Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
Le concept de développement durable tel qu’il est présenté dans le rapport Brundtland de 1987 a été largement repris mais a également conduit à une impasse… Les propositions de réconciliation des activités économiques avec la biosphère, via le jeu du libre marché, le partage de valeurs communautaires ou encore un retour à la production locale, se sont avérées inefficaces ou peu attractives.
La crise écologique devenant de plus en plus préoccupante, le terme de durabilité se transforme de plus en plus en discours de transition vers la durabilité. Evoquant un ensemble de phases successives traçant un chemin possible vers l’avenir, les discours sur la transition émergent d'une multitude de sites, notamment au sein de l’Université et de mouvements sociaux, comme Villes en transition. Ces mouvements commencent à influencer les discours politiques au niveau local, national et international (ex. : UE, PNUE, OCDE).
Les recherches sur la transition impliquent une large gamme de traditions intellectuelles et de cadres conceptuels. Une de ces approches est nommée l' optique socio-technique (innovation). Cette littérature, mise au point pour la première fois dans les années 90 par des chercheurs anglais et néerlandais sur la base d'études sur l'innovation et d'études sociales des sciences et des technologies, est actuellement la plus répandue et la plus influente.
L'optique socio-technique des transitions vers la durabilité repose sur deux postulats fondamentaux. Premier postulat : la résolution efficace des problèmes environnementaux persistants, tels que la pénurie des ressources et le changement climatique, implique une transformation radicale de notre alimentation, de notre consommation d'énergie, de nos modes de transport, de nos méthodes de production et de logement, de nos loisirs...
La modification de ces composantes fondamentales de notre quotidien s'avère difficile du fait que ces systèmes ont été "bloqués" dans une trajectoire précise, ce qui rend très difficile toute tentative de réorienter leur évolution.
Le second postulat repose sur le fait que, aussi difficiles et rares soient-elles dans l’Histoire, des transitions se produisent bel et bien : il est donc possible de "débloquer" sciemment ces trajectoires et de tenter de contrôler leur évolution en améliorant notre compréhension de leurs dynamiques et en développant des outils de gestion appropriés. Cette littérature est par conséquent centrée sur la façon de comprendre les transitions et la manière de les contrôler pour les orienter dans une direction souhaitée.
Cette approche de la durabilité se distingue notamment par son souci pour la co-évolution. Contrairement à d’autres approches du développement durable qui prônent des technologies plus écologiques, le recours au libre jeu du marché ou des changements de comportement, l'optique socio-technique des transitions propose un cadre analytique capable de prendre en compte l’interaction de plusieurs dimensions. Geels et consorts ont défini les transitions vers la durabilité comme « des changements ou des « innovations du système » vers des configurations socio-techniques plus durables, englobant non seulement de nouvelles technologies écologiques mais également des changements associés dans les marchés, dans les habitudes des utilisateurs, dans les discours politiques et culturels ainsi que dans les institutions gouvernementales ».
Le sujet de la co-évolution reste cependant trop peu développé dans la plupart des recherches, particulièrement lorsqu'il s'agit des relations entre différents systèmes ou des mécanismes de cause à effet qui entrent en jeu.
Certains cadres conceptuels nécessitent une attention particulière : les systèmes d'innovation technologique, les perspectives multi-niveaux, la gestion stratégique des niches, la gestion de la transition et le paradigme technico-économique.
Ce courant de recherche analyse des domaines technologiques spécifiques aussi bien dans leurs dynamiques que dans leur potentiel de développement. Les domaines technologiques, conçus comme un mélange d'acteurs, d'institutions, de réseaux et de technologies, peuvent fortement varier en termes de performances. L'un des objectifs essentiels des TIS est d'analyser le fonctionnement d'un domaine technologique, de façon à identifier ce qui permet ou empêche son bon fonctionnement.
Les fonctions prises en compte dans l'évaluation des performances d'un domaine technologique sont les suivantes : activités entrepreneuriales, développement et échange des connaissances, conseils de recherche, formation des marchés, mobilisation des ressources, lutte contre la résistance aux changements.
La MLP est un outil heuristique qui considère que les transitions se produisent lorsque des changements dans le contexte culturel, politique ou économique (niveau du paysage) créent des possibilités de développement et de diffusion des innovations (niveau de niche). Cela entraîne le remplacement du système dominant (niveau de régime) par un nouveau système. L'analyse est par conséquent centrée sur les processus et les séquences d'événements entrelacés.
Des changements se produisent à tous les niveaux mais chaque niveau présente différents degrés de "structuration". Le niveau du paysage est le domaine des tendances de long terme, un domaine de processus et de réalités presque figés. Le niveau de niche est quant à lui le domaine de l'effervescence créative avec un taux d'innovation élevé. Situé entre les deux, le niveau de régime est caractérisé par un état de stabilité dynamique : des innovations ont lieu, mais elles sont incrémentielles et dépendantes des « chemins d’innovations » les ayant précédés.
Des travaux clés de cette approche analysent par exemple la transition de la navigation à voile aux bateaux à vapeur, la transition des calèches tirées par des chevaux aux automobiles, l'importance croissante du turbo-jet en aviation ou encore le système d'autoroutes néerlandais.
Ce champ de recherche s'intéresse à l'identification, à la compréhension et à la détermination des conditions nécessaires pour que des innovations environnementales spécifiques deviennent des concurrents viables face au régime dominant. Cela implique l'articulation des attentes sociétales et économiques autour d'une innovation et la création de réseaux sociaux et de processus d'apprentissage pouvant faciliter son développement et sa diffusion. Les premières recherches dans le domaine de la Gestion stratégique de niches se concentraient principalement sur les dynamiques d'élaboration d'innovations environnementales au sein des espaces expérimentaux, mais des recherches plus récentes ont élargi leur champ d'analyse aux relations entre ces espaces expérimentaux protégés et l'environnement plus global dans lequel ces innovations apparaissent (ex. : dynamiques de régime et tendances de paysage).
Les recherches menées dans le cadre de cette approche ont, par exemple, étudié des initiatives de partage d'automobiles et de propriété collective de véhicules en Suisse, ou encore des projets de parcs à vélos à Portsmouth.
La gestion de la transition est une nouvelle approche de gouvernance qui associe des processus participatifs de conception et d'expérimentation avec des trajectoires de transition. Cette approche est centrée sur un processus réitératif d'essais et d'erreurs permettant d'améliorer les outils et les stratégies. La surveillance et l'évaluation des expériences sont réalisées par un forum d'acteurs qualifiés. La Gestion de la transition associe des aspects de la théorie de la complexité et des recherches qui portent sur la gouvernance. Elle a bénéficié d'une longue expérience pratique, provenant en particulier des Pays-Bas où elle a été adoptée par le gouvernement comme outil de politique publique. La gestion de la transition a par exemple été appliquée dans la région du Parkstad Limburg et par le ministère néerlandais des transports et de l'eau.
Cette approche est fondée sur l'économie évolutionniste et sur l’étude des phases longues de développement économique. Reconsidérant les processus de conception, le produit et les profits, elle analyse la façon dont les nouvelles technologies et les principes organisationnels associés affectent les innovations de routine et les pratiques d'investissement. Elle analyse également la façon dont ces principes sont progressivement considérés comme la façon "logique" de faire les choses de façon efficace.
Ce nouveau "bon sens" en matière d'efficacité devient le nouveau paradigme technico-économique. Cette approche n'est pas aussi couramment utilisée que les quatre autres mentionnées précédemment, mais elle est de plus en plus préconisée par les spécialistes qui pensent que les recherches sur la transition doivent avoir une vision à très long terme.
Chacune de ces approches a sa propre identité mais offre également des possibilités d'association avec les autres approches. Les modalités et le degré d'interactions possibles restent cependant un sujet de discussion ouvert.
L'optique socio-technique des recherches sur la transition a fait l'objet de nombreuses critiques. Les critiques les plus pertinentes portent notamment sur :
Au centre de ce débat sur les limites de l'optique socio-technique, l'approche connue sous le nom de "théories de la pratique sociale" a été reconnue par la communauté universitaire comme un cadre distinct permettant de conceptualiser les transitions vers la durabilité. Certains considèrent qu’il y a une répartition des tâches entre les théories de la pratique sociale et les recherches sur la transition. Par analogie avec la croissance économique, dynamisée par l’offre et la demande, l'optique socio-technique (et notamment la perspective multi-niveaux) représenterais le côté « offre » d’une transition, alors que les théories de la pratique sociale seraient plus à même de représenter le côté « demande ».
Cette vision laisse ainsi supposer qu'il est possible d'associer ces deux approches. Cependant, certaines spécialistes des théories de la pratique considèrent que les théories des pratiques sociales peuvent rendre compte à elles seules des changements systémiques à grande échelle.
L'optique socio-technique est tirée par un programme de recherche en plein développement. Ce programme capitalise les résultats issus des recherches antérieures et répond aux critiques qui lui sont adressées... Parmi les enjeux importants abordés par ce programme de recherche, on peut notamment recenser :
Les recherches provenant de la "communauté des transitions" sous l'étiquette de mobilité se sont généralement concentrées sur les innovations portant sur les modes et les technologies qui permettent le transport d'un lieu à un autre, en s’intéressant assez peu à la façon dont ces systèmes, ces technologies et ces pratiques sont intégrés dans les processus plus généraux de changements sociaux et culturels. Le cadre de ce champ de recherche est plus en phase avec les études conventionnelles sur les transports.
Cependant, il existe un début de dialogue, en expansion rapide, entre les recherches sur les mobilités et celles sur la transition, portant sur différentes problématiques conceptuelles et empiriques. Des développements prometteurs sont en cours d'élaboration, comme celui de la perspective multi-niveaux par exemple, présentée dans le récent ouvrage édité par Frank Geels et ses collègues, intitulé " L'automobilité en transition ". Les théories de pratique sociale fournissent également des résultats intéressants, par exemple sur la mobilité et la demande en énergie.
Les travaux consacrés explicitement aux recherches sur les mobilités et à celles sur la transition prennent une importance croissante dans les revues et dans les conférences universitaires. Ce dialogue pourra probablement enrichir la diversité des approches conceptuelles des recherches sur la transition et deviendra, tout aussi probablement, central dans les discussions universitaires et politiques qui porteront sur les mobilités du futur.
Shove, E., Pantzar, M. & Watson, M. (2012) The Dynamics of Social Practice: Everyday Life and How it Changes. London: Sage.
Watson, M. (2012). How theories of practice can inform transition to a decarbonised transport system. Journal of Transport Geography, 24: 488-496.
Grin, J., Rotmans, J., Schot, J., Geels, F.W., and Loorbach, D. (2010) Transitions to Sustainable Development. New York: Routledge.
Hekkert, M.P., Suurs, R.A.A., Negro, S. O., Kuhlmann, S., Smits, R. E. H. M. (2007) Functions of innovation systems: A new approach for analysing technological change, Technological Forecasting and Social Change, 74(4): 413-432.
Jacobsson, S., Bergek, A. (2011) Innovation system analyses and sustainability transitions: Contributions and suggestions for research, Environmental Innovation and Societal Transitions, 1(1): 41-57.
F.W. Geels, R. Kemp, G. Dudley, and G. Lyons, G. (2012) Automobility in Transition? A Socio-Technical Analysis of Sustainable Transport. New York: Routledge.
Revue critique du livre : https://fr.forumviesmobiles.org/publication/2014/10/20/revue-critique-2610
Kemp, R., Schot, J., Hoogma, R. (1998) Regime shifts to sustainability through processes of niche formation: The approach of strategic niche management, Technology Analysis and Strategic Management 10(2): 175-196.
Hoogma R., Kemp R., Schot J., Truffer B. (2002) Experimenting for Sustainable Transport: The Approach of Strategic Niche Management. London: Routledge.
Smith, A. (2007) Translating sustainabilities between green niches and socio-technical regimes, Technology Analysis and Strategic Management 19(4): 427-450.
Smith, A., Raven, R. (2012) What is protective space? Reconsidering niches in transitions to sustainability, Research Policy 41(6): 1025-1036.
Loorbach, D. (2010) Transition Management for Sustainable Development: A prescriptive, complexity-based governance framework, Governance, 23 (1): 161-183.
Rotmans, J., Kemp, R., van Asselt, M. (2001) More evolution than revolution: Transition management in public policy, Foresight 3(1): 15-31.
Shove, E., Walker, G. (2007) CAUTION! Transitions ahead: Politics, practice and sustainable transition management, Environment and Planning A 39(4): 763-770.
Shove, E., Walker, G. (2008) Transition Management and the politics of shape shifting, Environment and Planning A 40(4): 1012-1014.
Freeman C., Perez C. (1988) Structural crisis of adjustment, business cycles and investment behaviour, in G. Dosi, C. Freeman, R. Nelson, G. Silverberg, L. Soete (eds) Technical Change and Economic Theory. London: Pinter.
Urry, J. (2013) Societies Beyond Oil: Oil Dregds and Social Futures. London: Zed Books.
Un des quelques livres qui s'intéresse aux relations dynamiques entre différents systèmes (énergie, logement, mobilité...)
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLa mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xPour citer cette publication :
Javier Caletrío (11 Mai 2015), « Transition », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./dictionnaire/2839/transition
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