Alors qu’elle représente près du quart des déplacements de moins de 80 km, la marche est invisibilisée dans les statistiques et souvent négligée dans les politiques de mobilité durable, qui la traitent essentiellement comme une pratique récréative à favoriser ponctuellement, dans des zones piétonnes et pour un piéton-type. À rebours de ces approches, l’enjeu de cet atelier est de faire le point sur la place de la marche et les politiques permettant de faire de la marche un mode de déplacement véritablement universel.
La recherche est menée par un groupe d’étudiants en Master 2 et Magistère d’Aménagement du Territoire et Urbanisme à l’Université Paris 1, sous la direction de Jean Debrie.
Le travail des étudiants confirme :
L’atelier a comporté deux parties :
Exemple de restitution de parcours commenté
Dans un premier temps, l’atelier a caractérisé la marche à partir des données statistiques nationales et locales (partielles) disponibles et de l’analyse des politiques publiques de la marche à pied en France et à l’international.
Selon les Enquêtes nationales transports et déplacements, après un niveau historiquement bas à la fin du XXe siècle, la marche est en progression depuis 2008, notamment dans les territoires denses. Les pratiques de la marche sont très variées, et les profils (âge, genre, CSP, condition physique) des marcheurs et marcheuses sont divers, mais c ‘est dans les communes denses que sa part modale est la plus élevée (32%, contre 20% dans les communes de densité intermédiaire et près de 16% dans les communes peu ou très peu denses), et principalement pour des trajets de courte distance (1 km en moyenne, soit plus de 10 fois moins qu’en voiture ou en transports en commun). C’est particulièrement le cas dans les grands centres urbains ou elle est le mode principal au sein des déplacements locaux.
La part modale de la marche (23,9%) est bien plus forte (36,9%) lorsque l’on prend en compte les trajets multimodaux incluant de la marche à pied (13%), ce qui souligne l’intérêt de relier les réseaux de marche aux autres réseaux de transports 1. Le bien-être physique et émotionnel arrive en tête des motivations des marcheurs et des marcheuses, avec 82% des répondants qui déclarent que la marche constitue un apaisement et un moyen de se détendre dans un quotidien stressant, et 89% qui déclarent qu’elle améliore leur qualité de vie 2 .
La plupart des politiques publiques de développement de la marche sont récentes et sont globalement peu présentes, voire absentes, dans les stratégies de mobilité de nombreux territoires. La marche reste encore et d’abord pensée comme une activité récréative, un levier d’attractivité pour des centres-villes apaisés, commerçants et touristiques, voire un levier d’amélioration de la santé publique, plutôt que comme un mode de déplacement fonctionnel. Les politiques publiques de la marche tendent donc à se focaliser sur la piétonnisation d’espaces délimités dans les centres et ne remettent pas en question le système automobile en dehors de ces centres piétonnisés. Une situation dont Bruxelles est une bonne illustration 3 .
Or les espaces en périphérie se caractérisent par des coupures urbaines où la circulation piétonne se trouve confrontée aux difficultés et aux dangers générés par la circulation automobile. Si en France, certaines villes comme Toulouse, Nantes, Strasbourg ou Brest cherchent à rendre l’ensemble de leur territoire marchable en développant des réseaux de cheminement, la seule réalisation ayant vu le jour est la première magistrale piétonne de Strasbourg. Pourtant, la marche a démontré son efficacité en tant que mode de déplacement des courtes et moyennes distances dans une ville comme Pontevedra (Espagne), dès lors que les autorités locales mettent en place une politique de réduction du trafic automobile. À l’inverse, le cas de Lille a montré l’inefficacité d’une politique piétonne lorsque le partage de la rue est préféré à une réelle remise en question de la place de la voiture.
Les étudiants ont ensuite fait le choix d’étudier la ville de Besançon grâce à un dispositif complet (diagnostic territorial incluant l’analyse de ses politiques urbaines et de mobilité, de ses caractéristiques physiques et morphologiques ; micros-trottoirs ; observations de cheminements piétons ; traces GPS ; entretiens approfondis ; parcours commentés).
Carte de localisation des espaces d’étude dans l’agglomération bisontine. Réalisation du groupe
Leur enquête a permis pour l’essentiel de confirmer les constats déjà faits dans leur état de l’art. La ville de Besançon repose sur un modèle centre/périphérie, en termes de ruptures socio-spatiales comme dans la pratique de la marche. Le quartier central de la Boucle, délimité par le cours du Doubs, est caractérisé par la présence de nombreux équipements, services et bureaux, ainsi que par une offre culturelle et éducative importante, et est doté d’un réseau piétonnier qui limite le passage des véhicules motorisés (hormis les bus, les livraisons et les riverains) en privilégiant les déplacements à pied. La plupart de ses résidents y mènent l’ensemble de leurs activités quotidiennes, Le Doubs constituant une rupture tant physique que symbolique entre le centre-ville et le reste de la ville.
Par contraste, dans la zone extérieure où la marche reste un mode de déplacement pratiqué quotidiennement, les rues sont moins marchables, l’aménagement favorisant la circulation des véhicules motorisés, la qualité et la présence des équipements diminuent et les distances semblent plus longues. Qu’il s’agisse du centre-ville ou des quartiers périphériques, la cohabitation des différents usager·ère·s n’est pas toujours pacifiée et les nombreux conflits d’usages installent un sentiment d’insécurité chez une partie des piéton·ne·s, plus particulièrement chez les femmes, les moins de 15 ans et les personnes à mobilité réduite. Ce sentiment constitue le premier frein à la marche mis en avant par l’enquête.
Représentation graphique des contraintes lors des déplacements à pied. Réalisation du groupe
Parmi les modes qui cohabitent dans le même espace, c’est la voiture qui est perçue comme le plus dangereux : Excès de vitesse, klaxonnement, stationnement sur le trottoir et manque d’attention de la part des automobilistes envers les piéton·ne·s sont les principales nuisances dénoncées. La cohabitation avec les autres modes (le vélo en particulier) peut elle aussi être parfois hostile lorsque les vélos montent sur les trottoirs pour pallier l’absence de pistes cyclables. Les femmes sont les seules à souligner le manque d’éclairage comme un problème et sont davantage gênées par la dégradation des trottoirs et les nuisances des véhicules motorisés. Elles signalent parfois un manque d’appétence pour la marche. Il apparaît que les déplacements à pied, souvent considérés comme le mode de transport le plus universel et le plus accessible, ne sont pas également accessibles à tou·te·s. Un deuxième constat est que malgré cette situation et les difficultés objectivement mesurées ou ressenties, il est frappant de constater que les piétons n’ont pas de conscience collective (à l’inverse des cyclistes par exemple) de leurs intérêts. Les enjeux d’amélioration des conditions de la marche restent peu ou pas conscientisés et constituent en quelque sorte un impensé. Questionnés sur les freins à leur pratique et à ce qui pourrait les faire marcher davantage, ce sont très largement les réponses « pas de problème » et « rien » qui sont données respectivement par les enquêté·e·s.
Représentation graphique de ce qui pourrait faire marcher davantage les personnes interrogées. Réalisation du groupe
Troisième constat, les déplacements observés durant les enquêtes de terrain montrent une tendance des usager·ère·s à graviter autour des arrêts et hubs de transports collectifs dans les trois secteurs hors centre-ville étudiés. La marche est surtout une étape de l’intermodalité, un moyen de jonction des espaces locaux avec les transports, souvent pour réaliser le premier ou le dernier kilomètre pour rejoindre son domicile, faire les courses, etc. Les lieux qui présentent une offre importante de transports en commun voient la part modale de la marche seule baisser, au profit de la marche intermodale. La gare de Besançon-Viotte est un bon exemple, puisque particulièrement bien reliée au centre-ville de Besançon, à pied comme en transports en commun, elle est assez généralement rejointe via ces derniers. Les déplacements piétons y sont donc fortement liés à l’offre de tramway, de bus, de cars interurbains et de TER.
L’enquête confirme enfin que dans les espaces périphériques et périurbains, leur monofonctionnalité, leur faible densité, le manque d’équipements de proximité, un bâti souvent plus diffus, des distances plus longues, les ruptures des continuités piétonnes liées à la structure urbaine ou aux axes routiers et ferroviaires, ainsi que les trottoirs souvent dégradés et de moins de 1,4 mètres de largeur encouragent la marche multimodale et l’usage de la voiture individuelle. Le campus de la Boulois, fréquenté majoritairement par des étudiant·e·s, est plus propice à la marche, puisqu’il dispose d’équipements universitaires et résidentiels concentrés dans une zone réduite, ce qui permet d’effectuer aisément de courtes distances à pied. Il est par ailleurs bien desservi en transports en commun, ce qui permet des déplacements intermodaux facilités.
Télécharger le rapport complet
1 Source : Ministère de la transition écologique. Marcher et pédaler, les pratiques des français (Rapport issu de l’EMP 2019), décembre 2021.
2 psos pour Keolis (2019), Rapport d’analyse « La pratique de la marche en contexte urbain » https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2019-10/ipsos_transdev_mobilites_en_regions.pdf
3 À ce sujet, voir la recherche : Centre-ville, piétonnisation et modes de vie, Forum Vies Mobiles, https://forumviesmobiles.org/recherches/12832/centre-ville-pietonnisation-et-modes-de-vie
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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