Zones urbaines immenses de plus de 10 millions d’habitants, les mégapoles concentrent les activités économiques, sociales et culturelles. Mais cela a un prix : la taille et la concentration de l’emploi impliquent des temps de trajets hors normes, un coût de la vie qui explose et la contrainte pour les habitants de s’entasser dans des logements exigus. La crise sanitaire de 2020 a provoqué un recours massif au télétravail sur ces territoires, permettant à leurs habitants d’expérimenter une nouvelle organisation de leurs activités. Qu’en reste-t-il quatre ans plus tard ? Quels impacts sur l’organisation de ces espaces et sur les modes de vie qui s’y déploient ? Le télétravail sera-t-il le catalyseur du départ de la mégapole vers d’autres cadres de vie ? Pour la troisième année consécutive, le Forum Vies Mobiles a lancé une enquête pour analyser ce qui est en train de s’y réaliser.
Après deux études sur l’Île-de-France, cette nouvelle enquête, menée auprès de près de quinze mille personnes, élargit le champ d’étude aux mégapoles de Londres et de New York. Ce qui est vrai pour Paris l’est-il également dans le reste du monde ?
Cette enquête a été réalisée en ligne en décembre 2023 sur trois territoires, l’Île-de-France et les zones métropolitaines de Londres et de New York. Un échantillon de 14 895 actifs en emploi, un tiers dans chaque mégapole 1 dont 1004 télétravailleurs franciliens, 1052 new-yorkais et 1000 londoniens. « Télétravailleurs » ici définis comme l’ensemble des actifs, hors indépendants, employés dans des entreprises situées dans chacun des territoires cibles (Île-de-France, zone métropolitaine de New York et zone métropolitaine de Londres) et qui, à la date de l’enquête, pratiquaient le travail à distance au moins une fois par mois. Sont définis comme « télétravailleurs réguliers » ceux qui le pratiquent au moins une fois par semaine.
Information : dans le texte, les Franciliens, Londoniens et New-Yorkais sont ici définis comme ayant leur bureau respectivement en Île-de-France, zone métropolitaine de Londres et zone métropolitaine de New York.
Au sein des trois mégapoles le télétravail est largement pratiqué : 47% des actifs franciliens et londoniens télétravaillent au moins une fois par mois, ils sont même 54% dans la zone métropolitaine de New York.
Dans ces trois zones, dans plus de 9 cas sur 10, lorsqu’on télétravaille, on le fait régulièrement , c’est-à-dire au moins une fois par semaine. Ainsi : 45% des actifs télétravaillent désormais au moins une fois par semaine en Île-de-France et dans la zone métropolitaine de Londres. Ils sont 50% dans la zone métropolitaine de New York.
La crise sanitaire a révolutionné les pratiques puisque dans chaque territoire, 3 /4 des télétravailleurs ne travaillaient jamais à distance avant 2020 (79% en Île-de-France, 76% dans la métropole de New York et 74% dans la métropole de Londres).
Lorsqu’ils télétravaillent les Franciliens le font principalement depuis leur domicile (89%). C’est un peu moins vrai à Londres (75%) et New York (67%). Là-bas, il est beaucoup plus courant qu’en France de travailler depuis un deuxième logement, un espace de coworking ou un café : ils sont près d’1 sur 2 à New York à le faire régulièrement ou occasionnellement et près d’1 sur 3 à Londres, contre seulement 1 sur 10 à Paris (2 sur 10 depuis un second logement).
La pratique du télétravail à la demi-journée est beaucoup plus développée à New York (41% des télétravailleurs) et à Londres (28% des télétravailleurs) qu’en Île-de-France : seulement 9% des Franciliens pratiquent de temps en temps le télétravail sur une demi-journée.
L’Île-de-France se démarque des autres zones avec un très haut pourcentage de présence sur le lieu de travail le mardi et dans une moindre mesure, le jeudi (70% et 62% de présentiel). Jours où les pointes sont donc les plus importantes dans les transports collectifs et sur les routes.
Le jours accolés au week-end sont les plus télétravaillés, permettant un éventuel déplacement ou de prolonger la coupure avec le lieu de travail. La particularité française du mercredi peut s’expliquer par le rythme scolaire des enfants.
Pour 26% des télétravailleurs en Île-de-France il est devenu normal de dormir en dehors de chez soi pour une ou plusieurs nuits les jours où l’on se rend sur son lieu de travail. Cette nouvelle organisation est de plus en plus répandue puisqu’ils n’étaient que 18% en 2022.
La moitié (49%) des découchés réalisés par des télétravailleurs franciliens ne se font que pour une nuit. Aux États-Unis et en Angleterre, il est plus répandu de découcher deux nuits ou plus : respectivement 74% et 61%.
Lorsqu’ils découchent, les Franciliens sont 45% à loger chez des amis ou de la famille. C’est 5 points de moins qu’en 2022. Mécaniquement, les alternatives marchandes progressent toutes : hôtel 41% en 2023 (+3 points depuis 2022), appart-hôtel 25% (+11 points), logement chez l’habitant via des plateformes spécialisées 14% (+8 points).
Cette évolution pourrait être liée au passage d’une situation considérée comme exceptionnelle ou temporaire à une pratique durable. La gestion informelle peut alors montrer ses limites (une fatigue de déranger ses proches, recherche de davantage de confort, etc.).
On constate néanmoins un ralentissement général des déménagements en 2023, principalement dû à la crise et à l’inflation. Comme lors des vagues précédentes, la tendance est à l’éloignement du centre de l’Île-de-France. Depuis 2020, 14% des télétravailleurs qui ont déménagé se sont éloignés du centre de la région, contre 5% qui se sont rapprochés. 62% ont déménagé au sein du même bassin de vie.
En revanche, il est clair que la pratique du télétravail permet d’élargir la zone de recherche de logement et plus encore, d’emploi. 25% des télétravailleurs ayant déménagé depuis la crise sanitaire de 2020 n’auraient pas eu le même projet de déménagement sans le télétravail, et même 7% d’entre eux n’auraient pas déménagé du tout. Parmi ceux qui se sont éloignés de leur lieu de travail, le chiffre de 25% passe à 29%.
Pour les projets futurs, 39% des déménagements ne seraient pas les mêmes, voire ne se feraient pas du tout, sans possibilité de télétravailler. Ce chiffre passe à 52% pour un projet de déménagement impliquant un éloignement du lieu de travail. Parmi les télétravailleurs franciliens qui ont changé de lieu de travail sans déménager, 47% se sont éloignés de leur domicile avec ce changement. 24% seulement se sont rapprochés. Parmi ceux qui se sont éloignés, sans la possibilité de télétravailler 22% auraient choisi un lieu de travail plus proche de leur domicile et 46% n’auraient pas changé de lieu de travail.
Dans le futur, la possibilité de télétravailler inciterait 1 télétravailleur francilien sur 2 à changer de travail ou à déménager avec des distances à parcourir plus importantes. A l’étranger, le télétravail incite encore davantage à changer de travail en s’éloignant du domicile (environ 3 sur 4).
Si on constate que seulement 4% des télétravailleurs franciliens ont déménagé depuis 2020 et quitté l’Île-de-France, avec même un léger phénomène de retour (5% des télétravailleurs ont déménagé hors de l’Île-de-France entre 2020 et 2023 et sont revenus), les projets de départ de la région restent nombreux.
Un actif francilien sur cinq, qu’il soit un télétravailleur ou non, projette de quitter l’Île-de-France dans les cinq prochaines années. Cela représente environ 800 000 actifs.
Les régions attractives sont l’Ouest de la France (Normandie et Bretagne) et toute la moitié Sud (Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, PACA).
* Télécharger la synthèse de l’enquête en PDF
* Télécharger la présentation complète de l’enquête
Le télétravail permet-il de quitter l’Île-de-France ? Premier volet
Enquête télétravail : vers un exode des Franciliens ? Second volet
1 5004 actifs dont 4000 non-télétravailleurs ayant leur bureau en Ile-de-France. 4886 actifs dont 3834 non-télétravailleurs ayant leur bureau dans la zone métropolitaine de New York. 5005 actifs dont 4000 non-télétravailleurs ayant leur bureau dans la zone métropolitaine de Londres
2 La mobilité quotidienne correspond à l’ensemble des déplacements réalisés chaque jour ou presque pour accéder à ses activités habituelles : travail, courses, santé, accompagnement, sport, loisirs, balade, etc.
3 La mobilité résidentielle désigne le changement de lieu de résidence principale d’un ménage.
4 La bi-résidentialité consiste à vivre dans consiste à habiter deux logements à part presque égale en termes de durée.
Exercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.
En savoir plus xLa mobilité résidentielle désigne, de manière large, le changement de lieu de résidence d’un ménage à l’intérieur d’un bassin de vie.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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