09 Décembre 2024
Avec le lancement du métro de Riyad à la fin du mois de novembre 2024, l’Arabie saoudite marquait à nouveau sa volonté de hisser sa capitale au rang des plus grandes villes mondiales. Les réformes économiques et sociales de cette dernière décennie doivent beaucoup à la fin annoncée du pétrole et à un climat désertique qui ne va qu’en se réchauffant. Pour comprendre la place de la mobilité dans les transformations en cours, le Forum Vies Mobiles a organisé un voyage d’étude afin de rencontrer les chercheurs, les aménageurs et les partis prenantes françaises sur place. Comment s’organise la mobilité sur le territoire saoudien ? Comment les Saoudiens eux-mêmes vivent leur mobilité ? Quels sont les changements en cours pour faire face au réchauffement climatique ? Et prépare-t-on vraiment la fin de l’ère du pétrole ? À côté de la communication internationale autour de projets pharaoniques, à l’intérieur du pays, les stratégies en termes de mobilité, d’urbanisme et de modes de vie sont redéfinies. Le présent article en dessine les contours.
Depuis 2016 et l’annonce du Plan Vision 2030 par le Prince héritier Mohammed ben Salmane, une série de projets « pharaoniques » a été annoncée et lancée en Arabie saoudite. Le plus iconique est très certainement celui de NEOM, dont le désormais célèbre projet de ville linéaire, baptisé The Line, est la pièce maîtresse. La volonté affichée est d’inscrire le pays dans les 15 premières puissances économiques et, pour atteindre cette ambition, le pays emprunte deux voies complémentaires qui forment le nouveau socle de sa communication à destination du reste du monde : présenter des mégaprojets écotechnologiques et résolument futuristes, et refondre profondément le système socio-économique par une série de réformes dont la mobilité est à la fois un moteur et l’un des secteurs les plus impactés.
Fig1. Principes de conception de The Line.
À l’intérieur du pays, la communication de Vision 2030 est tout aussi travaillée, à travers une multitude de projets de plus ou moins grande ampleur sur l’ensemble du territoire. L’ambition affichée est cette fois d’améliorer la qualité de vie des Saoudiens, avec pour objectif d’inscrire trois villes saoudiennes, dont Riyad et Djeddah, dans le top 100 des villes où il fait le mieux vivre.
Fig.2. Portrait de Mohammed ben Salmane avec le logo de Vision 2030 dans les rues de Riyad
Ces projets sortent progressivement de terre, souvent en plein désert, dans un pays confronté avec ardeur aux effets du changement climatique. Les températures y sont de plus en plus extrêmes et le stress hydrique installé depuis longtemps. Les enjeux sont donc colossaux, et l’Arabie saoudite semble en avoir pris conscience en se fixant l’objectif de « Zéro émissions » à l’horizon 2060. Le défi est de taille pour un État se classant parmi les dix premiers pays au monde en matière d'émissions de carbone par habitant.
C’est dans ce contexte que le Forum Vies Mobiles s’est intéressé à la mobilité dans le royaume du pétrole, d’abord en considérant les projets en cours, leur pertinence en termes de mobilité durable et d’impact sur les changements de pratiques modales, notamment automobiles ; ensuite en s’intéressant aux transformations plus systémiques des modes de vies qui ont accompagné les réformes économiques et sociétales, sous l’angle des déplacements. L’intérêt s’est notamment porté sur la perception qu’ont les citoyens de ces changements, particulièrement sur les projets de transport en commun et leurs impacts sur la pratique de l’espace urbain par les différentes catégories sociales. Il s’est aussi porté sur la place accordée au développement de la vie en proximité dans les différents projets. Enfin, l’accent a été mis sur les stratégies d’adaptation aux conditions climatiques extrêmes, particulièrement dans le cadre des changements en cours au niveau mondial.
Pour répondre à ces interrogations, le Forum Vies Mobiles a organisé un voyage d’étude à la fin du mois d’avril 2024, afin d’aller à la rencontre de chercheurs et de professionnels de la mobilité. Un premier travail bibliographique avait permis de constater le manque de publications sur la mobilité quotidienne en Arabie saoudite, en dehors des nombreuses études de trafic et de sécurité routière, et l’identification de plusieurs chercheurs et institutions à rencontrer.
Trois terrains d’étude ont été sélectionnés pour la pertinence des dynamiques en cours : Riyad, Dammam et AlUla. La sélection des terrains répond notamment à la volonté de visiter des villes de tailles variées, mais aussi avec des problématiques différentes.
Nous avons focalisé nos recherches sur les mobilités quotidiennes et avons écarté les cas exceptionnels des mobilités liées au pèlerinage. Des séjours courts (une journée) à Médine, La Mecque et Djeddah ont permis d’avoir un aperçu de ces villes d’importance, sans que cela ait donné lieu à des rencontres.
RIYAD
La capitale compte 7 millions d’habitants pour une densité relativement faible de 3 959 hab./km2 (en comparaison, la densité de la ville de Paris est de 20 000 hab./km2). Les infrastructures automobiles structurent la morphologie urbaine, contraignant les mobilités piétonnes dans un contexte où les traversées piétonnes sont rares et la circulation très congestionnée. Les transformations urbaines sont omniprésentes et la ville paraît être un vaste chantier. Le plus vaste réseau de transport public au monde a été lancé à la fin du mois de novembre 2024 : 6 lignes de métro doivent être lancées de concert à la fin de l’année 2024, avec à terme 176 kilomètres de voies et 85 stations (contre 226 km à Paris pour 308 stations). Pour relier les lignes entre elles, un Bus à haut niveau de service accompagnera le lancement et 54 lignes de bus fonctionnent déjà ou seront lancées, pour desservir 3 000 points d'arrêts. Au total, 35 entreprises internationales de conception, de construction, d'exploitation et de maintenance emploient 52 000 personnes sur ces projets.
Fig. 3. Vue de Riyad
DAMMAM
La ville industrielle de Dammam, 2e port pétrolifère du pays, est la 5e plus grande ville, avec plus de 900 000 habitants. Sa proximité immédiate avec le Bahreïn est à l’origine d’importants flux quotidiens, notamment des mobilités domicile/travail à destination de Dammam. La ville, très étendue, est peu dense et au stade de la conception de son réseau de transport public, même si des bus existent déjà. Des quartiers entiers sont en construction ou en rénovation, avec la volonté de les intégrer aux réseaux de transport (voire d’y limiter la voiture) et d’y développer les modes actifs.
Fig. 4. Vue d’une rue de Dammam
ALULA
Ville moyenne de 50 000 habitants, AlUla est le principal site touristique d’Arabie saoudite (hors pèlerinage), recevant 200 000 visiteurs chaque année, principalement des pays du Golfe. Le projet est de passer à 2 millions de visiteurs par an (locaux et internationaux), sur un site touristique « haut de gamme ». Afin d’accompagner ces transformations, la ville ambitionne d’atteindre 150 000 habitants au cours des 10 prochaines années et de devenir une capitale régionale. AlUla s’illustre par le développement d’un réseau complet de transports, destiné tant aux touristes qu’aux locaux, avec bus, tram, pistes cyclables, réduction de la voiture et navettes autonomes.
Fig.5. Vue sur la vieille ville et la palmeraie d’AlUla.
L’Arabie saoudite, peuplée de 36 millions d’habitants, s’étend sur 2,1 millions de km2, soit quatre fois la France. Le territoire est principalement composé de déserts) et de terres semi-arides (environ 98%) et seulement 2% des terres sont cultivables. Les températures peuvent y atteindre 50°C en été, avec des épisodes de chaleurs extrêmes qui à l’avenir devraient être plus chauds et plus longs. Dans le troisième pays producteur de pétrole, après les États-Unis et la Russie, la rente pétrolière est à la base de l’économie. L’abondance de l’or noir conjuguée à la rudesse du climat ont de toute évidence contribué à façonner les modes de déplacement. L’aviation domestique y est l’une des plus importantes dans le monde, avec 52 millions de passagers enregistrés en 2023. De plus, les nombreux investissements dans la modernisation des aéroports et le développement de nombreuses compagnies à bas coûts ont contribué à augmenter le nombre de passagers domestiques et internationaux de respectivement 9% et 46%, en 2023, ce qui est en phase avec la volonté manifeste de faire du royaume un Hub aéroportuaire régional et mondial.
Ce vaste territoire, qui couvre 80% de la péninsule arabique, est également desservi par un réseau viaire de 200 000 km de routes, dont 5 000 km d’autoroutes (la vitesse est récemment passée sur certains tronçons de 120km/h à 140km/h). L’automobile y est reine (Menoret, 2014) et a été encouragée non seulement par la dispersion des centres de population et des défis géographiques, mais aussi grâce à l’accès à un carburant subventionné et à bas prix. Les villes ont quant à elles suivi le modèle américain du tout-voiture, sans aucune offre fiable de transports en commun et avec un étalement urbain considérable. Les véhicules puissants, pouvant faire du hors-piste pour les pratiques de loisir dans le désert, et avec un système de climatisation performant sont favorisés.
Fig 6. Culte de l’automobile dans les rues de Riyad. Aniss Mezoued, 2024.
Le système de mobilité est pourtant en train de se transformer en même temps que la société et l’économie saoudienne. La volonté d’anticiper la sortie du pays de la rente pétrolière par la mise en place d’une économie « moderne » passe entre autres par la réduction des subventions et l’instauration de taxes sur la valeur ajoutée. Le prix du carburant est de ce fait en hausse depuis 2018, ainsi que le prix de certains véhicules.
Conjugués à des changements sociétaux profonds et à des investissements massifs dans les transports en commun, l’espace public et les équipements divers, ces transformations influent radicalement sur les pratiques de déplacement et les modes de vie des Saoudiens et des Saoudiennes.
La Vision 2030 traduit le projet politique national de transformation du pays. Il prend la forme d’un ensemble de réformes économiques, sociales, environnementales et territoriales lancé en 2016 avec l’objectif affiché de réduire la dépendance économique au pétrole. Il comprend, entre autres, des mesures comme la diversification de l’économie, l’instauration d’une TVA (15%) et l’augmentation du prix du pétrole. Le plan donne également une importance particulière au tourisme, désigné comme un secteur majeur de développement économique de l’après-pétrole, et dont la part dans le PIB actuel (mis à part le pèlerinage qui, selon nos entretiens, est totalement détaché du tourisme) est quasiment nulle.
Fig. 7. Schéma d’aménagement du territoire 2030. (IPR, 2021).
Pour y arriver, l’Arabie saoudite mise sur une ouverture avant tout économique du pays à l’international. Cette direction assumée, les mesures économiques s’accompagnent d’un rapprochement avec les pays du Nord et d’une refonte radicale du contrat social sur lequel a été fondé le régime, notamment à travers la révision des droits des femmes, la privatisation de l’économie et l’ouverture du pays au tourisme. Dans cette vision, les Saoudiens et Saoudiennes sont appelés à prendre part à la nouvelle économie à travers des mesures en direction de l’emploi. Connue sous le terme de « Saoudisation » , ou « Nitakat » en arabe, cette stratégie vise principalement la réduction du chômage, dans un contexte où la main-d’œuvre est largement constituée d’étrangers, qui représentent 41% de la population. Un label est mis en place pour inciter très fortement les entreprises (saoudiennes comme étrangères) à avoir un certain pourcentage de Saoudiens dans leurs effectifs. Plus ce pourcentage est important, plus l’entreprise bénéficie d’avantages.
De toutes les transformations de la société et des territoires, la « saoudisation » est très probablement ce qui pourrait influencer le plus rapidement les mobilités et notamment les pratiques automobiles. La transformation des déplacements pendulaires est déjà en œuvre, notamment avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, dans un contexte où les transports en commun étaient jusqu’alors très limités, voire absents. Ces bouleversements des structures et organisations familiales sont survenus en même temps que deux événements majeurs : l'obtention du droit de conduire pour les femmes en 2018 d'une part, et l'augmentation des taxes imposées aux travailleurs étrangers d'autre part (une taxe de 400 rials par personne dans le foyer et par mois doit être payée par les étrangers), qui ont notamment rendu difficile l’emploi d’un chauffeur. Les pratiques de mobilités sont donc en pleines transformations.
Avant même la taxation, tous les Saoudiens n’avaient bien sûr pas les moyens d’avoir des chauffeurs, et parfois, ils le sont eux-mêmes. C’est le cas de plus de neuf sur dix des quelque trente chauffeurs Uber que nous avons rencontrés lors du voyage – alors que les compagnies de taxis plus classiques recourent plus fréquemment aux chauffeurs étrangers. Lorsque nous avons posé la question de leurs motivations, la majorité des chauffeurs ont en premier lieu invoqué le plaisir de rencontrer de nouvelles personnes, avant le complément de revenus. Nombre d’entre eux ont un emploi à côté de leur activité de taxi, c’est notamment le cas de Saoud qui nous a dit être directeur d’école. À noter qu’Uber est en croissance continue dans le pays avec plus de 530 000 trajets entre 2014 (date de lancement) et 2021. C’est le cas également des compagnies de livraison avec le développement croissant des achats et des paiements en ligne. Certains Campus universitaires, comme celui de la King Fahd University of Petroleum and Mineral de Dhahran (KFUPM), disposent d’ailleurs de leurs propres services de livraison interne et de leurs propres applications de commandes.
Fig. 8. Service de livraison de la KFUPM. Aniss Mezoued, 2024.
Fig. 9. Services de livraison à Riyadh. Aniss Mezoued, 2024.
Plus encore, la numérisation totale de l’administration a, selon le Professeur Ratrout de la KFUPM, contribué à réduire considérablement les déplacements « bureaucratiques ». Les documents administratifs sont entièrement numériques ou livrés à domicile. Ceci réduit certainement le déplacement de personnes, mais augmente très probablement les flux de biens et de livraison, ainsi que la précarisation de certaines catégories de la population comme c’est le cas ailleurs 1.
À Riyad, la majorité des chauffeurs rencontrés habitaient les quartiers Sud et sont originaires d’autres régions du pays, et dans certains cas de pays limitrophes. Il semblerait qu’une géographie sociale se dessine dans les villes saoudiennes, et pourtant la question de la ségrégation socio-spatiale reste très peu abordée, voire taboue, dans les grands projets. Les lieux de vie et de résidence des travailleurs immigrés sont invisibilisés et à notre connaissance aucune communication officielle n’aborde cette question. Sur The Line par exemple, projet qui se veut visionnaire, nous ne sommes pas parvenus à obtenir une information concrète sur les futurs lieux de résidence des travailleurs qui feront vivre la ville. Tout juste sait-on que sur le chantier, il existe déjà une séparation entre les camps des ouvriers et celui des cadres saoudiens ou étrangers. Ces questions socio-spatiales renvoient inévitablement vers les enjeux de mobilité, d’accessibilité et d’égalité des chances. Elles sont en lien direct avec la saoudisation et ses effets systémiques sur l’ensemble de la société.
Avant le lancement des grands projets actuels, le slogan des transports était « Drive and survive ». Tout était pensé autour de la voiture et de la sécurité routière, qui reste une priorité aujourd’hui. De la place de parking abritée du soleil au drop-off ventilé du centre commercial climatisé, l’automobile occupe une place prépondérante.
Fig. 10. Magazine de sensibilisation à la sécurité routière « Drive and Survive », produit par l’ARAMCO pour « inculquer la culture de la sécurité à sa population ». Source : musée de l’ARAMCO, Dammam. Aniss Mezoued, 2024.
Si la transition vers le véhicule électrique est difficile à imaginer dans un pays où l’infrastructure de recharge n’est qu’à ses balbutiements et où le prix de l’essence est à moins de 2 SAR (50 centimes) le litre, le transport en commun, quant à lui, semble pouvoir se faire une place. C’est d’autant plus le cas que l’amélioration de la qualité de vie est en trame de fond des transformations en cours. Elle repose en grande partie sur la qualité de l’espace public d’une part, et sur l’amélioration de l’offre en transport en commun d’autre part. Les transformations des modes de vies provoquées par la « saoudisation » mèneront très probablement à une augmentation du nombre de déplacements qui pourrait être absorbée par les mobilités alternatives à l’automobile en cours de déploiement. Des investissements colossaux sont en cours sur l’ensemble du territoire, pour faire passer les villes du tout-voiture à une offre multimodale convaincante. Tout démarre de quasiment zéro. Les transports collectifs n’occupent actuellement que 1 à 2% des parts modales. Ils sont principalement utilisés par les ouvriers étrangers, sous forme de bus collectifs, généralement affrétés par les entreprises. Dans les trois villes étudiées, il n’y avait jusqu’à pas longtemps aucun réseau de bus et encore moins de métro, de tramways, voire de trottoirs convenables pour les piétons.
Sans remettre en question frontalement la place de la voiture, le royaume investit massivement dans une offre de mobilité alternative et variée. La stratégie assumée par certains acteurs est de donner à voir les transports en commun dans l’espace urbain, avec une offre de qualité offrant une plus-value par rapport à la voiture individuelle (en termes de prix ou de temps de déplacement), en misant sur un report progressif et une demande croissante à partir de l’expérimentation individuelle. Le repartage de l’espace public et la réduction éventuelle de la place de la voiture ne pourraient advenir que dans des phases ultérieures.
Fig. 11. Premières lignes et arrêts de bus le long de Olaya Street, à Riyad. Aniss Mezoued, 2024.
Avec la congestion importante au sein des grandes villes, l’enjeu du report modal devient vital pour un pays où la population active est en augmentation et où les besoins de mobilité sont croissants. Que ce soit pour le travail ou les loisirs, les changements sociétaux entraîneront de fait une augmentation des déplacements qui pourraient, si les projets sont menés à bien et les objectifs atteints, se porter directement sur les mobilités alternatives à l’automobile. Pour y arriver, l’offre devra être convaincante.
À Riyad, un réseau entier de transport en commun est en cours d’implémentation. 54 lignes de bus, sur 80 lignes à termes, sont déjà en service et sont fréquentées par un public varié, avec une majorité d’étrangers. Leurs arrêts sont climatisés et voient leur utilisation croître depuis leur lancement en mars 2023. Le réseau est complété par 3 lignes de BRT (Bus Rapid Transit) et surtout 6 lignes de métro depuis la fin de l’année 2024. Le réseau de métro anticipe déjà la croissance de la ville en prévoyant des stations dans des quartiers qui ne sont pas encore construits. Il s’articule autour de quatre stations principales, dont celle de King Abdullah Financial District (KAFD), le quartier d’affaires, vitrine du projet imaginée par le cabinet Zaha Hadid Architects.
Fig. 12. Station iconique de King Abdullah Financial District (KAFD) imaginée par Zaha Hadid. Aniss Mezoued, 2024.
En termes de report modal, les autorités visent avec le métro 1,2 million de voyageurs par jour – 1,7 million en incluant le réseau de bus dont le métro est la colonne vertébrale – avec un potentiel de 3,6 millions de voyages quotidiens selon la RCRC (Royal Commission for Riyadh City) une fois l’intégralité du réseau déployée. L’objectif est spécifiquement la réduction du nombre de voitures dans les rues de Riyad. Il permettra de rejoindre les aéroports, les services publics, les principales universités et la gare de Riyad-Est.Fig. 13. Plan de transport de Riyad. Source : RCRC.
À Dammam, huit lignes de bus ont également été mises en service en 2019. Pensés à l’origine pour transporter les femmes qui travaillaient mais n’avaient pas encore de permis de conduire, ces bus sont aujourd’hui ouverts à tous et leur développement fait pleinement partie des projets de développement de la ville, d’après notre entretien avec l’Autorité organisatrice de la région Est (Al Sharkiya). Cependant, l’expérience sur place nous a montré que les lignes manquent pour le moment d’adhérence, d’ancrage au territoire (Mezoued, 2015), avec peu de points d’arrêts dans une ville peu dense, traversée par des infrastructures routières et des servitudes pétrolières.
Fig. 14. Impossibilité de traverser l’autoroute pour prendre le bus à Dammam, de l’autre côté de la voie, en sortant des bureaux d’Al Sharkiya. Les distances de marche considérables entre les arrêts s’ajoutent à l’absence de franchissements et d’aménagements piétons. Aniss Mezoued, 2024.
L’enjeu de l’étalement urbain et de la faible densité est de taille, aussi bien à Dammam qu’à Riyad et dans l’ensemble des villes saoudiennes. Il est difficile à l’heure actuelle d’offrir un réseau de transport performant sans articuler mobilité et urbanisme. Il y a toutefois une volonté affichée d’aller vers un développement orienté vers le transit, c’est-à-dire un développement autour des nœuds de transport en commun, notamment de métro et de BRT.
Comme dans toutes les villes, l’enjeu du dernier kilomètre se pose également lorsqu’il est question de report modal. C’est d’autant plus important dans le contexte des villes étalées du tout-voiture et dans un climat aussi rude que celui de l’Arabie saoudite.
En ce sens, l’expérience d’AlUla est intéressante. L’Agence française de développement d’AlUla et la Commission royale d’AlUla y prévoient l’installation d’une ligne de tramway qui traverse la vallée et connecte les différents quartiers ainsi que les principaux lieux touristiques dans cette région dont les vocations sont principalement l’agriculture et le tourisme, et plus spécifiquement le tourisme haut de gamme. Le tramway vise les 9 millions de passagers par an dans une ville qui ambitionne de passer de 50 000 à 150 000 habitants dans les dix prochaines années, principalement en vue d’accompagner le développement du site touristique d’Hegra. Cela doit passer non par une extension, mais par une densification de la ville encore largement occupée par les terrains vagues.
Fig. 15. Plan de mobilité de la vallée d’AlUla.
Le tramway fait partie du plan de mobilité 360° en cours de développement par le groupe Systra. Il prévoie de connecter les trois quartiers de la ville (au nord les sites touristiques, au centre le quartier administratif et au sud le quartier résidentiel) ainsi que l’aéroport. En plus du tramway qui en constitue la colonne vertébrale, les différentes parties de la vallée seront également connectées par une piste cyclable, un réseau de bus assurant une desserte plus fine et des navettes permettant d’articuler les différents modes. Ces dernières, des véhicules autonomes en test lors de notre visite, se cantonnaient à relier la vieille ville piétonnisée à un parking relai. Sur une distance d’environ 500m, ces véhicules autonomes constituaient une attraction en soit, sans ajouter de plus-value réelle au système de transport. À termes toutefois, ces navettes (qui ne seront peut-être pas autonomes finalement) doivent faciliter l’accès la ligne de tramway et à différents sites dans la zone sans voiture.
Fig.16. La piste cyclable traversant la ville et le désert d’AlUla. Aniss Mezoued, 2024.
Fig. 17. Navette autonome en test sur le site de la vieille ville d’AlUla. Aniss Mezoued, 2024.
Par ailleurs, les opérateurs remarquent que la fréquentation des transports en commun a augmenté depuis la mise en place d’une zone sans voiture, que Systra espère étendre au-delà de la vieille ville. S’ils réussissent, la voiture sera contrainte fortement, ce qui constituerait une première dans le pays qui ne semble pas encore oser une confrontation avec l’usage de l’automobile. Ceci pousserait très certainement d’avantage vers l’usage des modes alternatives dont l’offre est variée à AlUla.
Dans les trois terrains, les transports en commun sont pensés comme des moyens de transport indifférenciés, aussi bien pour les travailleurs étrangers, que pour les touristes et les Saoudiens. La ségrégation de genre a quant à elle été supprimée de la loi fin 2019, comme suite logique des réformes entreprises par Mohammed ben Salmane avec Vision 2030. Comme dans de nombreux pays de la région MENA (Middle East and North Africa), la séparation entre les espaces « familles » et hommes seuls est relativement fréquente, mais l’espace public et la majorité des commerces sont mixtes. Dans les nouveaux bus de Riyad, il existe une discrète séparation entre les familles et les hommes seuls. De son côté, le métro fonctionne selon un système de première et de seconde classe. Une forme de ségrégation est donc maintenue entre catégories socio-économiques, mais de moins en moins en termes de genre. Pour un billet de deux heures, hors abonnement, les prix vont de 4 riyals (1 euro) en deuxième classe, à 10 riyals (2,5 euros) en première.
Le défi des transports en commun en Arabie saoudite sera sans doute de les rendre désirables. Le pays part de zéro, l’étalement urbain est important et le dernier kilomètre est difficile à gérer, au vu de l’étalement de la plupart des villes saoudiennes configurées pour le tout-voiture. De plus, la dimension culturelle de l’automobile est revenue très fréquemment lors de nos discussions. Le véhicule individuel représente non seulement un modèle de réussite, comme cela peut être le cas d’autres contextes et d’autres pays, mais constitue aussi un dispositif qui permet de préserver l’intimité. Une sorte de « Hidjab d’acier », comme cela nous avait déjà été dit à Alger 2, qui permet à la fois d’échapper au contrôle social et de ne pas se mélanger avec les inconnus. Dès lors, l’idée de véhicules partagés ou de covoiturage semble difficile à mettre en place. Nous n’avons d’ailleurs entendu parler d’aucun projet dans ce sens.
D’après Dr. Mohamed Ezzat Al-Atroush, chercheur à l’Université Prince Sultan, les investissements massifs en termes de transport public permettront très certainement un changement de pratiques de mobilité, notamment avec un report des mobilités des travailleurs, ou des personnes à plus faibles revenus, vers les bus. Il estime cependant qu’il sera naturellement plus difficile de convaincre les catégories les plus aisées, car si certains ont renoncé à avoir un chauffeur, avec les contraintes sur l’immigration, la voiture reste largement plébiscitée. De plus, l’offre haut de gamme dans tous les domaines reste plus importante qu’ailleurs. La plupart des complexes touristiques d’AlUla par exemple sont équipés d’héliports et presque tous les établissements ouverts au public (centres commerciaux, hôtels, restaurants, etc.) disposent d’un service de voiturier.
Fig. 18. Service de voiturier dans une rue commerçante de Riyad. Aniss Mezoued, 2024.
Parmi les grands projets de transport en commun, on retrouve bien évidement le train. Si son histoire remonte au début de XXe siècle avec le train du Hedjaz qui reliait Damas à Médine en passant par Amman et AlUla, l’infrastructure actuelle reste limitée et orientée principalement sur le transport de fret et de minerais. Le réseau ne compte que trois groupes de lignes, non connectées entre elles.
Fig.19. Train le long de la ligne Riyad-Dammam. Aniss Mezoued, 2024.
Après la destruction du train du Hedjaz par Lawrence d’Arabie, la première ligne réalisée par le royaume a été celle qui relie Riyad-Est à Dammam. Elle compte une ligne pour le fret depuis 1951 et une pour le transport de voyageurs depuis 1981 qui dessert quatre villes intermédiaires : Al Kharj, Haradh, Hofhuf et Abaquaiq. Elle permet à de nombreux voyageurs d’effectuer la navette quotidienne entre les villes périphériques des deux grandes villes que sont Riyad et Dammam. Il s’agit de la ligne la plus ancienne encore en exploitation et la plus fréquentée.
Fig.20. Gare ferroviaire de Dammam. Aniss Mezoued, 2024.
La gare de Riyad-Est est proche de la ville et sera connectée à la ligne orange du métro (voir carte du réseau de Riyad, fig.13), ce qui la rendra accessible en transport en commun, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’intermodalité et la desserte du dernier kilomètre en transport en commun, permettra très certainement d’encourager l’usage du train vers Dammam et les villes intermédiaires. Ce n’est pas le cas de la gare du nord qui est le terminus du second groupe de lignes entre Riyad et Gurayat (ligne Nord-Sud). À l’extérieur de la ville, elle n’est pour l’instant pas connectée au réseau de métro. Dans les deux cas, le train n’est pas conçu comme un transport interurbain, qui desservirait des petites villes, voire des petites gares à l’intérieur même de Riyad ou Dammam. Les gares constituent plutôt des terminus éloignés des espaces habités.
La troisième ligne en exploitation est celle du train grande vitesse Al Haramain, qui connecte les villes saintes de Médine et de La Mecque en passant par Djeddah, King Abdulaziz Airport et King Abdullah Economic City. Comme son nom l’indique, Haramain (« deux villes saintes »), le train est principalement à destination des pèlerins. Il a permis de réduire considérablement le temps de trajet entre les deux villes, le faisant passer de 5 heures en voiture ou en bus à 2h30.
Fig. 21. Carte du réseau de chemin de fer existant et projeté.En l’état, les trois principales lignes ne constituent pas un réseau suffisamment dense pour être le support d’un système de mobilité longue distance qui pourrait concurrencer l’avion. La SAR, la société saoudienne de chemin de fer, n’évoque d’ailleurs pas cette option en considérant que les investissements dans les aéroports ont été importants et que la pratique de l’avion est trop bien ancrée. Cela ne l’empêche pas néanmoins de travailler à l’amélioration du réseau et de l’offre à destination des voyageurs, qu’elle souhaite développer.
Le projet phare, en cours de réalisation, est « Desert Bridge », qui connectera grâce à une ligne grande vitesse Riyad à Djeddah, et sur lequel travaillent des entreprises chinoises. De multiples autres projets, en gris sur la carte ci-dessus, visent à mailler le territoire et à connecter plusieurs villes existantes et futurs développements urbains, dont Neom. Les défis pour concrétiser un tel réseau de chemin de fer sont importants, dont en premier lieu l’entretien, à cause de la distance entre les villes et des contraintes imposées par le sable et la chaleur. La SAR travaille avec des partenariats internationaux au développement de technologies spécifiques pour y faire face.
Au-delà des défis techniques et technologiques, le plus grand sera de rendre le train concurrentiel face à l’automobile. La connexion entre les lignes de train, l’accès aux gares en transport en commun, la multimodalité et l’augmentation des vitesses sont autant d’éléments qui peuvent contribuer à rendre le train attractif en Arabie saoudite. Si les investissements à l’échelle du pays vont dans ce sens, l’articulation des échelles nationale et régionale avec l’échelle locale reste encore un défi.
Fig. 22. Espace public au centre d'AlUla.
Les projets de transport en commun devraient théoriquement apporter des logiques de proximité, à travers la création d’espaces publics à l’échelle des quartiers résidentiels, le développement de quartiers de transit, etc. Le sujet de la proximité est naturellement revenu régulièrement auprès des chercheurs et des différents acteurs que nous avons rencontrés. Il semblerait qu’il y ait une prise de conscience de l’importance de transformer la ville du tout-voiture et de travailler sur cette proximité. Par exemple, le concept de ville du quart d’heure est revenu à plusieurs reprises à travers les interviews, en même temps que le constat du défi que cela représente de le rendre concret dans le contexte actuel.
Tout comme les transports en commun, la ville de proximité est confrontée aux enjeux de l’étalement urbain et de la rudesse du climat. La forme des villes actuelles et les infrastructures ne sont pas adaptées à cette proximité : les trottoirs sont inexistants dans de nombreux quartiers ; les infrastructures, notamment les grands axes routiers particulièrement périlleux à traverser pour les piétons, et les clôtures divisent ; les îlots, enfin, sont dimensionnés pour la voiture. En outre, la végétation est rare et les rues sont larges, sans aucune ombre à de nombreux endroits. Baisser la température des rues et rendre la pratique des modes actifs possible pendant les périodes de fortes chaleurs deviennent des enjeux décisifs.
D’après Dr Ezzat Al-Atroush, les enquêtes qu’il a menées au sein du campus universitaire montrent que la température élevée démoralise de nombreux usagers de la marche ou des modes actifs. Pour lui, refroidir les rues est une priorité. Les expérimentations de climatisation des rues et de peintures du bitume réalisées au Quatar semblent inspirer le voisin saoudien, mais Riyad paraît plutôt miser sur la végétalisation de la ville avec la plantation de plus de 7,5 millions d’arbres. Sous le nom de Green Riyad Project, ce programme vise à végétaliser l’ensemble des rues, des places, des cours des établissements publics et des écoles, ainsi que des échangeurs routiers et autoroutier. Un réseau de récupération des eaux est également prévu à l’échelle des quartiers pour assurer l’arrosage de ces millions d’arbres. Le projet phare est la réalisation d’un parc central, King Salman Park, de 16,6 km2, presque 5 fois Central Park à New York. Il est implanté sur le site de l’ancien aéroport au cœur de Riyad. Tout un symbole !
Fig.23. Exposition du projet Green Riyadh.
L’aménagement, voire le réaménagement, de l’espace public devient, en Arabie saoudite comme ailleurs, un enjeu majeur de la proximité. Aussi bien pour réduire les températures et permettre le déploiement de mobilités actives malgré les contraintes climatiques, que pour constituer le support spatial de ces mêmes mobilités.
Cependant, à Riyad, le réaménagement des espaces publics et leur végétalisation est plus abordé sous l’angle de la qualité de vie que sous celui de la mobilité. Les modes actifs de manière générale ne sont pas vus comme des alternatives aux déplacements motorisés, mais comme des pratiques sportives, en particulier le vélo. L’un des mégaprojets de la capitale est d’ailleurs le « Sports Boulevard », un corridor de 135 km qui traverse l’ensemble de la ville et qui, comme son nom l’indique, vise à développer l’activité sportive, mais aussi l’activité culturelle.
Fig. 24. Plan du Sports Boulevard en cours de réalisation.
Dans l’esprit de certains acteurs, notamment de la Youth Saudi Society, tout comme pour le transport en commun, le changement vers de nouvelles pratiques passera par l’expérimentation : c’est à travers le sport et ses infrastructures que pourrait se développer à terme un intérêt pour les modes actifs, notamment pour le vélo. C’est le cas à Riyad, mais aussi à AlUla, ou une piste cyclable de 50 km a été implantée le long de la vallée et souvent en plein désert. Elle connecte les trois parties de la vallée entre elles, et se prolonge au-delà même de l’aéroport au sud. Si le climat est plus doux à AlUla qu’à Riyad, les températures estivales restent très élevées et la piste en question semble difficilement praticable en dehors de la ville, tant elle se trouve exposée au soleil, sans végétation ni dispositif de refroidissement.
Fig.25. Piste cyclable de AlUla vers les quartiers Suds.
Des trois villes visitées, Dammam est celle où les questions de proximité et de mobilités actives sont le plus à leurs balbutiements, même si les projets sont nombreux et assez avancés. C’est notamment le cas des projets de construction ou de réhabilitation de quartiers entiers où l’accès aux transports en commun, la vie en proximité (sous l’angle de la ville du quart d’heure) et la limitation de la voiture font partie des problématiques. Des idées intéressantes sont ressorties de la rencontre avec l’Autorité organisatrice de l’Est (Al Sharkiya). Par exemple, la transformation de la ville et de l’industrie pétrolière fait que de nombreux pipelines ont été supprimés, laissant des corridors de servitude vides traverser la ville de part en part. Al Sharkiya souhaite les transformer en corridors de mobilités partagées et actives, accompagnés d’aménagements d’espaces publics et d’espaces verts. Tout un symbole ici aussi, dans la ville d’Aramco !
Dans les trois cas, les infrastructures sont avant tout présentées comme des installations sportives et de loisir, et non comme des infrastructures de mobilité. Une nuance pourrait être apportée à AlUla où nous avons observé quelques pratiques de vélo par des travailleurs, et dont le plan de mobilité 360° fait de la piste cyclable une infrastructure structurante complémentaire aux transports en commun. Cependant, tant que la ville n’est pas densifiée et que des dispositifs de rafraîchissement ne sont pas implantés, l’usage réel du vélo sur cette piste risque là aussi de rester cantonné aux pratiques de loisir et de sport, loin de la mobilité quotidienne.
Dans le royaume, deux villes semblent se distinguer en termes de mobilité active. Djeddah et Médine font office de bons élèves, notamment en matière de marchabilité. À Djeddah, la ville a conservé une expérience forte de la piétonnisation au sein du quartier ancien Al-Balad, renforcée par l’attraction principale, principalement à destination des locaux, qu’est la Corniche, un front de mer de plusieurs kilomètres entièrement aménagé pour les loisirs et sans véhicule motorisé.
Fig. 26. Voie centrale réservée aux modes actifs à Djeddah
Médine quant à elle développe une « ville à échelle humaine » en piétonnisant de nombreux axes pour faciliter la vie des pèlerins, mais aussi des habitants. Un réseau de pistes cyclables est également installé, ainsi que des vélos en libre-service.
Fig.27. Plaque signalétique indiquant : « Projet “d’humanisation” des rues du centre-ville de Médine ». Le projet comprend la piétonnisation et la création d’espaces partagés le long du plusieurs axes centraux.
Fig.28. Vélos en libre-service à proximité de la montagne de Uhud, lieux de visite religieuse.
Ces nombreux projets soulèvent la question de la circulation des modèles et de leur pertinence dans ce contexte. La tendance mondiale est bien sûr au développement de la mobilité active et de la proximité, mais il ne suffira très certainement pas d’implémenter des kilomètres d’infrastructures cyclables ou piétonnes pour répondre à des indicateurs ou suivre la tendance, si l’on veut installer durablement les pratiques de mobilité active dans ce contexte si particulier. La finesse du maillage qui lie les espaces publics et les mobilités actives est important et doit s’articuler avec la planification urbaine. Cela passe d’abord par la reconfiguration des formes urbaines du tout-voiture et la diversification des activités des quartiers monofonctionnel. Parallèlement, le déploiement de ce maillage fin de mobilité active doit aller de pair avec la végétalisation de l’espace public et son refroidissement, sans quoi le dernier kilomètre ne pourra jamais être pris en charge dans un pays comme l’Arabie saoudite. Or, ces éléments manquent encore de clarté dans les projets que nous avons pu voir et dans les entretiens que nous avons menés, et la question de l’intégration des modes actifs au système de mobilité global pour prendre en charge ce dernier kilomètre ne semble pas vraiment résolue.
Le voyage réalisé par le Forum Vies Mobiles a permis de constater l’ampleur des transformations mises en œuvre par le plan Vision 2030, au-delà des seuls mégaprojets dont la presse mondiale se fait déjà écho, et la manière dont les mobilités se trouvent impactées et impactent en retour les changements en cours.
Les différentes visites et rencontres ont été riches en enseignements, mais nous ont aussi permis de mettre la lumière sur de nombreuses interrogations en suspens.
Par exemple, l’adaptation aux changements climatiques sera plus difficile dans ces régions du monde qu’ailleurs. Il faudra rester attentifs aux solutions apportées, notamment pour s’adapter aux températures extrêmes. De ce que nous avons pu constater, les approches technologiques semblent prendre le dessus dans les grands projets : à NEOM avec le projet d’utiliser des IA pour gérer la mobilité de The Line ; dans les chemins de fer avec la volonté de développer des locomotives à hydrogène ; dans l’approvisionnement en eau qui mise sur le développement de nouvelles usines de désalinisation fonctionnant avec l’énergie de deux nouvelles centrales nucléaires, etc. Même si elles sont au centre de la communication et que les projets sont entamés, ces solutions techniques restent floues : leurs performances, leur adaptabilité au climat et leur plus-value sont encore discutées et incertaines.
En termes de transition, si Aramco 3 est un modèle dans la réduction des gaz torchés, il ne semble pas y avoir de remise en question globale, ou du moins immédiate, des énergies fossiles. C’est quelque part compréhensible dans un contexte où la transition du pays s’adosse aux revenus de la production de pétrole. Reste à savoir comment la part de ces revenus pourra réduire avec le temps pour atteindre l’objectif fixé par l’Arabie saoudite de devenir le pays le plus écologique au monde.
Cela étant dit, à côté de ce techno-solutionnisme assumé, des approches low-tech, plus sobres en énergie, se développent. Elles consistent à restaurer et à régénérer des écosystèmes, à naturaliser des espaces désertiques, à étendre des palmeraies, à réduire la consommation d’eau dans l’agriculture, à travailler sur le cycle de l’eau en milieu urbain avec la perméabilisation des sols et ailleurs avec la mise en valeur des réseaux hydrographiques, etc. Ces solutions semblent plus réalistes à court terme et avec des impacts plus importants sur le long terme. Ils sont, comme tous les projets du royaume, d’une dimension rarement réalisée ailleurs. C’est le cas par exemple de la végétalisation de Riyad ou de la régénération de la vallée agricole de AlUla. Il sera intéressant de suivre les résultats de ces initiatives.
En termes de mobilité, le dilemme entre solutions techniques et low-tech se pose également. Les véhicules thermiques, par exemple, semblent avoir encore de l’avenir au royaume du pétrole, en l’absence de réseau de recharge et de modèles électriques adaptés aux loisirs dans le désert. La remise en question de l’aviation, quant à elle, n’est absolument pas à l’agenda. La grande majorité des trajets intérieurs se font en avion et les acteurs rencontrés sont plutôt sensibles aux solutions techniques promises par l’industrie aéronautique, principalement des aéronefs hybrides, électriques ou à hydrogène. Le report de ces mobilités vers le train n’est visiblement pas un objectif du plan Vision 2030, et ne fait donc pas partie des priorités de la SAR, dont le concurrent est plutôt la voiture.
Dans certains cas, la pertinence des solutions technologiques reste discutable. C’est le cas des navettes autonomes en cours de déploiement à AlUla, notamment parce qu’elles tiennent plus de l’outil de communication que d’une réponse à un besoin
De manière générale, la transition durable des mobilités en Arabie saoudite semble plutôt être conditionnée par une transformation des modes de vies mobiles d’une part, et par la réponse qui sera apportée aux enjeux du dernier kilomètre et de la proximité d’autre part. La réussite des investissements colossaux dans les transports en commun dépendra donc de la réussite de ces deux points à travers l’articulation entre les différents modes et l’articulation entre la mobilité et la planification urbaine.
La végétalisation des rues et l’abaissement des températures est donc un enjeu pour développer l’altermobilité, notamment la marche. Les solutions proposées sont liées de manière systémique aux réponses apportées au changement climatique. La question de l’eau devient centrale, car pour concrétiser ces projets de verdurisation, il faut de l’eau, en l’occurrence de l’eau de mer dont le dessalement est extrêmement énergivore. En plus de la gestion du dernier kilomètre, un autre enjeu n’a que rarement été évoqué : celui de l’organisation de la société en fonction des différentes temporalités. La gestion du temps semble être un aspect négligé des dynamiques actuelles, mais qui est pourtant structurant des pratiques de la ville et de la mobilité, notamment des pratiques actives, dans ce contexte de fortes chaleurs. Les temporalités des différentes activités sont, de fait, organisées en fonction de deux contraintes : échapper à la chaleur et suivre les 5 prières de la journée. Intégrer cette dimension dans la planification des transformations sociétales et des modes de vie pourrait contribuer à l’amélioration de la qualité de vie recherchée et à encourager les alternatives en termes de mobilité.
Nous souhaitons remercier toutes les personnes que nous avons rencontrées et qui ont permis la réussite de ce voyage. Nous tenons particulièrement à remercier, de manière non exhaustive :
Almatar, K.M. Transit-Oriented Development in Saudi Arabia: Riyadh as a Case Study. Sustainability 2022, 14, 16129. https://doi.org/10.3390/su142316129
Al-Rashidn, M., and al (2020) Gender-Responsive Public Transportation in the Dammam Metropolitan Region, Saudi Arabia, Sustainability.
Badawi, Samaa, and Alshimaa Aboelmakarem Farag. 2021. "Young Saudi Women's travel behavior change over 2015/2020." Journal of Transport & Health 21: 101080. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.jth.2021.101080 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214140521001109
Ménoret, P. (2014). Joyriding in Riyadh: Oil, Urbanism, and Road Revolt, Cambridge University Press : Cambridge.
Omar Alotaibi & Dimitris Potoglou (2018) Introducing public transport and relevant stratégies in Riyadh City, Saudi Arabia: a stakeholders’ perspective, Urban, Planning and Transport Research, 6:1, 35-53, DOI: 10.1080/21650020.2018.1463867
Sultan, B., I. M. Katar, and M. E. Al-Atroush. 2021. "Towards sustainable pedestrian mobility in Riyadh city, Saudi Arabia: A case study." Sustainable Cities and Society 69: 102831. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.scs.2021.102831. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2210670721001219
Tesoriere, G. & Errigo, M. F. (2018). Urban travel behavior determinants in Saudi Arabia. Tema Journal of Land Use, Mobility and Environment. 31-46. doi: http://dx.doi.org/10.6092/1970-9870/5449
Vision 2030 : https://www.vision2030.gov.sa/en
Youssef, Z.; Alshuwaikhat, H.; Reza, I.Modeling theModal Shift towards a More Sustainable Transport by Stated Preference in Riyadh, Saudi Arabia. Sustainability 2021, 13, 337. https://doi.org/10.3390/su13010337
Portail statistique de l’Arabie Saoudite : https://portal.saudicensus.sa/portal
Commission Royale de la ville de Riyad : https://www.rcrc.gov.sa/en/
Master Plan de AlUla, « Journey throudh time Masterplan”: https://ucl.rcu.gov.sa/
1 Pour la France, voir notre recherche sur les livreurs à vélo : https://forumviesmobiles.org/recherches/13524/etre-livreur-velo-passion-ou-exploitation
3 Société nationale de production de pétrole. Première dans le monde.
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLa mobilité active a trait à toute forme de déplacement effectué sans apport d’énergie autre qu’humaine (sans moteur) et par le seul effort physique de la personne qui se déplace. Elle se réalise à l’aide de modes eux-mêmes dits « actifs », principalement la marche et le vélo.
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