24 Juin 2014
Une professeure des Universités et un ingénieur-urbaniste débattent des mobilités professionnelles et de leur place dans la vie de la cité. Comment les pouvoirs publics et plus largement la société et ses différentes composantes peuvent-ils réguler ces mobilités ?
Marie-Hélène Massot
L’objectif numéro 1 des politiques publiques dans ce domaine devrait être d’assurer l’accès de tous à l’emploi en garantissant sécurité, fluidité et confort des déplacements. Dans les métropoles où les dessertes sont bonnes mais surchargées, sinon saturées, la priorité est de garantir la fiabilité des parcours et leur confort.
Hors des villes, l’accès à l’emploi est difficile, sinon impossible, sans recours à la voiture, dont le coût d’usage est devenu prohibitif pour certains (un aller-retour quotidien de 40 kilomètres en voiture équivaut à un quart d’un Smic).
J. O
Certes… mais l’on pourrait énoncer les mêmes diagnostics pour l’accès aux loisirs ou à la consommation. Il faut oser pondérer l’importance socio-économique de la mobilité selon les motifs de déplacement, puisque l’on ne sait pas garantir une accessibilité pour tous, partout et à tout moment. Faire le deuil du tapis volant !
Jean-Marc Offner
Il n’est pas illégitime, surtout en période de crise économique, de considérer que les déplacements liés aux activités professionnelles doivent être la priorité des politiques publiques locales. Le bon fonctionnement des bassins d’emploi permet un meilleur ajustement entre l’offre et la demande de travail. Et l’attention portée aux déplacements pour motifs professionnels (depuis le stationnement des artisans et les livraisons jusqu’aux trajets entre équipements métropolitains) facilite la vie des entreprises et de leurs salariés.
De facto, cela revient à hiérarchiser l’importance relative, pour la collectivité, des divers motifs de déplacement, à considérer qu’en certains lieux et à certains moments, la mobilité professionnelle a priorité sur les autres (loisirs, courses, etc.).
M. M
Donner la priorité à la mobilité professionnelle à certaines heures et dans certains lieux est certainement un objectif tenable, au regard de la puissance des outils permettant la régulation des flux en temps réel que les ingénieurs annoncent.
Pour autant, cet objectif peut conduire à un renforcement de la concentration de l’emploi, antinomique avec l’objectif de mixité fonctionnelle des zones urbaines.
Marie-Hélène Massot
Dans les grandes villes, tabler sur des politiques d’aménagement – comme orienter la localisation des logements et/ou des emplois – ou sur une politique des transports visant à réduire la vitesse de la voiture, pourraient réduire à la marge la saturation des réseaux et l’usage de la voiture, ainsi que nos travaux l’ont montré (1).
Progressivement, les actifs qui changent de logement ou de travail (près de 20 % chaque année) intègrent ce nouveau contexte dans leurs choix.
Dans les territoires peu denses et éloignés des bassins d’emplois, dans lesquels vivent 40 % des actifs, les actions sur l’aménagement ne peuvent quasiment rien, pas plus que les services de transports publics traditionnels. Les actions, ici, consistent à rendre acceptable l’usage quotidien de la voiture, en étudiant toutes les modalités de consommation partagée (vélos, covoiturage, voiture, camionnette, espace de travail et télétravail). En un mot, en cherchant à mutualiser les parcs de véhicules existants et leurs usages.
(1) KORSU E., MASSOT MH, ORFEUIL JP., 2012. “Le concept de ville cohérente, penser autrement la proximitéˮ. La Documentation française, 120 pages.
J. O
Et remettre en chantier les bureaux des temps, ces organismes publics, souvent municipaux, qui ont en charge une meilleure organisation des horaires, utiles à la fois pour faciliter les mutualisations et pour réduire les pointes de trafic. Ce n’est pas simple de faire coopérer les institutions qui, par leurs décisions, rythment la vie urbaine, mais les infrastructures nouvelles ainsi économisées par une optimisation de l’usage des réseaux existants valent bien quelques efforts de gouvernance !
Jean-Marc Offner
Vu le manque de fluidité du marché du logement, le mot d’ordre du rapprochement entre domicile et travail semble un peu vain. En outre, c’est aussi pour l’étendue de leur marché du travail que les métropoles s’avèrent attractives. La mixité fonctionnelle (activités et habitats dans les mêmes quartiers) n’en est pas moins intéressante, pour mieux équilibrer les flux de circulation.
L’efficacité de l’action passe par la diversité des interventions : contrôle d’accès sur les grandes voies routières (priorité aux déplacements professionnels aux heures de pointe), développement de services de mobilité à l’échelle métropolitaine (réseaux de transport collectif rapides, “lignesˮ de covoiturage) et régulation du stationnement selon les usages.
M. M
L’efficacité des actions passe par leur diversité mais aussi par leur hiérarchisation au service de la cohérence, difficile, des différentes politiques. Ainsi par exemple : réguler le stationnement contraint certes l’usage de la voiture, mais réduit aussi la fluidité du trafic, augmente les émissions polluantes et induit la croissance de l’usage des deux roues motorisées dont le risque d’accident mortel provoqué par un tiers est vingt fois supérieur à celui de la voiture !
Marie-Hélène Massot
Des dispositifs fondés sur le partage existent déjà. Ils ont plusieurs particularités. Ils relèvent de la combinaison cohérente d’actions sectorielles diversifiées, fonction des territoires et des personnes à aider (action sociale, logement, transports, emploi…).
Car de façon singulière, dans ces dispositifs, c’est la personne et ses besoins, en termes d’employabilité et de ressources économiques, physiques et cognitives pour agir et se déplacer, qui sont au cœur des actions. Autrement dit : assurer l’accès physique à un emploi est une condition nécessaire mais pas toujours suffisante pour exercer un métier.
Combinaison d’actions sectorielles, ces dispositifs mobilisent de nombreux acteurs émanant non seulement de l’action publique et de la gouvernance territoriale, mais aussi du secteur privé – résidants, associations, et prestataires de services – pour identifier les besoins et définir les dispositifs. Leur efficacité budgétaire tient à la mutualisation des ressources de tous sur une action dans le but de faire mieux à coût constant.
Jean-Marc Offner
Il y a au moins deux “contratsˮ à passer. Entre la société locale et les autorités organisatrices de la mobilité, d’une part, pour que les habitants et les usagers acceptent la régulation – explicite et négociée – de leurs comportements de déplacement au profit de mobilités professionnelles plus fluides. Entre les responsables publics et les “forces vivesˮ économiques (entreprises, chambres consulaires, syndicats), d’autre part, afin de promouvoir les initiatives ad hoc : plans de déplacements d’entreprises, dessertes spécialisées, accessibilité des zones d’activité.
Le Versement-Transport (taxe instaurée en France dans les années 1970, payée par les entreprises et destinée au financement des transports en commun) a, paradoxalement, déresponsabilisé les entreprises en matière de mobilité de leurs salariés. Les collectivités locales ont surtout conçu leurs politiques en fonction des intérêts de leurs habitants. Il faut renouer le dialogue entre monde du travail et responsables politiques.
M. M
Le financement des politiques de transport est au cœur des débats depuis maintenant plus de 30 ans en France, adossé à une forte croissance des coûts des services publics et, plus récemment, à celle de la mobilité automobile. Mettre au cœur du dialogue entre acteurs le coût des services et leur financement me semble urgent, au même titre que les inégalités croissantes d’accès au travail selon les territoires et le statut économique des personnes.
Ces inégalités peuvent être traitées par une solidarité tarifaire des plus nantis envers les moins nantis, et une solidarité spatiale, en “boostantˮ la diffusion de petits véhicules urbains “propresˮ et peu chers… tout en garantissant leur sécurité sur les infrastructures routières.
Pour citer cette publication :
Marie-Hélène Massot et Jean-Marc Offner (24 Juin 2014), « Politiques publiques & mobilités professionnelles », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 22 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./regards-croises/2459/politiques-publiques-mobilites-professionnelles
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