Depuis le début des années 2010, l’avenir de l’automobile est au cœur d’une nouvelle controverse sur laquelle portent de nombreux travaux de prospective. Celle-ci concerne moins la nécessité d’une transition énergétique, dont l’avènement ne fait plus guère débat, que la place que doit occuper l’automobile dans le futur. L’automobile doit-elle être remise en cause ? Quels choix politiques effectuer ? Pour quelle place de l’automobile ? Dans quels territoires ?
Pour certains analystes, l’automobile telle que nous la connaissons aujourd’hui a amorcé un déclin inexorable, un déclin lié aux problèmes suscités par l’automobile, et qui nécessitent que l’action publique investisse massivement dans un système de transport alternatif fondé sur les transports en commun, et les modes actifs sous toutes leurs formes, y compris innovantes. À l’appui de cette thèse, ils relèvent que l’automobile provoque des phénomènes de congestion de plus en plus difficiles à juguler et qu’elle incarne de moins en moins la liberté chez les jeunes générations qui sont désormais nombreuses à ne plus passer le permis de conduire entre 18 et 20 ans dans les villes. Plusieurs raisons se combinent pour expliquer cet état de faits : la culpabilisation de l’automobiliste, l’amélioration des systèmes de transports alternatifs en milieu urbain, le développement des systèmes de communication à distance, internet et autres jeux en lignes, le coût élevé du permis de conduire. En matière de moyens de transports, le vélo peut prendre la place de l’automobile en milieu urbain, car il est à la fois efficace, économique et affranchi d’un certain nombre de contraintes de l’automobile comme le stationnement.
Face à ces observations, d’autres chercheurs estiment qu’au contraire, nous sommes à l’aube d’un nouveau triomphe de l’automobile et qu’à l’avenir les transports publics, la marche et le vélo tels que nous les connaissons risquent de connaitre un déclin majeur. Il s’agirait dès lors pour les pouvoirs publics d’investir dans des infrastructures qui accompagnent les mutations de l’automobile tout en abandonnant certaines dessertes de transports publics fortement déficitaires. À l’appui de cette vision, ces acteurs insistent sur le fait que la qualité de la mobilité automobile reste et restera inégalée, qu’il s’agisse du transport de bagages et d’objets, de son efficacité et de son confort ou du transport en porte-à-porte et de l’autonomie qu’elle procure. En outre, ils relèvent la grande capacité d’évolution de l’automobile, dont les usages se diversifient (comme le partage de véhicules sous différentes formes), et qui est susceptible de passer à la propulsion électrique de façon massive et à brève échéance, mais surtout, qui va probablement devenir autonome. Ainsi, la voiture comme nous la connaissons aujourd’hui va être radicalement transformée. L’automatisation de la conduite est à ce titre fondamentale car elle libérerait le conducteur et lui permettrait de disposer de son temps. Ce faisant, la voiture sans conducteur serait à nouveau un concurrent très sérieux du train et plus généralement des transports en commun sous toutes leurs formes.
Pour débattre de ces questions, nous avons le plaisir de recevoir Francis Papon, chercheur à l’IFSTTAR, spécialiste des modes actifs, et Mathieu Flonneau, historien des transports, spécialiste de l’automobile et grand amateur d’automobilisme au sens noble du terme.
« L'humanité n'est pas sortie de l'âge de pierre parce qu'il n'y avait plus de pierre » disait Sheikh Ahmed Zaki Yamani (ministre saoudien du pétrole) en 1973 pour justifier des prix bas pour le pétrole. Comme toute ressource dans un monde fini, le pétrole doit connaître un maximum absolu annoncé comme imminent ou même dépassé et appelé « peak oil », puis décliner, en suivant plus ou moins une courbe en forme de cloche. Et il n’y a pas de raison que l’automobile ne suive pas non plus une telle courbe, comme les voitures hippomobiles, qui ont connu leur apogée en Europe et en Amérique du nord vers 19001, et qui ont quasiment disparu en France dans les années 1930. Les voitures automobiles subiront-elles le même sort ?
Avant de répondre, définissons bien ce dont nous parlons : l’automobile est la combinaison d’une technologie (véhicule routier à moteur), et d’un mode d’exploitation fondé sur la propriété privée du véhicule par son utilisateur. Il y a d’autres véhicules routiers à moteur (motocycle, autobus, camion), et d’autres modes d’exploitation de la voiture (taxi, autopartage), certes utilisant des automobiles, mais en plus petit nombre. En fait, l’automobile est devenu un système2, intégrant un secteur économique majeur, des services adaptés, l’organisation de l’espace en fonction de l’accès automobile, une place centrale dans la vie et le budget des ménages, le rite de passage du permis, le marquage du statut social, et une position de choix dans l’imaginaire collectif. Érigée en mode de vie, l’automobile a ainsi dominé la mobilité aux États-Unis dès les années 1920, en Europe occidentale depuis les années 1950, puis successivement dans les autres parties du monde3.
Cet âge de l’automobile prendra sans doute fin. Comme on a continué à travailler les pierres après la fin de l’âge de pierre, comme on exploitera encore longtemps le pétrole après le peak oil, comme le cheval trouve encore des emplois pour distraire les touristes, on continuera sans doute longtemps à utiliser des automobiles après la fin de l’âge de l’automobile. Mais ce sera devenu un objet banal comme la pierre, dont, pourtant, l’exploitation, en distinguant l’homme de l’animal, a marqué les très longues périodes préhistoriques. Ou ce sera devenu un divertissement folklorique comme le cheval, qui, pourtant, symbole noble de la maîtrise du vivant par l’homme, a forgé l’histoire. Et l’automobile, cet emblème de l’ère industrielle, ne sera plus le centre de gravité de l’économie et de la société qui s’est déjà réorienté vers les technologies numériques. Mais comment se déplacera-t-on dans le futur ?
L’histoire des transports procède plus par empilement et juxtaposition de technologies, que par remplacement radical d’une technologie par une autre. Après avoir tracé des sentiers, et assemblé des bateaux, l’homme a domestiqué le cheval, inventé la roue, puis construit des routes. Cette construction a repris en Europe au XVIIe siècle, permettant à l’aristocratie4, puis à la bourgeoisie de rouler en voiture. Le XIXe a vu une série d’inventions : la draisienne, le chemin de fer, le macadam, l’omnibus, le tramway, le moteur à combustion interne, la bicyclette, l’automobile, le pneumatique. Au XXe siècle, les différents moyens de transport ont coexisté, et se sont améliorés en cumulant les innovations, pour aboutir au système de mobilité complexe que nous connaissons aujourd’hui. Et ce mouvement se poursuit : les types de matériels anciens roulent toujours, et il s’y ajoute des couches d’information, de modes d’exploitation, de services qui, progressivement, finissent par changer la nature de l’objet. L’automobile du XXIe siècle n’est plus celle du XIXe siècle, mais reste une pièce majeure de la mobilité.
Si l’automobile est au sommet de sa gloire, certains signes annoncent son déclin. Depuis les années 2000, dans les pays industrialisés, on constate un plafonnement de l’usage de la voiture (« peak car »)5. En France, la circulation des voitures particulières stagne depuis 2002 à environ 400 milliards de véhicules-kilomètres par an6. La circulation par adulte plafonne, à des niveaux différents selon les territoires (10 500 km par an dans les espaces d’urbanisation diffuse, contre 6 800 km par an dans les villes centres). L’utilisation de chaque véhicule décline (12 700 km par an en 2013 contre 13 320 km par an en 1994). Le niveau de motorisation des ménages se stabilise depuis 2006. La part modale des déplacements réalisés en voiture particulière a faiblement augmenté au niveau national entre 1994 et 2008 (de 63 à 65 %)7, et elle diminue dans les agglomérations. Le passage du permis de conduire recule pour les jeunes adultes8. Les générations les plus récentes sont moins motorisées que leurs ainées au même âge9. Cette saturation de la motorisation a été prédite dès les années 1990 par les modèles démographiques de l’Inrets-Dest10.
Les explications avancées pour comprendre ce début de fin de règne de l’automobile sont multiples11. Au-delà des causes économiques conjoncturelles (prix des carburants, récession de 2009), la saturation de la demande pourrait être structurelle en raison de la volonté des ménages de maîtriser l’évolution des budgets-temps de transport, renforcée par la ré-urbanisation et le vieillissement de la population. Cet abandon relatif de l’automobile pourrait même être le fruit des politiques publiques de transport et d’aménagement qui ont finalement entraîné le déclin de l'efficacité relative de la voiture. Ces politiques et leurs conséquences pourraient refléter des changements dans les préférences, les attitudes et les opinions à l'égard de la voiture. Enfin, les nouvelles technologies de la communication pourraient réduire le besoin de déplacement, ou favoriser des modes de déplacement « passager » pour rester connecté.
Evolution de la mobilité quotidienne en Île-de-France d’après enquêtes globales transport12 : pic de la voiture particulière (VP) en 1997
Évolution des voyageurs-kilomètres en voiture particulière et utilitaire léger dans différents pays (indice 10 en 1990)13 : plafonnement dans les années 2000 précédant la crise de 2008
Le plafonnement de l’usage de l’automobile est un phénomène observé dans tous les pays développés, y compris aux États-Unis14. Toutefois, l’automobile continue à progresser dans les pays émergents et dans les pays en développement. Elle y exerce même une fascination que nous avons oubliée15. De ce fait, au niveau mondial, l’automobile est loin d’avoir atteint son point culminant. Cette croissance de la circulation dans ces pays pose d’ailleurs des problèmes environnementaux et sociaux très sérieux.
Ce sont ces problèmes qui ont au demeurant amené les gouvernements occidentaux à prendre des mesures restreignant l’automobile. Les accidents de la circulation ont atteint leur maximum de victimes en France en 1972. Dans d’autres pays, le maximum n’est hélas pas encore connu : l’OMS16 estime le nombre de tués sur les routes indiennes à 207 000 en 2013 (données officielles 137 000). La pollution de l’air a conduit à mettre en place des normes d’émissions de polluants. Il y a cependant un écart entre les valeurs d’homologation et les émissions en usage réel, comme le montrent des affaires récentes. Dans ce cadre, les niveaux de pollution par les particules fines produites par les moteurs diesel posent toujours un problème sérieux pour la santé. Le bruit de la circulation est l’une des premières doléances des résidents. Les effets de coupure, provoqués par les obstacles naturels ou artificiels, les grandes infrastructures, les grandes emprises et l’intensité du trafic, sont peu étudiés17 : ils pénalisent les relations de voisinage, et particulièrement les piétons et les cyclistes qui sont forcés à des détours, des dénivelés, ou à renoncer à se déplacer. La congestion limite naturellement le volume de circulation, et donc est plus un remède aux excès de l’automobile qu’un problème en soi : elle est même utilisée par certaines municipalités pour contraindre l’usage de la voiture.
La raréfaction des ressources pétrolières peut limiter l’usage de l’automobile, qui dépend presqu’entièrement du pétrole comme source d’énergie, ou inciter au développement de véhicules à énergie alternative, comme les véhicules électriques. La lutte contre le changement climatique, avec l’engagement des États à réduire les émissions de gaz à effet de serre, est peut-être la raison la plus prégnante de repenser l’automobile, avec une moindre dépendance aux énergies carbonées, et encore la solution promue du véhicule électrique. Cependant, le bilan environnemental complet du véhicule électrique n’est sans doute pas aussi favorable, avec le bilan CO2 dépendant de la source de l’électricité qui peut être très carbonée dans certains pays, le besoin de recharger en période de pointe de demande électrique où l’on fait appel aux centrales thermiques, ou le recyclage des batteries. Le modèle économique du véhicule électrique s’appuie sur de lourdes subventions publiques, à la fois à l’achat et pour des facilités de stationnement et de recharge, et la perte des recettes fiscales sur les carburants ; in fine, ces subventions profitent plus aux ménages les plus aisés (qui sont les premiers à s’équiper), et malgré ces subventions le marché du véhicule électrique restera étroit (maximum 35 %1819, mais il peine à dépasser 1 % en avril 2016 en France20). Le développement du véhicule électrique pose aussi des défis industriels.
Ainsi, les forts enjeux environnementaux et sociaux de l’automobile sont en cours de traitement par les gouvernements et l’industrie, mais encore loin d’être résolus. D’autres usages de l’automobile, qui modifient son caractère privé individuel, sont également proposés : covoiturage, autopartage, véhicule autonome. Les enquêtes ne montrent pas encore un décollage du covoiturage et de l’autopartage en France21. Le véhicule autonome, qui libèrerait de la tâche de conduire, soulève encore des questions techniques et juridiques. Les automobiles alternatives peinent à assurer l’avenir de l’automobile, malgré les investissements considérables qui leur sont accordés.
Au contraire, les alternatives à l’automobile, transports publics et modes actifs, assurent une part significative de la mobilité depuis longtemps, et sont les seuls moyens de locomotion dont on soit sûr qu’ils seront disponibles à l’avenir. Bien sûr, ils ont leurs propres limites. Les transports publics sont peu performants pour desservir des zones peu denses, et engloutissent des subventions publiques colossales appelées à se réduire. La marche, et dans une moindre mesure le vélo, sont limités en portée, et tous les deux sont soumis à l’inconfort des conditions météorologiques. Ces trois modes ont aussi des avantages propres : économie d’espace, peu de pollution, libération de la tâche de conduire pour les transports publics, avantages pour la santé de l’exercice physique, qui, pour les modes actifs, dépassent de loin les risques pour la santé dus aux accidents et à l’inhalation d’air pollué22.
Il est possible d’améliorer l’efficacité de ces modes alternatifs. La marche devrait être favorisée en libérant l’environnement urbain des nuisances automobiles, en recentrant les projets urbains sur le piéton23. Le vélo devrait constituer un véritable système, comme l’automobile, en aménageant des itinéraires maillés, en déployant des services de calcul d’itinéraire, de réparation, de location, de libre-service, en proposant des matériels plus diversifiés : vélos à assistance électrique, vélos couchés, vélos carénés, triporteurs, vélos pliants. Les transports publics devraient cultiver les solutions à bas coût, l’information, la qualité de service. Enfin, pour décupler la pertinence de ces deux dernières options, l’intermodalité entre le vélo et les transports publics devrait être généralisée par une implication des exploitants ferroviaires, des régions et des collectivités locales24.
Les pratiques de mobilité sont aussi fortement liées aux localisations des activités. Un urbanisme concentrant ces activités près des nœuds du transport public, assurant la mixité des fonctions à l’échelle de la proximité favorise naturellement les modes alternatifs à la voiture. La modification des formes urbaines prend du temps. Il s’agit d’un vrai choix de mode de vie : la population préfère-t-elle un mode de vie urbain facilitant les interactions sociales et l’accès aux aménités, ou au contraire préfère-t-elle se retrancher dans un mode de vie péri-urbain, avec plus d’espace, mais une dépendance forte à l’automobile ?
Le système de mobilité va sans doute largement évoluer à l’avenir. Le changement sera-t-il provoqué par les contraintes climatiques ? Par des contraintes économiques ? Par un choix politique ? Par un choix de mode de vie ? Par les mutations technologiques ? Certainement un peu toutes ces raisons, qui s’entraînent mutuellement. Le changement de comportement de mobilité est nourri par une multiplicité de facteurs25. Le système bouge, mais les transformations sociétales sont lentes.
Finalement, l’usage de la voiture a probablement commencé son déclin, mais ce déclin sera mesuré. Il est pourtant nécessaire de l’accélérer, tant les menaces climatiques, énergétiques, sanitaires et sociales qu’inflige la domination automobile sont fortes et de moins en moins tolérables. Imposer toujours plus de progrès technologique ou de contraintes réglementaires au système automobile ne suffira pas. Il faut aussi créer de vrais options alternatives, les intégrer à tous les secteurs d’action : transports, santé, urbanisme, éducation, recherche. Ce n’est qu’à cette condition que l’avenir de la mobilité pourra être envisagé avec sérénité, dans un contexte où l’âge d’internet a remplacé l’âge de l’automobile : les outils numériques ont détrôné l’automobile dans les aspirations et les pratiques sociales des nouvelles générations. Les liens entre les technologies de l’information et de la communication et la mobilité sont nombreux et complexes, et ne se limitent pas à la question de leur complémentarité ou substituabilité26.
1 12 749 voitures particulières à traction hippomobile et 1 149 automobiles imposées à Paris en 1901 (Émile Massard, Rapport sur la circulation générale des voitures et des piétons à Paris. Historique de la question avec photographies et graphiques, Rapport au Conseil de Paris nº17, 30 mai 1910, in Bulletin municipal officiel, Tableau pour 1901 à 1909 page 44, cité par Orselli, J. (2009) Usages et usagers de la route, mobilité et accidents 1860 – 2008. Conseil général de l’environnement et du développement durable. Rapport n° 2005-0457-01, p. 29).
2 Dupuy, G. (1999), La Dépendance automobile. Symptômes, analyses, diagnostic, traitements, Anthropos-Economica.
3 Papon F. (2003) Perspective de la mobilité urbaine. In Croissance urbaine, modes de transport et intermodalité, Pan Haixiao et Doulet Jean-François (éd.) - Shanghai : Presse de l’Université de Tongji, Actes du colloque de Chengdu, 29-30 octobre 2001, pp. 16-27 (en français et en chinois).
4 Brayshay, M. (2004) Long-Distance Royal Journeys: Anne of Denmark's Journey from Stirling to Windsor in 1603. The Journal of Transport History, March 2004; vol. 25, 1: pp. 1-21.
5 Goodwin, P. (2010-2011) “Peak Car”, series of five articles in Local Transport Today, June 2010 – June 2011, Local Transport Today, London.
6 Grimal, R. (2015) L’auto-mobilité au tournant du millénaire. Une approche emboîtée, individuelle et longitudinale. Thèse de doctorat en science économique de l’Université Paris Est, p. 64 et seq.
7 ENTC et ENTD, Inrets-Insee-SOeS.
8 Roux, S. (2012) Transition de la motorisation en France au XXème siècle. Thèse de doctorat en géographie-démographie soutenue à Paris 1, p. 167.
9 Berri, A. (2005) Dynamiques de la motorisation et des dépenses de transport des ménages. Analyses sur données individuelles et semi‐agrégées. Thèse de doctorat en sciences économiques de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, p. 66.
10 Bussière, Y., Armoogum, J. & Madre, J.-L. (1996), « Vers la saturation ? Une approche démographique de l’équipement des ménages en automobile dans trois régions urbaines », Population, vol. 51, n°4-5,
p. 955-977.11 Grimal, op. cit., pp. 81-136.
12 Grimal, op. cit., p. 56
13 Statistiques du Forum international des transports dans OCDE/FIT (2011) « Perspectives des transports, répondre au besoin de 9 milliards de personnes. »
14 Millard‐Ball, A. & Schipper, L. (2011) Are We Reaching Peak Travel? Trends in Passenger Transport in Eight Industrialized Countries. Transport Reviews, Volume 31, Issue 3, May 2011, Fig. 2 total motorized travel activity 1970-2007, p.362
15 Papon F. (2009) Reports modaux croisés entre contraintes climatiques, incantations occidentales, et rêves asiatiques. Publié conjointement dans Les cahiers de Global Chance n°26, janvier 2009, et Liaison Énergie-Francophonie n°81 – 4° trimestre 2008. pp. 80-84 www.iepf.org/ressources/ressources-pub-desc.php?id=297 www.global-chance.org/IMG/pdf/GC26LEF81p80-84.pdf
16 WHO (2015) Global status report on road safety 2015, p. 147.
17 Héran, F. (2014) La ville morcelée. Effets de coupure en milieu urbain. Economica.
18 Windisch, E (2013) Driving electric? A financial assessment of electric vehicle policies in France. Thèse de doctorat en transport de l’Université Paris-Est, p.232
19 Kolli, Z. (2012) Dynamique de renouvellement du parc automobile : Projection et impact environnemental, Thèse pour le doctorat en Sciences Economiques, Universite de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, p. 218.
20 http://www.avere-france.org/Site/Article/?article_id=6569&from_espace_adherent=0 consulté 9/05/2016
21 Taiariol, C. (2015) I nuovi servizi di condivisione delle autovetture: analisi quantitativa e modellistica sui dati di panel francesi "Parc-Auto", thèse de master du Politecnico di Torino encadrée à l’Ifsttar-Dest, p. 59.
22 Rojas-Rueda D. et al. (2011) The health risks and benefits of cycling in urban environments compared with car use: health impact assessment study. BMJ 2011;343:d4521 doi: 10.1136/bmj.d4521 ; Praznoczy C. (2012) Les bénéfices et les risques de la pratique du vélo - Evaluation en Île-de-France, ORSidf ; Mueller N. et al. (2015) Health impact assessment of active transportation: A systematic review, in Preventive Medicine ; Schepers P. et al. (2015) The mortality impact of bicycle paths and lanes related to physical activity, air pollution exposure and road safety, in Journal of Transport & Health, Volume 2, Issue 4, pages 460–473, etc.
23 Comme le fait maintenant Paris http://www.fastcoexist.com/3058685/paris-is-redesigning-its-major-intersections-for-pedestrians-not-cars.
24 Papon, F., Belton Chevallier, L., Abours, S., Come, E., Midenet, S., Soulas, C., Beauvais, JM, Polombo, N. (2015), Rapport final du projet VERT. Le vélo évalué en rabattement dans les territoires. Volume 1. http://www.predit.prd.fr/predit4/projet/45150.
25 Rocci, A. (2007) De l’automobilité à la multimodalité ? Analyse sociologique des freins et leviers au changement de comportements vers une réduction de l’usage individuel de la voiture. Le cas de la région parisienne et perspective internationale. Thèse de doctorat en sociologie de l’Université Paris 5, p. 473.
26 Mobilités et (R)évolutions numériques, 15e colloque du groupe Mobilités Spatiales Fluidité Sociale (MSFS) Groupe de Travail n°23 de l’Association Internationale des Sociologues en Langue Française, Marne-la-Vallée, 7 au 9 novembre 2016.
À sa manière, et à son corps défendant, l’historien est expert en ironie. Tourné vers le passé, en matière de ringardisations, il sait que celles-ci, sur la longue durée, peuvent être réversibles et soumises à aléas. Ainsi en est-il pour l’auto, ou plus justement pour l’automobilisme – i.e. tous ses usages, en connexion avec l’écosystème routier – dans son actualité rejouée. Récemment, les fluctuations et ajustements de la popularité d’un tel sujet, jusque dans le monde de la recherche académique, ont été spectaculaires.
En effet, Vincent Kaufmann le rappelle et cela mérite d’être souligné car on le redécouvre de façon patente : l’automobilisme a encore de beaux jours devant lui et ses potentialités inclusives et conviviales – que l’on croyait disparues à jamais – ré-émergent volens nolens.
Parvenu sans hasard sur ce site, nul ne l’ignore au moment de lire cette Controverse, il existe un débat de fond sur la pertinence des modes de transports. Ce débat, tranché d’avance aux yeux de certains militants ou partisans, tourne même parfois à une guerre de religion sans fin et peut donner lieu à de promptes excommunications. Certaines positions se retrouvent donc vite essentialisées, pour partie artificiellement.
Il est des dogmatismes qui forcent en retour à la dogmatisation et à la radicalisation d’une pensée que l’on espérait équilibrée dans une perspective soucieuse de faire valoir l’intérêt général malheureusement perdu de vue à la fin.
Alors que de toute part le bruit médiatique dominant renvoyait encore il y a peu de l’automobilisme une image uniquement négative, suggérant une « dépendance » quasi morbide et fondamentalement aliénante à l’objet roi du siècle passé, il convient plutôt désormais de réfléchir aux motifs historiques qui ont conduit à son sacre et à son règne dans le système des mobilités humaines. Cette domination, qui n’est pas partout heureusement hégémonique, continue d’ailleurs au XXIe siècle à l’échelle planétaire et, constatons-le sereinement, tend plutôt à s’étendre toujours. Les éléments contextuels historiques du succès de l’automobile et de son acceptation sociale ont-ils un jour existé et auraient-ils désormais vraiment et partout disparu ? Symétriquement, les raisons, les échelles aussi, de son refus et de son refoulement sont-elles toutes universellement diffusées et partagées ?
La déconstruction du discours progressiste de la modernité associé longtemps en Occident à l’automobilisme invite à comprendre la situation contemporaine où les paradoxes géopolitiques continuent d’être actifs. Pour les pays et les zones émergentes, le système automobile continue d’être moteur. Si la désacralisation de l’auto est justifiée, lui dénier tout intérêt et toute qualité en est une autre qui mérite réflexion, et à tout le moins, évaluation et mise en perspective.
Relevons aussi marginalement qu’un automobilisme « grand style » peut exister aussi. L’amour de la liberté, valeur si évanescente, peut avoir une consistance. L’auto en est porteuse et celle-ci, dans certaines sphères – qui peuvent parfois être élitistes je le concède, mais pas seulement –, n’a rien d’une passion triste et l’étroitesse de vue n’est pas nécessairement la caractéristique première de ses défenseurs. Certes, le populisme automobile existe2, et on peut en regretter certaines radicalités3, tout comme le populisme « écologiste » prospère et a tendance à l’expansionnisme au nom de la certitude de savoir « ce que veulent les gens »… dont les pratiques effectives peuvent être tout autre.
En ce qui me concerne, je peux abonder comme témoin (et modestement comme acteur !) quant à cette inclination du débat : mon analyse historique du fait de l’automobilisme, venue de l’histoire urbaine et de celle des mobilités, me met en posture de jouer fréquemment le rôle du « pro »-auto de service. Allons-y… à la rigueur, je l’accepte, mais que l’on me concède que ce n’est pas être un avocat de base de ce mode que de participer à son éclairage et à sa confrontation – à d’autres modes notamment dont les spécialistes, soulignons-le, ont toujours été invités – quand cela fait plus de dix saisons que je co-anime un séminaire de recherche interuniversitaire consacré aux mobilités4. Pour « la défense et l’illustration » de la bagnole (comme on aime à me le dire en souriant !), j’ai déjà donné en effet et osé écrire que des intérêts, pas nécessairement moins légitimes que d’autres, étaient manifestement outrageusement méprisés, tant le fléau de la balance du débat public et académique me semblait totalement déséquilibré il y a de cela encore quelques années5.
Sans naïveté aucune par conséquent, je mesure tout l'effet potentiellement désastreux et surtout illégitime d’une assignation réductrice : ce que l’on pourrait qualifier de reductio ad dieselum, comme il existe la fameuse reductio ad Hitlerum, est de fait à l’œuvre dans un débat souvent biaisé, fondé sur quelques intimidations, des tabous et des dénis puissants.
Accepter de reprendre l’automobile au sérieux n’avait rien d’évident et n’était jusqu’à une période très récente tout simplement pas possible. Le mode et son support paraissaient périmés, ses arguments irrespirables, infréquentables. Chassée, parfois à très juste titre des centres-villes, tenue pour dévoreuse des ressources spatiales et énergétiques, son sort était scellé.
Une autre vision de l’automobilisme est-elle possible ? Ce que nous disent certains frémissements actuels, c’est que loin d’être derrière nous, le monde automobile demeure et restera pour longtemps une composante de l’offre de mobilité globale. Au moins le débat vaut-il d’être ré-ouvert sur des bases plus équitables et plus réalistes.
Grâce en soit par conséquent rendue, cette fois, au Forum Vies Mobiles, bien que tardivement cependant, car il me reste en mémoire une soirée lyonnaise riche en dérisions que je m’étais permis de durement qualifier car je la situais exactement aux antipodes d’une analyse sérieuse du phénomène automobile6. On pouvait trouver en effet bien longs certains argumentaires anti-autos qui donnaient dans l'acharnement sur un cadavre... Or, celui-ci sait rester exquis et en tout cas désiré par beaucoup, même au XXIe siècle. Le juste registre des arguments étant difficile à poser, le critère de l’utilité sociale – i.e. de la prise en compte des réels usages – devrait pouvoir aider les experts en sciences sociales et, précisément, à revaloriser la place de l’auto dans l’offre mobilitaire générale et à relativiser celles occupées par des gadgets de centre-ville.
Que l’on permette donc juste de remarquer que l’archaïsation forcée et diffamatoire de l’automobile n’aide pas à comprendre le retour de la route dans le débat général, perçu comme anachronique, ou même sa simple persistance7… Car à la fin, de quoi s’étonne-t-on ? Ou feint-on de s’étonner ? Que l’automobile existe encore ? Qu’elle résiste ? Qu’elle persiste ? Qu’on le veuille ou non, il y a des raisons à cela dont certaines, en effet, peuvent échapper à la raison-raisonnante. Il reste que des raisons objectives y président également. L’auto est beaucoup plus que l’auto ; beaucoup plus qu’un mode ; beaucoup plus que du « déplacement » ou du CO². Le rapport au monde et aux autres qu’elle peut autoriser mérite mieux qu’une réduction à une foule de comportements stigmatisés comme égoïstes.
Il convient de regarder les réalités telles qu'elles s'expriment, y compris de façon déplaisantes, et oser les nommer. Ce que Vincent Kaufmann relève avec pertinence peut être tenu pour une forme de retour du réel (nous songeons là aux volumes des pratiques effectivement mesurées qui relèguent dans la marginalité certaines expériences de mobilité jugées hâtivement « révolutionnaires ».)– désormais avantageusement « augmenté » par la révolution numérique qui sied bien à l’idéal libertaire des débuts de l’automobile - par rapport à une argumentation riche en wishfull thinking, tellement certaine d’être dans le sens de l’histoire, qu’elle s’accommode parfois avec enthousiasme du « meilleur des mondes » – souvent low cost hélas – qui paraît s’annoncer de façon inéluctable8.
Dans le monde des transports, l’automobile n’était plus qu’un problème et l’on devait compter sur ceux qui l’avaient complexifié ou rendu inextricable pour proposer des solutions ! Les positions ont bougé de façon salutaire. L’auto existe bien dans le débat mobilité, la preuve, on ne l’évite plus, on ne la nie plus et on ne l’évacue plus. Il arrive même que l’indigence idéologique qui tient parfois lieu d’argumentation laisse à sourire. Dans ce registre presqu’accusatoire, le rond-point fait office de symbole pratique :
« Le rond-point est un dispositif ultralibéral. [..] Le rond-point exhibe un discours un peu simpliste, c’est-à-dire au fond, un tout petit peu vichyste. […] Le rond-point est conservateur. […] La promotion de ces valeurs traditionnelles n’est en réalité que le pendant des valeurs traditionnelles que représente l’automobile. Puisque les valeurs de l’automobile sont assez largement des valeurs traditionnelles (petite propriété privée, fascination pour la puissance, machisme, respect craintif de l’autorité, insoumission exclusivement réactionnaire9) ».
Tout ceci a une part de vérité, concédons-le, mais une part seulement, et il est difficile de répondre autrement qu’avec l’ironie sur la ringardise par laquelle nous avons commencé : dans l’éther des idées et l’apesanteur des idéologies, il ne faut pas renoncer à faire progresser le progressisme, ni à éclairer les conservatismes ! Ma conviction, étayées par quelques années de recherche, est que jamais l’automobilisme ne se serait diffusé aussi largement si celui-ci n’avait été qu’exclusif ou le fruit d’un quelconque complot, fut-il celui du capitalisme mondialisé...
Finalement, l’une des questions qui se pose est celle de la résignation ou non à la guerre modale. Manquer ou nier les capacités de résilience de l’automobilisme telles qu’elles s’inventent en 2016 consiste à s’exposer à un déficit de pédagogie quant à « l’inéluctable transition mobilitaire »… toujours rêvée et repoussée.
1 J’emprunte cette expression à Georges Amar qui l’a employée lors d’une de nos discussions.
2 Et je ne crois jamais avoir fait montre de faiblesse dans sa dénonciation. Cf. mon introduction à The Automobile Forum, avril 2016.
3 Il est par exemple très contestable de voir des « communautés » d’usagers de la route prendre des positions qui légitiment des comportements à la limite anti-citoyens ; le cas de la signalisation des radars est ici exemplaire.
4 Il s’agit du séminaire largement itinérant du groupe de recherche P2M, Passé-Présent-Mobilité, dont l’une des ambitions et marques de fabrique a toujours été d’exister de façon plurimodale au-delà des chapelles.
5 Quelques références sont énumérées à la fin de ce texte pour me justifier donc, sans omettre la première fois où j’ai perçu et exprimé véritablement le hiatus que je n’ai ensuite fait que souligner et approfondir : « Essai de démonologie contemporaine : la desserte des villes nouvelles, l’automobile, Paul Delouvrier et les dirigeants du District », in Gouverner les villes nouvelles. Le rôle de l’État et des collectivités locales (1960-2005), Paris, Le Manuscrit, 2005, p. 83-101.
6 Cf. fr.forumviesmobiles.org/projet/.../lautomobile-desir-xxe-siecle-2602, 18 novembre 2014
7 Gijs MOM, Atlantic Automobilism. Emergence and Persistence of the Car 1895-1940, Berghahn, New-York, Oxford, 2015.
8 Les travaux de Laurent Quessette sur le sujet (« Ceux qui m’aiment prendront le Ouigo », l’usager du train confronté au low cost », Transports. Economie, Politique, Société, mai-juin 2016, p. 16-27) sont édifiants tout comme les raisons de l’échec récurrent des politiques publiques de report modal ; cf. Thomas BUHLER, Déplacements urbains : sortir de l’orthodoxie. Plaidoyer pour une prise en compte des habitudes, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2015, 123 p. On pourrait en dire largement de même des questions liées au fret ferroviaire ou au dévoilement des enjeux majeurs liés à la France « périphérique » enfin sortie du mépris : cf. Paul CARY, Sylvie FOL, « Du périurbain stigmatisé au périurbain valorisé ? », Géographie, Economie, Société, 18, 2016, p. 5-13.
9 cf. Jean-Michel ESPITALLIER, Tourner en rond. De l’art d’aborder les ronds-points, PUF, 2016.
Pour citer cette publication :
Francis Papon et Mathieu Flonneau (13 Janvier 2017), « L’avenir de l'automobile : triomphe ou déclin ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 23 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./controverses/3410/lavenir-de-lautomobile-triomphe-ou-declin
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