La définition du voyage longue distance peut varier, selon que l’on considère la distance parcourue, le temps de trajet, le nombre de nuits sur place, ou le fait pour un individu de sortir de son environnement habituel. Défini par la distance (par exemple, plus de 100 km), il représente généralement 1 à 2 % des voyages.
La définition du voyage longue distance peut varier, selon que l’on considère la distance parcourue, le temps de trajet, le nombre de nuits sur place, ou le fait pour un individu de sortir de son environnement habituel. Défini par la distance (par exemple, plus de 100 km), il représente généralement 1 à 2 % des voyages.
Le voyage longue distance est un sujet à l’intersection de diverses disciplines et champs académiques. Sa définition varie donc en fonction des intérêts de recherche.
Dans les études de transports, « voyage longue distance » renvoie généralement à des déplacements effectués au-delà d’une certaine distance – en Europe, généralement 100 km. L’intérêt porte alors sur la distance géographique, fortement corrélée aux émissions polluantes et aux autres impacts environnementaux négatifs.
Dans les sciences sociales, en revanche, l’intérêt ne porte pas toujours sur la distance elle-même, mais plutôt sur la durée des voyages ; ainsi, par exemple, les « déplacements pendulaires longue distance » sont parfois définis comme des trajets domicile-travail nécessitant plus d’une heure dans chaque sens. Cet angle se justifie par les conséquences négatives d’une telle durée de transports sur la santé des personnes, leur bien-être et leur qualité de vie.
De son côté, la recherche classique sur le tourisme retient généralement la nuitée, ou le fait de « sortir de son environnement habituel ». Ces voyages peuvent être liés à des motifs personnels, de loisir, ou professionnels ; ils sont davantage susceptibles de générer des revenus pour l’industrie du tourisme, en particulier lorsqu’ils comprennent une nuit sur place.
Cette grande variété de définitions peut entraîner des confusions conceptuelles et une fragmentation de la connaissance. Ce problème ne sera sans doute pas résolu à court terme, car il est logique d’adopter des définitions différentes en fonction des intérêts de recherche ou des objectifs pratiques. Toutefois, les différentes notions se recoupent largement sur certains points. Un voyage de plus de 3 000 km prendra certainement plusieurs heures, sortira une personne de son environnement habituel et comprendra sans doute une nuit sur place. Pour les voyages plus courts, le tableau est moins net : il existe des cas limites comme les déplacements pendulaires longs, les excursions d’une journée hors de l’environnement quotidien, etc. Ceux-ci peuvent être, ou n’être pas, considérés comme des voyages longue distance, en fonction des intérêts de recherche.
Autre caractéristique, le voyage longue distance tend à impliquer des modes de transport différents de ceux des déplacements quotidiens sur de courtes distances. À une extrémité du spectre, on trouve les modes à grande vitesse, qui sont presque toujours (l’avion), ou la plupart du temps (le TGV), utilisés pour des déplacements longue distance. À l’inverse, les modes actifs comme la marche ou le vélo sont rarement impliqués. Il faut noter que le train et la voiture sont communément utilisés pour les voyages longs comme pour les voyages courts.
Si on le définit par la distance parcourue, le voyage longue distance est le segment du transport de passagers qui connaît la plus forte croissance, car il profite de l’évolution des pratiques vers des déplacement plus rapides et plus internationaux. Autre caractéristique essentielle, le voyage longue distance est très inégalement réparti entre les groupes sociaux, les plus aisés étant à l’origine d’une part bien plus importante, et tout à fait disproportionnée, de la distance totale parcourue dans ce segment.
Traditionnellement, le voyage longue distance a été négligé par rapport aux déplacements urbains dont les distances sont plus courtes. Cela est dû à plusieurs raisons, notamment à l’intérêt de longue date de certaines disciplines pour les questions urbaines et à la plus grande visibilité des transports en contexte urbain, en raison des problèmes de congestion, de pollution et de compétition entre les modes. Il existe néanmoins aussi des raisons méthodologiques à ce manque d’intérêt.
Le voyage longue distance voit sa définition varier non seulement selon les disciplines et champs de recherche, mais aussi selon les différents pays. Ainsi, nombre d’études européennes adoptent la règle des 100 kilomètres 1, alors que le seuil est de 50 miles au Royaume-Uni (80,5 km) et de 100 miles aux États-Unis (161 km). Cela complique d’autant plus l’étude du sujet qu’une grande partie du voyage longue distance est internationale. Cela rend aussi plus difficile son intégration dans les enquêtes nationales, avec pour conséquence dans certains cas (comme l’enquête nationale sur les voyages au Royaume-Uni 2) l’exclusion des déplacements internationaux du champ de la collecte de données.
Par sa nature même, le voyage longue distance est complexe et multimodal. Il comprend ainsi, par exemple, les déplacements vers et depuis l’aéroport, ou un déplacement en voiture pour atteindre la destination touristique, suivi par d’autres dans le lieu de séjour et ses alentours. Il est ainsi plus difficile à appréhender avec les outils traditionnels des études sur les voyages, ce qui peut être à l’origine d’une plus grande complexité dans les réponses, de davantage d’erreurs de mémoire et de sous-déclarations de la part des participants.
Sans doute le problème principal est-il une fréquence extrêmement asymétrique, car les déplacements de plus de 100 km représentent environ 1 à 2 % des voyages (Mattioli & Adeel, 2021). Pour la plupart des gens, il s’agit d’un événement peu fréquent, difficile à saisir par le biais de journaux de déplacement standards. Il est ainsi nécessaire d’utiliser une période de déclaration plus longue (quelques mois, une année, ou plus), ce qui pose là aussi des problèmes de mémoire, de sous-estimation et de taille réduite de l’échantillon. Parallèlement, le voyage longue distance est fréquent pour certaines personnes (par exemple pour les grands voyageurs vivant entre deux pays, ou les actifs effectuant des trajets pendulaires sur de longues distances). Si ces grands voyageurs sont peu nombreux, ils sont à l’origine d’une grande part du volume global des déplacements longue distance. Ces individus sont particulièrement intéressants, tant pour la recherche que pour les décisions politiques, mais ils peuvent être difficiles à appréhender dans les études empiriques en raison de leur nombre réduit et de leur mobilité fréquente, qui les rend plus difficiles d’accès.
Dans l’ensemble, une forme de cercle vicieux nous pousse à négliger et sous-estimer le voyage longue-distance parce que nous ne l’étudions pas correctement, mais aussi à mal le connaître parce que nous supposons (à tort) qu’il est relativement peu important.
En raison des problèmes méthodologiques, il est également difficile de trouver des chiffres fiables et précis sur les modes de transport et les objectifs du voyage longue distance. Le Forum international des transports estime qu’au niveau mondial, 59 % des passagers-kilomètres 3 interurbains (c’est-à-dire l’activité de transport entre zones urbaines) viennent du transport terrestre et maritime, et le reste de l’aviation (FIT, 2021). L’Organisation mondiale du tourisme estime que les voyages internationaux sont surtout effectués dans le cadre des loisirs et des vacances (55 %) ; seuls 11 % sont des déplacements professionnels ; 28 % servent à rendre visite à des amis et des parents ou sont accomplis pour des raisons religieuses ou de santé ; les 6 % restants remplissent des objectifs non spécifiés (OMT, 2020). Toutefois, les déplacements professionnels représentent une part plus importante des voyages longue distance nationaux. En prenant en compte à la fois le niveau national et le niveau international, une étude allemande (Frick & Grimm, 2014) a estimé que les voyages d’affaires représentaient 21 % des passagers-kilomètres du segment longue distance, parmi lesquels une majorité (13 %) provenait des déplacements sur plusieurs jours ; les déplacements pendulaires ne représentaient que 6 % de l’ensemble, contre 2 % pour les voyages sur une seule journée. La plus grande partie des passagers-kilomètres de ce segment est constituée par les déplacements de vacanciers (45 %).
Dans le domaine du transport de passagers, la forte augmentation de la distance parcourue par personne et un transfert vers des modes toujours plus rapides sont des tendances historiques, alors même que la fréquence moyenne des voyages, le temps de trajet et la part dans le budget sont restés relativement stables. Ces évolutions révèlent une importance croissante du voyage longue distance, que les modes très rapides ont rendu de plus en plus facile et accessible. Elles ont également accompagné une augmentation des déplacements internationaux et de loisir. Cela se reflète par exemple dans la croissance soutenue des industries de l’aéronautique et du tourisme depuis le milieu du XXe siècle (Gössling & Peeters, 2015; Lee et al., 2021), même si elle est ponctuée de phases de recul correspondant à des crises économiques, géopolitiques ou sanitaires, comme la pandémie de Covid-19.
Au cours des trois dernières décennies, ces tendances ont perduré et ont sans doute accéléré. Par exemple, entre 2005 et 2016, les déplacements touristiques dans le monde ont rapidement augmenté, dans les segments à la fois des vols intérieurs et des vols internationaux, ce qui a entraîné une hausse des émissions de CO2 liées au transport (tableau 1). Comme le voyage longue distance connaît une croissance plus rapide que les autres segments, sa part dans le kilométrage total du transport de passagers a tendance à augmenter également. On peut même penser que le point de saturation du kilométrage automobile par habitant observé dans certains pays du Nord (souvent appelé « peak car ») pourrait simplement refléter un transfert vers des voyages internationaux et longue distance réalisés en train et en avion (Schäfer et al., 2009).
Tableau 1 – Estimations de l’activité touristique et des émissions de CO2 associées liées au transport, au niveau mondial entre 2005 et 2016. Source : OMT et FIT (2019, p. 43)
Le Forum international des transports (FIT, 2021) estime qu’au niveau international les déplacements non urbains ont représenté 33 % des kilomètres parcourus en 2015. Cette part est plus importante encore dans les pays du Nord, où les études montrent que le voyage longue distance représente entre 30 et 50 % du total des passagers-kilomètres (Mattioli & Adeel, 2021). On s’attend à une croissance de 81 % du kilométrage interurbain au niveau international entre 2015 et 2050 si aucune mesure n’est prise pour maîtriser cette augmentation (figure 1). Il faut également remarquer que le FIT prévoit une diminution des déplacements interurbains terrestres à partir de 2030, qui serait plus que largement compensée par une rapide croissance des vols domestiques et internationaux.
Figure 1 – Projection de la demande mondiale de transport interurbain de passagers, par mode (milliards de passagers-kilomètres) entre 2015 et 2050. Les chiffres post-2020 renvoient au scénario « Recover » du FIT, qui suppose une poursuite de la trajectoire actuelle (FIT, 2021, p. 63)
D’un point de vue économique classique, l’importance croissante du voyage longue distance et des transports à grande vitesse est le simple résultat de la croissance économique et du progrès technologique, qui augmentent les revenus disponibles tout en rendant les technologies des voyages rapides moins chères et plus courantes (Schäfer et al., 2009). Si cet aspect est important, leur croissance s’appuie aussi sur des facteurs structuraux de long terme : par exemple l’assouplissement des restrictions aux déplacements transfrontaliers, l’augmentation de la durée des congés payés, la numérisation et les autres tendances que l’on peut regrouper sous le terme de « mondialisation ». Le développement d’infrastructures destinées aux modes de transport longue distance et l’émergence de nouveaux modèles économiques (par ex. l’aviation low cost) jouent aussi un rôle dans l’évolution des voyages longue distance et des modes de transport rapides.
Outre ces tendances au niveau macro, l’augmentation du voyage longue distance entraîne également l’expansion des espaces d’activité et la dispersion spatiale des réseaux sociaux ; deux éléments qui peuvent, à leur tour, favoriser une croissance supplémentaire du voyage longue distance, selon un processus d’ « institutionnalisation » ou d’« effet lock-in » (Frändberg & Vilhelmson, 2010). Par exemple, le migrant qui passe d’un pays à l’autre, laissant derrière lui amis et parents, a ensuite besoin de recourir fréquemment aux déplacements internationaux pour entretenir ces relations, avec de possibles répercussions sur la génération suivante. Autre exemple, la facilité des déplacements encourage l’acquisition d’entreprises à l’étranger, ce qui nécessite ensuite des déplacements professionnels fréquents. Il est donc possible, dans une certaine mesure, que la tendance à la mobilité longue distance s’autoalimente.
Ainsi, la rapide croissance du voyage longue distance a accompagné l’émergence de nouveaux modes de vies et de nouvelles pratiques « multilocales » et « transnationales » qui nécessitent, par définition, des déplacements fréquents sur de grandes distances. L’impact de ces modes de vie et de ces pratiques sur l’activité de transport et l’environnement n’a pas encore reçu l’attention qu’il mérite.
Au niveau micro, il existe de très grandes variations d’un individu à l’autre. La richesse joue un rôle essentiel : la recherche montre que le revenu a davantage d’impact sur les voyages longue distance que sur les déplacements quotidiens, et qu’il est davantage associé à l’usage de l’avion qu’à celui de la voiture. Cela se traduit par des schémas saisissants d’inégalités liées à la distribution des revenus. Au Royaume-Uni, par exemple, les 10 % les plus riches, en termes de revenus, consomment plus d’énergie par leurs voyages en avion que les personnes du dernier décile par toutes leurs activités (Baltruszewicz et al., 2023). En France, le gradient social des émissions de CO2 mesuré par le revenu est bien plus fort dans le cas du voyage longue distance que dans celui la mobilité quotidienne (Figure 3). Les autres facteurs socio-économiques associés au voyage longue distance comprennent l’emploi, l’éducation et le genre (les hommes voyageant plus que les femmes). Les adultes avec enfants et les personnes âgées font généralement part de niveaux plus faibles de voyages longue distance.
Figure 3. Distribution des émissions de CO2 dues à la mobilité locale et longue distance, par sextiles de revenus. Graphique du Forum Vies Mobiles. Sources : SOeS, Insee, enquête nationale transports et déplacements 2008
En règle générale, les attributs socio-économiques sont associés aux déplacements quotidiens et au voyage longue durée selon la même tendance, mais avec des ampleurs différentes. Cela signifie que les groupes sociaux qui se déplacent le plus dans leur environnement habituel ont également tendance à parcourir de plus grandes distances dans le segment des voyages. L’ethnicité et l’expérience de la migration constituent une exception, car les recherches montrent qu’en moyenne les migrants de première génération et les groupes ethniques minoritaires voyagent moins en voiture et davantage en avion que le reste de la population. Cela est sans doute dû au fait qu’ils ont des amis et des parents à l’étranger et doivent voyager à l’international pour entretenir leur réseau social personnel (Mattioli & Scheiner, 2022). Certains éléments suggèrent que la dispersion du réseau social favorise le voyage longue distance, qu’il soit intérieur ou international et quels que soient les modes.
Les chercheurs se sont beaucoup penchés sur les attitudes environnementales et les pratiques de déplacements quotidiens, et ont généralement conclu qu’il existait un lien assez faible, souvent désigné comme « attitude-behaviour gap » (le fossé entre les intentions et les pratiques) 4 . De nombreuses études ont montré que ce fossé était encore plus prononcé dans le cas du voyage longue distance par avion (voir, par exemple, Alcock et al., 2017). Cela signifie que les personnes ayant un intérêt pour les questions environnementales sont tout aussi susceptibles que les autres, par exemple, de prendre l’avion pour partir en vacances – même en prenant en compte d’autres facteurs. En revanche, cela ne signifie pas pour autant que les attitudes n’ont aucun effet sur les pratiques du voyage longue distance : les études démontrent notamment des liens avec un état d’esprit cosmopolite (la propension à la découverte de nouvelles cultures et lieux), l’aisance dans l’utilisation des nouvelles technologies et la polychronicité (le goût pour l’activité multitâches) (Czepkiewicz et al., 2020; Kim & Mokhtarian, 2021).
Il est bien établi que les individus vivant dans des zones urbaines vastes et denses tendent à parcourir des distances plus courtes dans leur vie quotidienne, notamment en voiture, ce qui entraîne des émissions plus faibles. Cette constatation ne s’applique pas, toutefois, au voyage longue distance. On sait aujourd’hui que ces individus, lorsqu’ils voyagent, parcourent de plus grandes distances que les résidents d’autres zones, en particulier par avion et au niveau international (Czepkiewicz et al., 2018). Cela reste valable si l’on prend en compte d’autres déterminants comme le revenu. Les recherches récentes suggèrent que cette corrélation s’appuie principalement sur trois facteurs : 1) un accès plus facile dans les villes aux infrastructures de transport comme les aéroports ; 2) une plus grande concentration de personnes avec un passé migratoire et des réseaux sociaux dispersés dans les grandes zones urbaines ; 3) une association entre l’urbanité et les attitudes et modes de vie plus propices au voyage longue distance 5 . Il existe naturellement des interactions entre ces facteurs ; ainsi, quelqu’un qui a un état d’esprit cosmopolite sera davantage susceptible de se lier d’amitié avec des étrangers et de choisir de résider dans une « ville mondiale » où le voyage est facilité. De même, être né dans une telle ville pourrait augmenter la probabilité de développer un état d’esprit cosmopolite et de profiter des infrastructures disponibles pour le voyage longue distance. D’un autre côté, on pourrait s’attendre à ce que le cosmopolitisme soit associé à davantage de préoccupations climatiques – en raison de l’attention aux impacts négatifs du changement climatique sur les groupes vulnérables dans le monde entier – ce qui pourrait inciter à moins prendre l’avion.
Le voyage longue distance soulève plusieurs problèmes politiques, liés principalement à son impact environnemental croissant et aux grandes inégalités sociales dans la participation à cette forme de déplacements.
Du point de vue environnemental, le Forum international des transports estime qu’au niveau mondial, le transport interurbain représente 38 % des émissions de CO2 du transport de passagers (FIT, 2021). La part véritable en termes d’impact climatique est sans doute plus élevée, car celui-ci est doublé ou triplé en raison des autres émissions de l’aviation. Si, actuellement, on estime que l’aviation représente 3,5 % du forçage climatique 6 (Lee et al., 2021), cette part sera sans doute plus importante à l’avenir. L’activité aérienne et les émissions ont rapidement augmenté depuis les années 1960, avec une nouvelle accélération depuis les années 2000 ; cette croissance n’a été que marginalement compensée par les améliorations technologiques et les gains d’efficacité opérationnelle. L’aviation internationale est l’un des sous-secteurs du transport dans lequel les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté le plus rapidement au niveau mondial depuis 2010 (+ 2,7 % par an). À moins que des politiques de décarbonation rigoureuses ne soient mises en œuvre, le kilométrage de voyages interurbains devrait croître de 81 % entre 2015 et 2050, et ses émissions de gaz à effet de serre de 25 %, surtout à cause de l’aviation (FIT, 2021 ; voir ci-dessus, fig. 1). Cela a conduit le FIT à affirmer que « la lutte pour la baisse des émissions dues au transport pourrait être perdue ou gagnée en dehors des villes » (2021, p. 130).
Dans l’ensemble, le message est que l’augmentation des voyages longue distance, si elle reste incontrôlée, annulera sans doute les améliorations technologiques, entraînant une croissance des émissions à un moment où les pays visent la neutralité carbone. Le consensus parmi les experts est qu’il est nécessaire de prendre des mesures de limitation de la demande, par exemple par le biais de taxes plus élevées sur les voyages aériens.
L'attention croissante portée à l’impact environnemental du voyage longue distance a également mis en lumière le fort niveau d’inégalité qui caractérise cette pratique. D’une façon générale, de vastes secteurs de la population participent (très) peu au voyage longue distance, alors qu’une minorité de « grands voyageurs » privilégiés est responsable d’une grande partie des distances parcourues et des émissions. Cette disparité est encore plus prononcée pour le transport aérien. Même dans les pays où la fréquence moyenne des déplacements en avion est élevée, (beaucoup) moins de la moitié de la population y participe sur une période de 12 mois, et c’est toujours une minorité qui est responsable d’une grande part des vols et des émissions. L’usage du train à grande vitesse, quoique moins émetteur, est également distribué plutôt inéquitablement en fonction du revenu, du genre, de l’âge, de l’éducation et de l’emploi. Contrairement aux idées reçues, les inégalités dans les voyages longue distance et l’usage du transport aérien sont toujours très importantes et n’ont diminué que lentement au fil du temps (Demoli & Subtil, 2019).
Pris ensemble, les objectifs de limitation de l’impact environnemental du voyage longue distance et de réduction des inégalités sociales font apparaître aussi bien des synergies que des compromis nécessaires. Par exemple, les défenseurs de l’environnement préconisent souvent un investissement dans les infrastructures de train à grande vitesse pour détourner les passagers de l’avion. Pourtant, cela entraînerait aussi l’affectation de ressources publiques importantes au bénéfice des segments les plus privilégiés de la population qui sont ceux qui utilisent le plus ces modes de transport. On pourrait argumenter que, dans une perspective d’égalité sociale, ces ressources devraient plutôt être affectées aux transports publics locaux, utilisés très majoritairement par les groupes à faible revenu. L’exemple d’une mesure qui réconcilierait ces deux objectifs pourrait être l’idée d’une « taxe grands voyageurs » (Fouquet & O’Garra, 2022). Le premier vol de l’année serait exonéré de taxes additionnelles – ce qui permettrait aux voyageurs occasionnels de continuer à prendre l’avion sans coût supplémentaire –, mais chaque vol suivant se verrait appliquer une taxe de plus en plus lourde. Ainsi, les grands voyageurs, responsables de la plus grande part de l’impact environnemental, supporteraient également la majeure partie de la charge fiscale. Cela pourrait freiner la croissance du transport aérien tout en générant des revenus qui pourraient être reversés vers les solutions technologiques comme les e-carburants.
Au-delà de ces considérations, l’avenir du voyage longue distance est rendu plus incertain par le risque de pandémies récurrentes, ce qui remettrait en question plusieurs aspects de la mondialisation dont, peut-être, la viabilité de l’industrie aéronautique dans sa forme actuelle. Les évolutions du coût du voyage et les innovations technologiques pourraient aussi transformer les normes sociales concernant le voyage longue distance et la coprésence physique, avec des conséquences difficiles à prévoir. Dans l’état actuel des choses, toutefois, le scénario le plus probable est celui où le voyage longue distance retrouve sa trajectoire de croissance, après les perturbations entraînées par la pandémie de Covid-19 7.
1 L’ENTD mentionne plus précisément « les voyages effectués à plus de 100 kilomètres du domicile (80 km à vol d’oiseau) ».
2 https://www.gov.uk/government/collections/national-travel-survey-statistics
3 Unité de mesure correspondant à un kilomètre pour une personne.
4 Voir Yoann Demoli, « Les valeurs environnementales au défi des pratiques de mobilité », Forum Vies Mobiles, https://forumviesmobiles.org/videos/15842/les-valeurs-environnementales-au-defi-des-pratiques-de-mobilite, ainsi que Swann Thommen et Sébastien Munafò, « Cadres de vie, modes de vie et mobilités de loisir », Forum Vies Mobiles, https://forumviesmobiles.org/recherches/2694/cadres-de-vie-modes-de-vie-et-mobilites-de-loisir
5 Voir Johannes Volden, « Pris dans une tempête morale : comment les écologistes transigent-ils avec leurs voyages en avion ? », Forum Vies Mobiles, https://forumviesmobiles.org/jeunes-chercheurs/13819/pris-dans-une-tempete-morale-comment-les-ecologistes-transigent-ils-avec-leurs-voyages-en-avion
6 L’ensemble des facteurs extérieurs qui impactent le système climatique.
7 À ce sujet, voir l’article de Weiqiang Lin, https://forumviesmobiles.org/points-de-vue/15894/revenge-travel-aeromobilites-et-industrie-aerienne-apres-la-pandemie
La définition du voyage longue distance peut varier, selon que l’on considère la distance parcourue, le temps de trajet, le nombre de nuits sur place, ou le fait pour un individu de sortir de son environnement habituel. Défini par la distance (par exemple, plus de 100 km), il représente généralement 1 à 2 % des voyages.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
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Pour citer cette publication :
Giulio Mattioli (26 Juin 2023), « Voyage longue distance », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 21 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./dictionnaire/15897/voyage-longue-distance
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