30 Janvier 2014
Les transports en commun ou partagés ont-ils leur place en milieu rural ? Comment répondre aux besoins des personnes à mobilité réduite ou isolées ? Comment prendre en compte les questions écologiques ? Les réponses d’une ingénieure, spécialiste de la question, et d’une élue locale, qui joue un rôle important dans le développement du Parc naturel régional du Pilat.
Marie Huyghe
Être mobile est une nécessité pour avoir accès à l’emploi, aux services et commerces, aux loisirs, à la vie sociale. Or, les milieux ruraux se caractérisent par une raréfaction des équipements de proximité, un allongement des distances domicile-travail, un faible nombre des services de transport en commun de qualité pouvant constituer une alternative à la voiture. Celle-ci est donc aujourd’hui privilégiée par les ménages ruraux, qui l’utilisent pour 76 % de leurs déplacements (Insee 2009).
Pour des raisons physiques, financières, culturelles ou comportementales, certains ménages sont peu, voire pas mobiles. Ce phénomène se traduit en particulier par une restriction du territoire “pratiqué” quotidiennement et une dépendance forte au local et aux réseaux familial et amical.
En outre, l’augmentation des prix des carburants crée de nouveaux enjeux pour les ménages “vulnérables‟, aux revenus modestes, contraints de faire des déplacements quotidiens longs et coûteux. Quelles solutions auront-ils s’ils ne peuvent plus assumer leur budget-mobilité ?
Les mobilités rurales sont majoritairement “autosolistes‟, responsables des émissions de polluants, des nuisances liées au bruit et fortement consommatrices d’espace.
L’évolution des conditions de mobilité remet en question les modes de vie des populations et pose la question du devenir de ces territoires : s’ils ne peuvent plus se/s’y déplacer, les ménages vont-ils encore choisir d’habiter dans ces espaces ?
O. P
Ce qui est en jeu, c’est aussi la paupérisation, voire les dislocations familiales, que ces flux de plus en plus contraints entraînent. Cette préoccupation nouvelle sur la mobilité met à nu des dysfonctionnements profonds de notre société : l’individualisme – pas forcément choisi –, d’où ce terme d’“autosolisteˮ, mais aussi la détérioration des conditions de travail et des horaires. Et ces contraintes se cumulent pour les personnes les plus fragilisées.
Un exemple significatif et réel : Mme X, mariée, deux enfants, 30 ans, travaille dans la restauration industrielle, à Lyon à 60 km de chez elle, à mi-temps et au SMIC, 5 jours par semaine, certains weekends, et en horaires “coupésˮ, entre 6 h et 21 h. Impossible de prendre le train, impossible de faire quelque chose pendant sa pause de 3 h l’après-midi et vous imaginez le temps et l’argent qui lui restent...
Odile Proust
Le premier enjeu est l’équité sociale. Beaucoup de personnes ne peuvent se déplacer, faute de moyens de transports organisés. Je pense aux personnes âgées, mais aussi aux femmes, qui passent souvent en second s’il n’y a qu’un véhicule dans la famille. Elles auront donc du mal à trouver du travail ou resteront “coincées‟ à la maison.
De plus, un véhicule coûte cher quand on est au chômage ou sans revenu. Les jeunes sont évidemment concernés, mais tout le monde en pâtit et le risque d’isolement est fort. C’est dommage que l’Insee ne compte plus les ménages sans voiture. Ils dépasseraient les 10 % en France.
Le deuxième enjeu concerne le gaspillage de l’énergie. C’était la motivation du Parc du Pilat quand il a lancé sa première étude sur le transport.
Le troisième enjeu est économique. Plus de la moitié des actifs vont travailler dans les agglomérations proches de chez eux et sont donc dépendants de leur voiture.
M. H
La réponse d’Odile Proust est très intéressante car représentative des discours “traditionnelsˮ sur la mobilité, qui mettent avant tout l’accent sur les populations privées de mobilité, mais s’attardent moins sur tous les ménages que je qualifie de vulnérables, qui risquent à terme de souffrir de difficultés de mobilité et qui représentent une part non négligeable des populations rurales.
Marie Huyghe
Lorsque l’on interroge les ménages au sujet des modes de transport partagés, la question de “l’autre” revient très fréquemment, et est parfois considérée comme un frein au développement de ces altermobilités.
L’autopartage entre particuliers est fondé sur la confiance. Son bon fonctionnement dépend des bonnes relations entre les autopartageurs, qui doivent en outre partager des modes de vie compatibles et une même vision du véhicule.
Le covoiturage quotidien suscite une certaine défiance des conducteurs face aux sites internet de covoiturage : préférant connaître la personne avec qui ils vont covoiturer, ils vont plutôt la rechercher dans leurs réseaux de connaissances.
Enfin, « la peur de l’autre » est toujours évoquée à propos de l’autostop traditionnel. Pour limiter les réticences, les réseaux d’autostop de proximité fonctionnent sous la forme de communautés regroupant autostoppeurs et conducteurs qui, même s’ils ne connaissent pas, se reconnaissent grâce au signe distinctif choisi par le réseau.
O. P
Pour que ces transports partagés deviennent un mode “normalˮ, il faut à la fois les faire essaimer dans d’autres milieux que ceux – militants sociaux ou écologiques – qui les ont fait émerger, et sortir des solutions de déplacement réservées aux “personnes en insertionˮ, aux jeunes, aux vieux, etc.
C’est bien la primauté accordée à la voiture qui est en cause ; la suppression du véhicule de fonction (à différencier du véhicule de service), considéré comme une promotion, en serait un bon symbole, ou encore le remplacement des primes sur les voitures par des déductions fiscales pour les co-voitureurs !
Odile Proust
La voiture est devenue un espace privé, presque comme une maison. D’où cette situation incongrue, qu’on ne propose pas si facilement d’emmener quelqu’un – sauf si c’est une personne qu’il faut aider – et qu’on ne demande pas facilement de se faire transporter, sauf si l’on a un chauffeur !
En milieu rural, la voiture est le premier moyen de transport à partager. Pour partager une voiture, il faut avoir confiance dans les autres utilisateurs, mais aussi prendre de la distance par rapport à la valeur de la voiture (reflet de sa position sociale ou synonyme de liberté, en particulier pour les jeunes en milieu rural).
D’où l’idée de l’association Pilattitude, née à la suite d'un Forum social local, d’organiser le covoiturage dans les communes avec un réseau de personnes-relais, bénévoles, qui mettent en relation, qui apportent une caution de sérieux et qui organisent des rencontres pour que les gens se connaissent.
L’interconnaissance, les pratiques de solidarité entre parents, la vie associative, facilitent la mobilité et je pense que tous les territoires peuvent mettre en place ce type d'initatives.
M. H
Des entretiens menés avec des ménages ruraux m’amènent à une réponse un peu différente. S’il semble en effet difficile de demander à se faire transporter (par gêne, parce qu’on ne veut pas se sentir “redevable‟), le fait de proposer un trajet devient de plus en plus automatique. Cela se traduit notamment par le développement du covoiturage, pour tous motifs de déplacement.
Marie Huyghe
De manière générale, il ne semble pas que le soutien des pouvoirs publics soit nécessaire à l’émergence d’une altermobilité. Pour preuve, de nombreux réseaux d’autostop de proximité ou de services de transport à la demande ont été créés par des citoyens, regroupés ou non en associations. Ce fonctionnement autonome semble aller de pair avec une émergence rapide, qui évite les complications administratives. Néanmoins, il semble peiner à assurer la pérennité des réseaux, qui reposent sur les épaules de quelques personnes et perdurent difficilement.
L’implication des pouvoirs publics apporte néanmoins de la solidité aux réseaux et aux associations qui les gèrent. Ainsi, on remarque que les réseaux les plus développés ou les plus anciens sont des structures qui bénéficient d’un soutien des collectivités locales.
Le rôle des pouvoirs publics dans le développement de ces altermobilités est également perceptible au sujet du covoiturage, que les collectivités locales se sont approprié en aménageant des aires de stationnement.
L’officialisation des aires a un impact fort sur le développement du covoiturage. Elle montre le soutien des pouvoirs publics envers la pratique et elle augmente la visibilité de l’aire, ce qui peut déclencher des changements de pratiques chez les automobilistes.
O. P
Si l’on considère que le sujet de la mobilité n’est qu’un symptôme ou un levier pour autre chose (l’emploi, la vie locale, l’énergie, l’accès aux services), les pouvoirs publics ont bien un rôle essentiel pour développer des solutions alternatives. Les réseaux de covoiturage ne sont pas responsables directement de l’étalement urbain, de l’éloignement des zones d’activités et de l’absence de transports en commun vers ces zones. Ils peuvent avoir un rôle de lobbying ou de remontées de besoins – souvent invisibles dans les études habituelles, mais ils ne résoudront rien seuls.
Le sujet aujourd’hui est bien que les politiques locales s’appuient sur cette expertise citoyenne au lieu de continuer à faire des études transports classiques.
Odile Proust
Il est central. Ce sont les collectivités locales qui ont une vision globale des moyens de déplacement et des accès aux services sur un territoire, qui disposent des compétences (urbanistiques, scolaires, économiques) et sont donc à même de repérer les difficultés et de proposer des solutions. Des solutions de transport, relevant des AOT (autorités organisatrices de transports), mais aussi des solutions d’aménagement, d’organisation sociale – pour favoriser l’entraide et le co-voiturage – et d’innovation économique, en soutenant la création d’emplois locaux, le télé travail, les épiceries itinérantes, etc.
Les communautés de communes rurales ont développé de nombreux services : crèches, bibliothèques, équipements sportifs… et soutiennent les commerces. Mais elles se sont peu préoccupées de l’accès, des transports, comme si cela relevait seulement de la sphère privée. Regardez dans une commune si les enfants peuvent aller facilement à l’école à pied et vous aurez compris si la mobilité est considérée comme un sujet ou non…
Le travail et le déplacement sont des droits dont on ne se préoccupe pas assez, alors qu’on est en train d’inventer un droit au haut débit partout, qui entraîne des dépenses faramineuses pour les collectivités !
Enfin, les élus doivent être exemplaires eux-mêmes pour crédibiliser ces changements indispensables de mobilité, d’où notre relance permanente, sur les convocations de réunion par exemple, pour les inciter au covoiturage.
M. H
Je rajouterais que ce sont les politiques locales, qui se traduisent notamment au niveau des documents d’urbanisme (PLU, SCoT), qui orientent l’aménagement et la structuration des communes. De fait, elles vont influer sur les besoins en mobilité de leurs habitants et sur les modes de transport qu’ils devront (voiture, dans le cas d’une urbanisation diffuse) ou pourront (modes doux, dans le cas des villes denses) emprunter.
Pour citer cette publication :
Marie Huyghe et Odile Proust (30 Janvier 2014), « Mobilité et convivialité en milieu rural », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 22 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./regards-croises/2133/mobilite-et-convivialite-en-milieu-rural
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