L'objectif de cette recherche était d'identifier l’incidence des environnements urbains de Genève et Zurich (ville centre, suburbain et périurbain) sur la mobilité de loisir, et notamment les voyages occasionnels de longue distance. Cette recherche a également donné naissance à un projet artistique réalisé par Swann Thommen, à découvrir sur notre rubrique Artistic Lab. La thèse "Cadres de vies, modes de vie et mobilités de loisirs. Les vertus de la ville compacte remise en cause ?", du géographe Sébastien Munafo, est disponible en accès libre sur cette page.
Le rôle des cadres de vies urbains en tant que déterminants des mobilités contraintes (travail, achats) a été démontré et est aujourd'hui communément admis. De manière générale, la littérature scientifique montre qu'habiter dans la périphérie peu dense des villes implique des déplacements longs, fréquemment réalisés avec des moyens individuels motorisés. Parallèlement, on a montré qu’une densité urbaine élevée est associée à une utilisation plus importante des transports publics, de la marche ou du vélo en comparaison avec des formes bâties plus dispersées. Ces constats ont conduit à recommander la ville dense comme la forme urbaine la plus durable du point de vue de la mobilité. Inversement, ils ont contribué à montrer du doigt les formes urbaines étalées.
Plusieurs auteurs soulignent cependant que ces recherches n’ont jusqu'à présent que très peu abordé les pratiques de loisirs des individus et la mobilité générée par ce motif. Pourtant, dans un grand nombre de pays occidentaux, le motif loisirs constitue désormais le premier motif de déplacement, et ceci aussi bien en termes de distances parcourues qu'en termes de durées des déplacements. Par ailleurs, les moyens de transport utilisés pour ce motif de déplacement – en grande partie la voiture et avion – sont particulièrement générateurs d’externalités négatives (consommation d’énergie, bruit, polluants, etc.). Certains auteurs avancent l'hypothèse d'un lien significatif entre formes urbaines et mobilité de loisirs. Habiter un centre-ville dense pourrait, par exemple, impliquer la réalisation fréquente de déplacements de loisirs longs et énergivores en vue de compenser un environnement défavorable à la détente au quotidien. Des besoins qui seraient logiquement beaucoup moins importants chez les habitants du périurbain profitant d’espaces moins denses et disposant d'espaces ouverts, balcon, piscine, terrasse, beaucoup plus propices aux activités de plein air et de détente. D’où le nom d’ «effet barbecue» proposé par Jean-Pierre Orfeuil et Daniel Soleyret pour désigner cette inversion possible du rapport entre forme urbaine et mobilité générée.
Se dessine alors un double enjeu, cognitif et pratique :
une prise en compte des déplacements de loisirs dans un bilan global de la mobilité générée est-elle à même de remettre en cause les vertus attribuées à la ville compacte en la matière ?
Si oui, comment alors dessiner la ville de demain pour qu’elle présente à la fois les vertus connues de la compacité et celles des espaces moins denses, moins générateurs de déplacements compensatoires durant le temps libre ?
Cette problématique pose inévitablement la question des imaginaires et des représentations liés au déplacement. Pour beaucoup de personnes, les vacances sont synonymes de départ, une association très forte qui semble indépendante des cadres de vies résidentiels. N'est-il pas dès lors vain de vouloir agir sur les cadres de vie pour générer moins déplacements pour ce motif ? Est-ce que nos modes de vie n'impliquent pas par essence la consommations de lieux variés, de la diversité et donc de la mobilité qui est ,en partie, indépendante des opportunités que l'on a à proximité de chez soi ?
L’étude visait à répondre à ce type de questionnements en se penchant sur le cas des agglomérations de Genève et Zurich, à l’intérieur desquelles trois cadres de vies aux intensités urbaines variées (centre-suburbain-périurbain) avaient été sélectionnés. Le dispositif empirique se fondait sur une méthodologie combinant pour chaque secteur une approche contextuelle, quantitative et qualitative. Ces résultats ont ensuite été mis en perspective avec ceux obtenus à Paris et Rome dans une recherche dont le questionnement était similaire (Nessi, 2012).
La mise en dialogue de ces analyses a donné lieu à un certain nombre de résultats :
Au regard de ces résultats, l'auteur réaffirme les vertus de la ville compacte, considérant que cette forme urbaine est durable, y compris pour les mobilités de loisir, et formule des recommandations dans ce sens.
"Cadres de vies, modes de vie et mobilités de loisirs. Les vertus de la ville compacte remise en cause ?", par Sébastien Munafo :
En parallèle de cette recherche, l'artiste Swann Thommen s'est intéressé à la dimension sensible du sujet en donnant naissance à un nouveau projet art-sciences, disponible sur Artistic Lab : «Vers une cartographie sonore subjective ». Ce projet visait à suivre durant une journée complète plusieurs individus habitant des cadres de vies différents à Genève et à Zurich. Par des moyens de captation sonore variés et originaux, il a cherché à repérer les différentes strates et environnements sonores dans lesquels évoluaient les protagonistes urbains durant leur temps contraint et libre. En passant de l’espace de l’habitat et de l’environnement résidentiel à l’espace publique extérieur et intérieur, à l’environnement de travail, aux loisirs quotidiens ou encore aux sphères des déplacements, cette cartographie sonore a été l’occasion d’exprimer visuellement et sonorement le temps des déplacements et de mobilisation des protagonistes dans l‘espace, de recenser les diversités sonores rencontrées et de permettre d’identifier plus spécifiquement des attachements variés aux cadres de vie de chaque individu.
Un débat a également été organisé entre l’auteur de la thèse et le Forum Vies Mobiles dans la rubrique Controverse. Il met en discussion les conclusions du travail de recherche de Sébastien Munafo et la recommandation de faire de la ville compacte un modèle d’urbanisme à généraliser. Cliquez ici pour y accéder.
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xLa mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
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