échelle de ces espaces.
Enfin, les lourds investissements consentis dans le développement de transports urbains guidés (métro et trams) au cœur des plus grandes villes n’a que rarement permis de constituer de véritables réseaux, et ne servent au final que les hypercentres sans parvenir à résoudre ni même à influer significativement sur les dynamiques de mobilité à l’échelle des aires urbaines.
La solution passerait par la mise en place de réseaux ferroviaires métropolitains à l’échelle de chaque département. Ces réseaux reposeraient sur le prolongement des réseaux urbains existants déjà réalisés (métros et tramways), et utiliseraient hors des villes les emprises des anciennes voies ferrées désaffectées, ou des voies dédiées créées le long des axes ferrés et des voies rapides routières de sorte à produire une offre fiable à moindre coût. Par ce concept, il serait possible de constituer avec peu d’investissements supplémentaires une centaine de réseaux ferrés métropolitains constitués de cinq lignes d’une cinquantaine de kilomètres, accueillant des services cadencés aux 15/30 min et une amplitude horaire de 5h à minuit.
Avec un concept d’exploitation simplifié et l’adoption d’un système standardisé reposant sur des technologies matures telles que des rames de tramway (ou de métro pour les villes qui en sont équipées) aptes à une circulation à 70 ou 100 km/h sur des lignes ferroviaires électrifiées et dotées d’une signalisation simplifiée, le développement de réseaux ferrés métropolitains seraient crédibilisé par une mise en œuvre sécurisée et optimisée tant en termes de délais que de coûts pour la collectivité. Leur déploiement essentiellement en surface, en voie unique et recyclant des emprises déjà existantes serait nettement plus économique et efficace que d’envisager la modernisation de lignes de desserte fine du territoire aux normes ferroviaires lourdes, autoriserait une exploitation simplifiée, indépendante de la trame horaire nationale ou de la capacité du nœud ferroviaire, et permettrait des fréquences accrues et fiabilisées.
En termes d’urbanisme, les 10 corridors distants au maximum de 25 km autour du cœur urbain de la ville-centre pourraient devenir le critère d’éligibilité des sites autorisés à la densification : avec de telles distances, cette urbanisation nouvelle serait intrinsèquement résiliente puisqu’accessible indifféremment par transports publics ou modes actifs. Une telle offre ferroviaire métropolitaine deviendrait ainsi l’armature de la desserte alternative à la voiture au sein de chaque département. De plus, cette stratégie permettrait de décharger les nœuds ferroviaires des flux et des services périurbains, qui gagneraient ainsi en capacité pour pouvoir accueillir davantage de trains régionaux, nationaux, internationaux ou de fret.
La mise en place de réseaux ferrés légers de type tram ou métro express, structurés à l’échelle départementale pour relier la ville-centre (Préfecture) à ses périphéries et aux villes de second rang (sous-préfectures…), supposerait l’aménagement d’un réseau de l’ordre de 200 km de tram express, soit 10 corridors de 20 km. Si tous les départements en étaient équipés, cela représenterait à l’échelle nationale un linéaire de 20 000 km, soit précisément l’ordre de grandeur des chemins de fer secondaires dont disposait la France au début du XXe siècle 5. De manière raisonnable, il peut être considéré de n’équiper de tels réseaux que les départements très métropolisés, par exemple la trentaine de ceux disposant déjà d’un réseau de TCSP ferré (métro ou tramway) qui servirait opportunément de support à une extension départementale.
Il a été considéré que 80% du linéaire (soit 160 km / département) puisse reposer sur une modernisation et une réutilisation d’emprises ferrées existantes, souvent sous-exploitées par les actuels trains régionaux (TER), ne nécessitant que des travaux légers pour électrifier ou rénover la voie… estimés à 5M€ / km, soit un coût total de 800M€ / département (T4.a) .
En complément, pour connecter ces lignes entre elles ou pour approcher les lignes de secteurs générateurs de flux, de nouvelles sections pourraient être construites. En estimant que 20% de ce réseau (soit 40 km/ département) soit doté de voies neuves, à 10M€ / km (voie unique, plateforme simple), cela représenterait un investissement de 400 M€ / département (T4.b) .
Pour l’exploiter ces lignes à une fréquence de 30 minutes et en rames doubles aux heures de pointe, il a été estimé le besoin d’un parc de 40 rames par département, soit avec un coût unitaire de 4M€ / rame, un investissement de 160 M€ / département (T4.c) .
En fonctionnement, avec une vitesse commerciale de 50 km/h, une fréquence de 30 minutes de 5h à minuit (40 AR / jour) du lundi au samedi et de 60 minutes (20 AR) les dimanches, chaque réseau supposerait la production de 2,7 millions de tram.km / an qui, évalués à 10€ / km, atteindraient un coût d’exploitation de 27 M€ / an / département (T4.d) .
Le principal défaut des réseaux de bus et de cars actuels concerne la structure même des réseaux, où la recherche d’une couverture spatiale maximisée du ressort territorial se fait au détriment des temps de parcours, de la lisibilité des lignes, de la vitesse commerciale et in fine des fréquences de passage. En effet, la démultiplication des points d’arrêt sur le territoire offre l’illusion d’une couverture optimale du territoire et donc des habitants, mais un tel choix conduit inexorablement à proposer à ces points d’arrêt des offres très faibles en fréquence et en temps de parcours, si bien que l’offre ne s’adresse qu’aux publics véritablement captifs sans pouvoir espérer attirer les automobilistes.
Le pendant d’une telle structure de réseau concerne l’insertion des transports publics sur la voirie. Faute de choix assumés sur les axes prioritaires à desservir, les lignes sont implantées majoritairement dans la circulation générale, les tracés sont sinueux et les traversées de carrefours aléatoires. Tout cela génère des vitesses commerciales très faibles en particulier aux heures de pointes, qui dégradent la fiabilité et l’attractivité du service, contribuent à diminuer les fréquences de passage tout en rendant impossible la mise en place d’un véritable cadencement des horaires. De plus, cela contribue à faire exploser les coûts d’exploitation et donc à diminuer encore les fréquences de passage. Ce cercle vicieux est malheureusement un grand classique des transports publics et n’est pourtant pas une fatalité.
Reconquérir l’attractivité et la rentabilité des services suppose le déploiement de transports publics express et fréquents à moyens constants . Il suffirait pour cela de définir les voiries sur lesquels une offre structurante est pertinente, puis de coordonner les moyens à engager (sites propres, priorités aux feux, adoption d’itinéraires rectilignes) pour garantir en toute circonstance la performance de l’exploitation et la fiabilité du service. Réaffecter les moyens disponibles permettrait de généraliser le déploiement de services rapides et fréquents, dotés d’une amplitude horaire élargie et d’une couverture spatiale étendue, pour pouvoir desservir de manière performante et économique l’ensemble de l’aire urbaine.
Figure 11 : Adaptation des voies rapides, avenues et grands axes existants pour prioriser des transports publics express fréquents et des pistes cyclables continues et sécurisées. (Pierre Helwig avec Streetmix)
Le déploiement d’un réseau de cars express à l’échelle d’un département a été évalué sur des bases simples. Il a été considéré en première approche qu’il était possible de s’appuyer sur le réseau routier départemental qui constitue la trame viaire structurante du territoire puisqu’il irrigue toutes les communes. En assurant sur chacune de ces routes le passage d’un car express cadencé chaque heure de 5h à minuit (20 AR / jour) du lundi au samedi, et toutes les 2 heures le dimanche (10 AR), cela conduirait à une offre globale de 25,1 millions de car.km / an qui, évalués à 5€ / km, reviendrait à un fonctionnement de 126 M€ / an / département (T5.c) .
Pour produire cette offre, il s’agit de disposer du parc de véhicules suffisamment dimensionné. Le nombre de cars nécessaire a été estimé en considérant une vitesse commerciale de 40 km/h et un taux de réserve de 10%. Ainsi, 208 véhicules nécessaires, chiffrés à 0,25 M€ l’unité, représenteraient un investissement de 52 M€ / département (T5.b) . Il se trouve donc qu’une généralisation à l’échelle des 100 départements français appellerait environ 20 000 véhicules, la France disposant déjà d’un parc de 66 000 autocars dont 35 000 classés Crit’air 1 ou 2 6.
Pour garantir l’atteinte d’une telle vitesse commerciale et d’un haut niveau de fiabilité du service, il est proposé de prévoir des voies réservées aux cars express dans tous les secteurs contraints susceptibles d’être encombrés par de la congestion routière. Ces voies réservées ou sites propres seraient garanties de manière économique, par de simples choix de réaffectation de voies existantes, sans nécessiter de travaux lourds ni d’acquisitions foncières. Nous avons estimé que 10% du réseau routier départemental pouvait être concerné, ce qui, à 0,15 M€ / km d’aménagement, représente un investissement de 57 M€ / département (T5.a) .
Figure 12 : Exemple de structuration d’une offre de transport public express pour une ville moyenne : 4 ou 5 lignes radiales cadencées aux 10 minutes, avec des branches desservent aux 20 minutes tous les pôles périphériques, fiabilisées par des sites propres et de priorité aux feux sur les troncs communs ; 2 lignes de rocade cadencées aux 10 minutes, l’une autour du centre-ville, l’autre reliant les centralités de proche couronne, pour mailler les lignes radiales et offrir des temps de parcours performants et fiables. (Pierre Helwig)
Un zonage définirait le niveau de service proposé de sorte à rendre l’offre de mobilité cohérente et lisible à l’échelle nationale, tant pour les habitants que pour les visiteurs :
Figure 13 : Synthèse des propositions techniques selon les secteurs géographiques. (Pierre Helwig)
Par une réaffectation des moyens existants, il semble atteignable d’offrir sur l’ensemble du territoire français une desserte reposant à la fois
Sur de telles bases, nul ne pourra arguer de ne pas pouvoir se passer de la voiture individuelle pour assurer l’ensemble de ses mobilités quotidiennes sans dégradation de sa qualité de vie.
La deuxième étape consistera donc à inciter progressivement chacun à se tourner vers les mobilités plus durables pour diminuer l’intensité des flux motorisés, en volume et en portée, et ainsi atteindre une décarbonation réelle des mobilités conforme aux objectifs climatiques.
Pour diminuer l’intensité énergétique de l’ensemble des mobilités quotidiennes et ainsi inciter chacun à se reporter vers les solutions sobres, il s’agit à la fois de se reporter vers les modes les moins énergivores, mais également de diminuer l’intensité des mobilités, c’est-à-dire leur vitesse, leur fréquence et leur portée.
Pour inciter à se reporter vers les modes les moins énergivores, il s’agit de rendre plus intéressant aussi bien en termes économiques que temporels les modes collectifs par rapport aux modes individuels et les modes actifs sur les modes motorisés. Pour diminuer l’intensité des mobilités, il s’agit à la fois d’empêcher que de nouveaux territoires soient ouverts à l’urbanisation et d’organiser une relocalisation progressive des lieux de vie et d’activités vers les secteurs les plus faciles à desservir et vers davantage de proximité, tout en organisant une viabilité économique des services de mobilité mis en place, en particulier l’offre de transport public.
Pour tout cela, deux leviers économiques peuvent être activées.
Jusqu’à présent, chaque réseau ou chaque autorité des transports élabore sa propre grille tarifaire et définit donc le prix demandé pour accéder à son réseau, par exemple le tarif unitaire d'un trajet, le prix d'un carnet de 10 tickets unitaires, l'abonnement mensuel et annuel. Les tarifs comportent parfois des variantes pour tenir compte tantôt des ressources du ménage (tarification sociale), tantôt du statut de chaque individu (étudiant, senior, famille nombreuse).
Or ce système tarifaire souffre de nombreux défauts : il est généralement très incitatif aux abonnements et rend comparativement l'usage occasionnel dissuasif, privilégiant les habitués et tournant donc le dos aux nouveaux usagers incités à rester dans leur voiture. D’autre part, la portée géographique des déplacements est souvent très inégalement répercutée sur le tarif. En outre, la coordination entre les différentes offres de transport public présentes sur un territoire ou à l’interface de plusieurs territoires, trop complexe à organiser par les collectivités publiques, est généralement laissée au bon soin de l'usager qui se trouve alors confronté à une multitude de logiques tarifaires et parfois à des billettiques totalement incompatibles.
La mise en place d'une nouvelle grille tarifaire unifiée à grande échelle , au niveau régional voire national, serait rendue possible par la mise en œuvre d'une logique universelle : un tarif unitaire serait défini pour circuler durant 2h dans une ville, considérée comme zonage de base. La circulation durant 24h coûterait le double, puis une déclinaison à la semaine, au mois et à l'année serait proposée à des tarifs dégressifs. Une logique analogue permettrait d’accéder à des territoires étendus : par exemple 3 zones équivalent l’ensemble d’un département, 3 départements à l'ensemble d'une région, 3 régions à l'ensemble du territoire national, etc…
La tarification du stationnement révèle une complexité identique à celle des transports publics, bien que seuls les centres urbains en soient à ce jour dotés. Lorsque l'on arrive dans une ville, il est impossible de savoir à l'avance dans quel secteur il est possible d'accéder avec sa voiture, et combien coûtera le prix du stationnement qui dépend généralement de la distance au centre-ville, mais aussi du jour, de l’heure… Il n'y a pas toujours de cohérence entre les tarifs du stationnement en surface, des stationnements en ouvrages et des amendes en cas de non-paiement. De plus, la demande de stationnement est généralement plus forte à mesure que l'on approche du centre urbain le plus dense, qui est donc intrinsèquement le moins doté en espaces publics. Or les espaces publics contraints appellent à faire des choix de priorisation, et devraient avant tout permettre les mobilités actives et collectives, ce qui suppose que les véhicules individuels soient retenus le plus en amont possible.
Une piste consisterait à harmoniser les tarifications du stationnement et des transports publics. En agglomération, le stationnement devrait être systématiquement payant, des parcs-relais permettant de stationner gratuitement à condition d’utiliser les transports en commun. Dans les centres-villes, le stationnement pourrait être interdit et les espaces publics largement piétonisés, en contrepartie d'une mise en gratuité des offres de transport public. Ainsi, chacun serait incité à stationner plus loin du centre-ville et à recourir aux transports publics, tout en conservant la possibilité d’accéder ponctuellement en zone dense pour un motif occasionnel.
Figure 14 : Synthèse des propositions économiques selon les secteurs géographiques (Pierre Helwig)
Au-delà d'une utilisation privilégiée des solutions de mobilité les plus sobres en énergie, l'enjeu porte également sur la diminution des distances parcourues , ce qui implique à la fois de diminuer la fréquence des plus longs déplacements, et de rapprocher durablement les lieux d’habitation des destinations auxquelles on souhaite pouvoir se rendre régulièrement. Or dans le système actuel, tout est fait pour inciter à la périurbanisation et au mitage du territoire. En effet, l'absence de frein à une mobilité tous azimuts met tous les territoires en concurrence et engendre une impossibilité de régulation spatiale de l'usage des sols. Or si construire sur des territoires au foncier plus économique semble avantageux pour certains et à première vue, le coût collectif de la périurbanisation et de l’artificialisation des sols est insoutenable.
Dans le système actuel, chaque commune tente d’attirer toujours plus d’habitants, d’emplois, de commerces, ces activités générant des recettes fiscales voire des dotations. Or l'installation de ces nouveaux usages appelle des investissements publics tels que des routes, des écoles, des réseaux de tout ordre, qui doivent être collectivement financés. Pour l'individu lui-même, choisir un logement éloigné impliquera au quotidien de longs déplacements – nécessairement en véhicule individuel – pour aller faire ses courses, pour aller travailler, pour accompagner ses enfants à leurs diverses activités, tout cela engendrant des coûts contraints impossibles à anticiper.
Il serait pourtant possible d' inciter chaque acteur à optimiser au quotidien son usage de l'énergie , en recourant dès que possible aux modes actifs plutôt qu’aux modes motorisés, aux transports collectifs plutôt qu’individuels, mais aussi à diminuer le nombre et la portée des déplacements. Pour cela les employeurs pourraient par exemple être incités à restreindre la mise à disposition de stationnements pour leurs employés, à encourager durablement une part de télétravail et à accompagner le déménagement de ses employés plutôt qu’à financer sans limite leurs frais de déplacements quotidiens. Pour les collectivités territoriales, la mise en commun effective des ressources fiscales à l'échelle des bassins de vie doit mettre fin à la multiplication de zones d'activités et de zones pavillonnaires qui sont collectivement ingérables et insoutenables.
En lien avec ce qui précède, il serait donc souhaitable de mettre à plat la fiscalité locale pour aboutir progressivement à une taxation liée à la localisation des activités sur le territoire . Cette taxe d’urbanisation viserait à encourager une relocalisation progressive de toutes les activités au plus près des stations du transport public express et des aménités urbaines, de sorte à favoriser une urbanisation plus ramassée, naturellement favorable à des déplacements plus courts et à un recours massif aux mobilités actives et aux transports collectifs. Associée à une montée en charge rapide des offres de mobilité collectives et à un apaisement des voiries, une telle taxation pourrait ainsi venir compenser la spéculation sur la rente foncière qui conduit au renchérissement naturel des terrains situés à proximité des centralités et des pôles de transport attractifs, et qui, de proche en proche, mène à l’étalement urbain en tache d’huile.
La taxe d’urbanisation deviendrait même le véritable outil opérationnel des SCoT , rendant pilotables les orientations de localisation privilégiée des urbanisations, incitant tous les acteurs à se relocaliser au plus près des offres de mobilité durable mises en place tout en planifiant une évaluation progressive des taux de fiscalité afin de donner une visibilité pluriannuelle. Une telle fiscalité permettrait aussi d’intégrer les coûts collectifs des choix individuels de sorte à équilibrer progressivement les objectifs de décarbonation, mais aussi d’assurer le financement des aménagements et la pérennité des offres de mobilité mises en place.
À titre d’exemple, trois types de « zones » urbanisables pourraient être imaginés :
Figure 15 : Principe de taxation de l’urbanisation en fonction de la distance aux stations de transport public express
Pour sortir du système qui nous conduit inexorablement à l’impasse, et pour surmonter notre impuissance collective face à la complexité des enjeux à traiter, il apparaît indispensable de remettre en cohérence l'ensemble des règles visant à organiser un usage des sols plus raisonnable et plus économe, tant en espace qu’en coûts économiques et énergétiques. Pour parvenir à mettre en place de tels mécanismes de manière coordonnée et cohérente à toutes les échelles et à brève échéance, nous proposons dans ce qui suit d’engager une réforme des modes d’organisation de la décision publique de manière à intégrer les interdépendances .
Une fois la mise en place de solutions de mobilité alternatives à la voiture pour tous et sur tous les territoires, puis d’incitations économiques à privilégier ces solutions alternatives de manière croissante, l'atteinte des objectifs de décarbonation des mobilités nécessite d'organiser la décision collective sur des bases refondées . Il s'agit d'une part de permettre aux documents de planification de jouer tout leur rôle, c’est-à-dire non seulement de traduire les impératifs globaux et de long terme dans toutes nos décisions, qu'elles soient de plus court terme ou d’échelles plus locales, mais également de laisser des marges de manœuvre suffisantes pour que des choix démocratiques puissent être encouragés malgré ce champ de contraintes. Le fait d'aménager le territoire se traduit nécessairement par l’élaboration des choix quant à l'usage des sols, à l'implantation des infrastructures et à l'usage des solutions de mobilité.
C’est donc dès la planification en amont que doivent être intégrés à la fois les objectifs d'accessibilité et les contraintes de sobriété visées. Pour y parvenir, il serait souhaitable :
Dans la nouvelle architecture, chaque niveau de décision dispose de sa légitimité, et se doit de décider de règles applicables aux niveaux inférieurs : c’est ce qu’on appelle la subsidiarité. Les niveaux inférieurs, cependant, doivent aussi pouvoir équilibrer les décisions en participant en tant que contre-pouvoir aux décisions qui les engagent, ce qui est permis par un parlement bicaméral. Ainsi, un fédéralisme institutionnel doté d’un principe de subsidiarité et d’une instance délibérative bicamérale doit permettre d’opérer un perpétuel équilibrage entre les différents niveaux de décision pour garantir de faire les meilleurs choix, en toute circonstance.
En termes d’aménagement du territoire, une telle réorganisation institutionnelle se traduirait par la nécessaire interdépendance entre tous les documents de planification , que ce soit en termes de domaine thématique ou de périmètre géographique. L’objectif serait d’atteindre un rééquilibrage progressif des bassins de vie pour les rendre dans la mesure du possible auto-suffisants et préserver les ressources naturelles indispensables à la survie à long terme (par exemple, une forêt) des besoins du court terme (par exemple, construire des logements). Pour cela, nous proposons de réorganiser la planification du territoire de la façon suivante.
Les schémas régionaux d’aménagement (SRADDET) élaborés à l’échelle régionale fixeraient, plus largement qu’aujourd’hui, la structure des grandes infrastructures de transport et d'énergie, les espaces naturels à préserver, ainsi que la localisation des grands équipements d'intérêt régionaux tels que les universités ou les hôpitaux afin que chaque département de la région soit doté des aménités essentielles et qu’elles soient accessibles au plus grand nombre.
Les schémas de cohérence territoriaux (SCoT) , rendus prescriptifs et conçus à l’échelle des départements, viseraient à définir très précisément l'usage des sols et les contraintes d'aménagement que devront respecter les PLUi élaborés par les intercommunalités. Les SCoT fixeraient donc strictement les limites de l’enveloppe urbaine indépassable, la localisation et la typologie des espaces commerciaux, des zones d’emploi, des espaces d’habitation, des espaces verts. Ce seraient aussi les SCoT qui arrêteraient la structuration et les niveaux de desserte des services de transport public express et les typologies de voirie, dont notamment le maillage pour les modes actifs. Une telle mise en cohérence de la structure des générateurs de déplacements et de la consistance des offres de mobilité serait inédite, et permettrait enfin d’atteindre un rééquilibre progressif entre ces deux leviers d’aménagement du territoire.
Enfin, les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) ne seraient qu’une déclinaison affinée du SCoT destinée à calibrer finement la typologie et la physionomie du bâti, la nature des commerces, l’agencement des espaces publics, la préservation des sites historiques.
Aujourd’hui, les recettes fiscales sont majoritairement prélevées au niveau national et redistribuées aux collectivités territoriales sous la forme de dotations de décentralisation (pour financer les charges liées à la décentralisation de certaines compétences), ou de dotations de fonctionnement (pour financer les services publics déficitaires). Les investissements sont quant à eux soutenus au travers de Contrats de projets Etat-Région (CPER) pluriannuels, lors d’appels à projets attribuant des subventions spécifiques, ou par des cofinancements croisés entre niveaux institutionnels, le tout souvent au gré de l’émergence et de l’engagement de projets.
Une architecture davantage fédérale des pouvoirs faciliterait la possibilité de réguler les ressources entre les différents niveaux institutionnels pour garantir un équilibrage des recettes et des dépenses, gage de la durabilité des décisions et de la soutenabilité de l’aménagement des territoires. Pour cela, une refonte des flux financiers et des mécanismes budgétaires entre les différentes strates institutionnelles permettrait d’équilibrer progressivement les ressources disponibles et les dépenses engagées, et de réinterroger les dépenses d’investissements de long-terme à l’aune des charges de fonctionnement de court-terme, notamment.
Une telle idée reviendrait de fait à étendre et généraliser le principe des contrats d’axe 7 à tous les territoires, pour disposer d’une planification précise, pérenne et intelligible des usages du sol, de la configuration des espaces publics, des niveaux d’accessibilité par les transports publics et modes actifs, de la localisation des emplois, centralités, des équipements, des parcs.
Côté dépenses, il s’agira de pérenniser et fiabiliser l'offre de transport public structurante en définissant les axes et les points d’arrêts qui bénéficieront d’une desserte fiable, fréquente, à l’amplitude élargie, à la façon du « métro » parisien où la présence d’une station est synonyme de fréquences élevées, de service continu et fiable en toute circonstance, demain, dans 50 ans.
Côté recettes, il s’agira de mettre en place une fiscalité de l'urbanisation qui concernerait à la fois les habitants et les sociétés, et dépendrait du niveau d'offre et donc de l’accessibilité et de l’attractivité du territoire. Nous proposons d’établir un zonage progressif à 5/10/15 min à pied d'un axe de transport public express fréquent, de sorte à réorienter les projets de densification urbaine vers les secteurs où l'offre de transport public sera la plus performante et la plus économique à exploiter sans nécessiter au préalable de lourds aménagements.
La transition nécessaire pour s'engager sur une trajectoire compatible avec une limitation à 2°C du réchauffement climatique impose une réorientation majeure des tendances passées. Le secteur des mobilités apparaît souvent comme l’un des plus difficiles à décarboner, si bien que l’essentiel des politiques, et notamment la SNBC en France, reposent sur la perspective de promesses technologiques concernant tantôt les vecteurs énergétiques (voiture électrique, à hydrogène), tantôt les outils d’optimisation digitales (Maas, automatisation…). Cela a le mérite d’éviter de réinterroger les pratiques de mobilité, mais empêche de traduire les objectifs de sobriété dans les pratiques quotidiennes, de réorienter les projets vers la sobriété.
Or il n'y a plus aucune raison de procrastiner : les solutions à mettre en œuvre sont simples, économes et surtout, elles existent déjà ! Plutôt que de porter sur la recherche de technologies nouvelles, l’innovation pourrait avant tout nous permettre d’identifier les bonnes pratiques, de simplifier les systèmes existants et de généraliser les méthodes pour déployer les solutions déjà éprouvées localement à tous les territoires et à toutes les échelles, afin d’opérer un virage en quelques années et avec des moyens limités et, on peut le penser, en contraction inévitable.
La connaissance des contraintes globales qui s’imposent à tous doit guider l’action publique, à tous les niveaux, pour équilibrer les efforts et répartir les moyens de manière démocratique. Pouvoir décider, évaluer et accompagner une transformation si structurelle et complexe invite à réinterroger l’utilité et l'efficacité de toutes les politiques publiques, et particulièrement celles liées au pilotage de l’aménagement du territoire et à l’organisation des mobilités. Pour tirer parti des expertises de terrain et de l’enrichissement des connaissances entre territoires, il apparaît urgent d’adapter les modes de décision favorisant la coordination, l’évaluation et la démocratisation, car la responsabilité de nos choix a plus que jamais une portée collective.
1 Source : CITEPA
2 Intitulé exact : « versement destiné au financement des services de mobilité »
3 Les chiffrages sont établis sur le linéaire de voiries départementales hors DOM (1/100e de 377 890 km)
4 Chiffres clés du transport, édition 2020, Ministère de la transition écologique
5 Voir https://journals.openedition.org/rhcf/1326 et https://journals.openedition.org/rhcf/2028
6 Source : Ministère de l’Écologie / SDES-RSVERO, parc d’autocars en circulation au 1er janvier 2021
7 Les contrats d’axe visent à promouvoir une urbanisation le long des axes de transport dont l’offre est renforcée, par exemple à la mise en service d’un tramway ou d’un BHNS, pour assurer qu’une demande significative viendra utiliser la desserte et contribuera in fine à rentabiliser l’investissement. Ces contrats d’axe, encore rares en France, sont la déclinaison du Transit oriented development (ToD) anglo-saxon.
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
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