13 Octobre 2017
Avez-vous déjà réfléchi à l’importance primordiale de la mobilité dans la détermination de la vie des jeunes et des opportunités qui leur sont accessibles ? Étant donnée la fonction cruciale des transports, les interventions des professionnels et des décideurs politiques dans ce domaine pourraient-elles contribuer à améliorer la vie des jeunes ?
Avez-vous déjà réfléchi à l’importance primordiale de la mobilité dans la détermination de la vie des jeunes et des opportunités qui leur sont accessibles ? Étant donnée la fonction cruciale des transports, les interventions des professionnels et des décideurs politiques dans ce domaine pourraient-elles contribuer à améliorer la vie des jeunes ? Mon objectif ici n’est pas seulement d’attirer votre attention sur le rôle central joué par la mobilité dans l’existence des jeunes en Afrique subsaharienne, mais également de proposer des suggestions quant à ce qui pourrait être fait pour améliorer les choses. Une part importante de ces considérations s’appuie sur un de mes livres, Young people's daily mobilities in sub-Saharan Africa: Moving young lives. J’ai entrepris ce travail avec passion car cela m’a permis de réfléchir au recherches sur les transports et les mobilités que je mène depuis 40 ans dans toute l’Afrique, en collaboration avec différentes équipes de chercheurs (généralement africains).
J’ai commencé mes recherches sur le sujet lorsque j’étais jeune enseignante à la (toute nouvelle) université de Maiduguri, au milieu des années 1970 : dans ce coin perdu du Nord-Est du Nigeria, j’ai vite découvert que les transports (ou leur absence) étaient des éléments fondamentaux pour comprendre les modes de vie et les ressources disponibles, notamment pour les femmes et les filles. Les années suivantes, la mobilité des femmes en tant que facteur de développement en Afrique a attiré une attention croissante mais celle des enfants, en revanche, est demeurée un objet négligé. Dès lors que la moitié de la population de nombreux pays africains est composée d’enfants et de jeunes de moins de 15 ans, et qu’on en sait si peu sur leur mobilité quotidienne et ses contraintes, qui contribuent à façonner leur vie et les opportunités qui se présentent à eux, il était évidemment justifié de travailler davantage sur ce sujet.
Une part importante de mes recherches sur la mobilité a été réalisée avec la collaboration d’universitaires africains, notamment de l’université de Cape Coast (Ghana), mais au fur et à mesure que nos projets prenaient de l’ampleur, nous avons essayé de travailler directement avec de jeunes élèves, en les formant à devenir chercheurs. Au final, cela nous a permis de recruter soixante-dix élèves comme co-enquêteurs. Ils nous ont aidé à dépasser les simples constats d’immobilité ou de circulation d’un lieu à l’autre, ou les facteurs économiques directs qui déterminent le potentiel de mobilité, pour parvenir à une meilleure compréhension de l’expérience vécue par les filles et les garçons qui se déplacent dans l’Afrique rurale et urbaine, et des politiques de mobilité qui en sont le contexte.
Le genre est d’une importance cruciale à cet égard ; non seulement il détermine la forme spécifique et les expériences constituées par de nombreux déplacements, mais il peut aussi avoir une influence énorme sur leurs vies futures et leurs opportunités ; notamment la transmission intergénérationnelle d’une situation désavantageuse. Pour donner un exemple parlant, une entrée tardive à l’école, dans l’Afrique rurale, à cause de la distance et des représentations parentales quant à la vulnérabilité de leur fille sur son trajet, est souvent suivie d’un décrochage précoce, surtout lorsque l’entrée dans un établissement d’enseignement secondaire exigerait des trajets plus longs encore. Les conséquences ne se limitent pas à la restriction probable des opportunités d’emploi, mais peuvent également rejaillir sur le taux de fertilité (élevé) et l’éducation des enfants, avec des répercussions sur la santé de l’enfant, sa survie et la scolarité de la génération suivante. Prenons, par exemple, le cas de Susanna, dans une zone reculée du Malawi rural, qui n’a commencé l’école qu’à l’âge de 9 ans, parce que c’était trop loin de chez elle. Elle a décroché après quelques années parce que « l’école était trop loin pour que j’y aille à pied tous les jours. » Depuis l’âge de 10 ans, elle accomplit des travaux occasionnels, mal payés, comme le transport de lourdes charges de bois de chauffage et d’eau pour les constructeurs de maison du village. Elle n’a pas arrêté pendant sa brève scolarité. Aujourd’hui, elle a 20 ans et pour toute perspective le mariage, les grossesses et une vie entière de précarité et de dur labeur.
De telles politiques genrées de mobilité ne peuvent être ignorées. Les inégalités et la peur des violences de genre sont des éléments essentiels dans nombre de décisions prises par et pour les filles concernant la mobilité. Elles semblent inextricablement liées à une crise de la masculinité, particulièrement évidente dans le sud de l’Afrique. Par crise, j’entends la façon dont la transformation des conditions sociales et économiques provoque chez certains hommes une profonde incertitude quant à leur rôle social et à leur identité 1. Le dialogue dans les communautés et la formation qui l’accompagne, seront essentiels pour la résolution de cette crise. Bien que les ONG montrent une activité croissante dans ce domaine, la tâche est immense et nécessitera probablement de nombreuses années.
Entre-temps, certaines mesures plus modestes seraient susceptibles d’améliorer la mobilité des jeunes gens, qu’elles concernent spécifiquement les transports ou demandent une approche plus holistique et intersectorielle. Dans de nombreux contextes, bien sûr, il est évident qu’il faudrait moins, et non davantage, de mobilité (un réseau plus dense d’écoles et de centres de santé, et l’équipement collectif en eau courante pour éviter les trajets fréquents et répétitifs visant à aller chercher de l’eau, par exemple.) Malheureusement, très souvent, l’investissement que demanderait la création de ce type d’infrastructures ne pourra pas être réalisé avant longtemps.
En attendant, voici quelques suggestions de politiques spécifiques qui pourraient contribuer à améliorer la vie et les opportunités des jeunes, notamment celles des filles :
Les conclusions présentées ici s’appuient sur mes premières recherches sur la mobilité au Nigeria, en Afrique du Sud et au Ghana, et sur des travaux ultérieurs réalisés dans divers pays d’Afrique subsaharienne. Elles proviennent en particulier d’une étude récente menée à travers trois pays, dans des communautés pauvres du Ghana, du Malawi et d’Afrique du Sud, avec des collaborateurs locaux des universités de Cape Coast (Ghana), du Malawi et du CSIR sud-africain. Ce dernier projet a produit une mine d’informations par la mise en relation de la parole de jeunes (recueillie par des entretiens détaillés, des groupes de discussion et des récits de vie) et d’une importante étude portant sur 3 000 personnes âgées de 9 à 18 ans, vivant dans 24 localités pauvres, urbaines et rurales. Parce que la marche figure en bonne place dans la mobilité des jeunes, une bonne partie des informations provient d’entretiens conduits en mouvement, en marchant à côté de jeunes gens qui se rendaient à l’école, au marché, au point d’eau, à la réserve de bois, voire à des lieux de diffusions de vidéos, ou en revenaient ; au fur et à mesure du trajet, on acquiert souvent une compréhension essentielle de l’expérience individuelle de la fatigue, de l’ennui, de la peur ou du divertissement.
La publication présentant cette recherche comprend des éléments empiriques portant sur différents types de trajets : trajets d’enfants pour aller à l’école, trajets vers et dans des contextes de travail (y compris en portant de lourdes charges), trajets pour le jeu et les loisirs (pour lesquels les téléphones portables offrent toujours plus de mobilité virtuelle, au-delà de l’espace physique) et pour l’accès aux services de santé. Chaque cas donne lieu à des comparaisons entre les contextes ruraux et urbains et entre les différents pays. Des chapitres couvrent ensuite les modes de transport spécifiques : la marche, le cyclisme et les moyens motorisés, en prenant en compte des expériences cruciales relatives à la sécurité routière.
Pour plus d’informations sur mon travail, merci de cliquer ici, ou de me contacter à l’adresse . Je suis aussi très intéressée par les travaux en cours dans ce domaine.
1 Cette crise peut être liée non seulement aux conséquences des politiques économiques néolibérales, sources de difficultés pour de nombreux Africains, mais également dans certains cas à l’attention croissante portée à l’émancipation des femmes dans le cadre des actions de développement. Certains hommes, pauvres et jeunes, ont subi une marginalisation, par exemple, avec une inversion des relations de pouvoir domestique, suite à l’entrée plus importante des femmes dans la population active.
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
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