Le chaînage des activités s’est considérablement développé ces dernières décennies en lien notamment avec la croissance des distances parcourues dans la vie quotidienne. Ceci a pour conséquence de renforcer les pratiques multimodales et intermodales, et fait de la marche et du vélo des modes permettant l’accès aux transports publics.
Dans ce monde de mouvements, les lieux traversés à pied ou en vélo constituent autant d’opportunités pouvant servir à donner un rendez-vous, à réaliser une des microactivités qui caractérisent la vie quotidienne, ou plus simplement à se divertir ou se changer les idées. Les pôles d’échanges prennent dès lors un relief nouveau. Les gares et les stations, conçues dans une optique d’écoulement des flux, de fonctionnalité et d’efficacité, deviennent des lieux potentiellement appropriables pour autant qu’ils permettent l’aisance du voyageur (Bourdin 2005). Un des enjeux de l’attractivité des pôles d’échanges est donc de passer d’un temps-distance (à réduire, à rendre neutre) à un temps-substance (un temps sensible, utilisable, valorisé individuellement) (Amar, 2004).
Beaucoup de recherches montrent, de différentes manières, que l’échange entre moyens de transport est un moment critique lors de déplacements et qu’il est difficile de le rendre agréable.
Les recherches menées dans l’optique d’une optimisation fonctionnelle des pôles d’échanges considèrent bien souvent le comportement de l’usager d’une façon strictement rationnelle en fonction du temps et du coût (Kaufmann et al 2000). C’est ainsi que s’est développée toute une littérature scientifique sur la perception des ruptures de charge. Celle-ci se focalise sur la manière dont l’acteur vit son passage d’un moyen de transport à l’autre : c’est ainsi que des travaux se sont intéressés à la perception des durées d’attentes (Kaufmann 1995), ils ont montré que la situation d’attente d’un transport public est associée à de fortes surestimations des temps de déplacements à cause de l’ennui qu’elle suscite, mais que l’importance de la surestimation dépend des conditions d’attente et du mode de transport – l’usager du train perçoit des attentes bien plus longues.
Dans un état de l’art sur la qualité de l’accès aux arrêts de transports publics pour les piétons, Helge Hillnhutter (2016), détaille les questions temporelles relatives aux trajets multi-modaux. L’usager des transports publics passerait ainsi environ la moitié de son temps de déplacement de porte à porte hors des véhicules de transport public (Brög, 2014). Selon d’autres chercheurs cités, la perception du temps de marche et d’attente est plus élevée que celle du temps passé à l’intérieur du véhicule de transport public (Walther 1973, Wardman 2004). Enfin, des environnements favorables aux piétons tendent à augmenter jusqu’à 70 % la distance de marche acceptable jusqu’au plus proche arrêt de transport (Peperna, 1982). Hillnhutter en conclut que des conditions peu attrayantes pour la marche réduisent la valeur des transports publics. À l’inverse, un cadre favorable a pour double effet de promouvoir les transports publics, tout en encourageant la marche.
Le premier et le dernier kilomètre
Plusieurs recherches ont montré que l’utilisation des différents moyens de transport dans la vie quotidienne est en particulier liée à la qualité de l’accessibilité offerte sur le premier kilomètre et celle du dernier kilomètre, qu’il s’agisse des transports publics, des conditions de circulation automobile et de stationnement, des voiries piétonnes et des infrastructures cyclables (Brisbois 2010, Munafò et al. 2012, Vincent-Geslin 2010). Compte tenu de la volonté de favoriser l’utilisation d’autres moyens de transport que l’automobile, ce résultat a notamment servi à dimensionner et concevoir les politiques de restriction du stationnement dont les effets sur les pratiques modales sont très importants.
Concernant la mobilité douce, des travaux sur le premier et le dernier kilomètre se sont développés (Brisbois 2010). L’idée est que dans une chaîne de mobilité, la marche est un maillon essentiel, qui doit être considéré comme tel et que, par conséquent, la qualité des cheminements dans les quartiers en direction des arrêts de transports publics doivent être pensés pour en favoriser l’utilisation. Certains avancent même l’idée que cette réflexion sur la qualité de ces continuités devrait se prolonger dans les bâtiments, jusqu’à l’entrée de chaque habitation individuelle (Sim 2019).
Marc Wiel (1999) considère l’usager des transports publics en tant que piéton, car un grand nombre des caractéristiques du piéton restent inchangées pendant le temps passé dans un train, un bus, un métro, comme p. ex. le fait d’être exposé avec tous les sens à son environnement, de porter toutes ses affaires sur son corps ou près de son corps. La possibilité de s’asseoir pendant un certain temps s’apparente à la présence d’un banc dans l’espace public. On ne peut pas en dire autant du cycliste, qui dépend d’un véhicule pouvant s’avérer encombrant.
Ainsi, des réflexions ont été développées concernant les aménagements cyclables depuis et à destination des pôles des points d’arrêts importants de transports en commun (gares, arrêts de tram, station de métro, etc.) et le stationnement des vélos aux abords de ces points d’arrêts (stationnements idéalement couverts et sécurisés, vélo-stations). Des parkings vélos de qualité à proximité des transports publics augmentent l’utilisation des deux modes (Krizek et Stonebraker, 2011). À ce sujet, notons que Buehler, Heinen et Nakamura déplorent l’insuffisance générale de littérature scientifique au sujet des stationnements vélos, qu’ils identifient comme un facteur « déterminant pour cyclistes actuels et potentiels » (2021).
À ces mesures s’ajoute la possibilité de prendre son vélo à bord des transports publics – pour parcourir de plus longues distances ou poursuivre sa route en cas de mauvais temps ou de panne (Pucher, Buehler 2012 ch.8). À Copenhague, par exemple, les rames de métro et de train comprennent de larges espaces destinés aux vélos, à usage gratuit. Certains taxis sont aussi équipés de porte-vélos, permettant un report modal facile, si besoin. Plusieurs études démontrent également que la proximité d’une piste cyclable du lieu de travail ou d’habitation influence positivement l’usage du vélo (Moudon et al. 2005, Krizek et Johnson 2006). La qualité du réseau et la facilité d’utilisation du vélo jouent donc un rôle crucial dans le choix de ce mode de déplacement. Néanmoins, des études plus fines des obstacles ou encouragements relatifs à ce choix modal, en termes d’aménagements, mériteraient d’être menées.
Les thèmes de la revue de littérature :
Thème 1 : Modes de vie et usages du vélo
Thème 2 : Vélo et différenciations sociales
Thème 3 : Le potentiel de report modal de la marche
Thème 4 : Le piéton en tant que sujet
Thème 5 : L’expérience de la marche et du vélo
Thème 6 : Les conflits d’usage entre modes actifs
Thème 7 : La marche et le vélo comme compléments aux transports publics
Thème 8 : Les rythmes urbains et la mobilité piétonne et cyclable
Conclusions et pistes de recherche
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Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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