La transition urbaine ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée de Marc Wiel met en lumière les effets de la « mobilité facilitée » sur la ville : le passage d’une ville condensée à métrique piétonne à une ville éparpillée voire éclatée à métrique principalement automobile, à la recherche d’une nouvelle identité culturelle et institutionnelle.
La manière d’être mobile a radicalement évolué lors des deux derniers siècles. Alors que le XIXème siècle a connu un premier bouleversement avec l’avènement du train, c’est bien l’automobile qui marque le XXème siècle. Cette nouvelle mobilité permise par la voiture, d’usage plus souple et plus rapide, s’affranchissant des lignes de transports en commun, a contribué à modifier la ville, tant dans sa morphologie que dans le mode de vie de ses habitants. Afin de décrire ces changements et ces nouvelles formes d’espace en voie d’urbanisation dans la périphérie des villes, une multitude de notions sont apparues : périurbanisation, « Zwischenstadt » (Sieverts, 1997), « Edge city » (Garreau, 1991), « Città diffusa » (Secchi, 2005) ou encore « ville-émergente » (Dubois-Taine et Chalas, 1997). Plus encore, c’est la définition même de la ville qui est remise en cause, certaines caractéristiques de la ville traditionnelle telles que la densité, la centralité ou l’hétérogénéité sociale tendant à s’effacer. En parallèle, l’étalement de la ville questionne la gouvernance du territoire urbain, ce dernier s’étendant bien souvent au-delà des limites administratives de la commune-centre de l’agglomération. Ainsi, territoires fonctionnels et bassins de vie ne correspondent plus aux territoires institutionnels, appellent de nouvelles formes de coopération intercommunales.
Marc Wiel consacre la première partie de son livre à la déstabilisation de la « ville héritée » par l’évolution des conditions de la mobilité, le passage d’une « mobilité restreinte » à une « mobilité facilitée ». Dans le premier chapitre, il aborde la thématique du logement. Il revient sur les différentes phases qui ont marqué la croissance des villes et leur planification, s’attardant notamment sur la ville traditionnelle, la « ville pédestre » et dense, ainsi que sur les grands ensembles, avant d’aborder la périurbanisation. Il explique cette dernière, et c’est un des points-clés de cet ouvrage, par l’abondance de terrains constructibles à prix réduits rendus accessibles par la généralisation de l’automobile : « On attribua l’engouement pour la maison individuelle à Monsieur Chalandon [1] , aux nouveaux modes de vie, à la substitution d’aspirations qualitatives aux besoins quantitatifs, etc., mais peu aux effets de la mobilité facilité sur le marché foncier » (p. 58). Ainsi, « la mobilité facilitée » a permis aux citadins de se loger en périphérie des villes, principalement dans de l’habitat individuel, sans pour autant augmenter leur budget-temps de transport domicile-travail. Ce mouvement centrifuge qui voit essentiellement les classes moyennes et supérieures quitter la ville traditionnelle pour la périphérie favorise une certaine ségrégation spatiale de la ville, laissant les classes défavorisés dans le centre. Ce processus pose un problème supplémentaire, puisqu’une partie non négligeable des charges induites par l’augmentation de la mobilité dans les agglomérations repose sur les habitants des centres, et non pas sur ceux qui peuvent user et profiter de cette ouverture vers de nouveaux territoires à urbaniser.
A l’instar de l’habitat, le commerce a aussi connu de profonds changements dans son organisation spatiale. Marc Wiel montre comment les surfaces commerciales se sont implantées près des grands axes routiers dans la périphérie de la ville. Elles ont ainsi pu profiter de l’espace nécessaire et d’un potentiel de chalandise augmenté grâce à la « mobilité facilitée » pour développer une nouvelle forme de commerce concentré : les hypermarchés. Il montre aussi le rôle historique du commerce dans l’organisation de la ville et l’identification des citoyens à celle-ci. Ces nouveaux centres commerciaux périphériques, bien souvent dissociés des fonctions résidentielle et récréative, ne sont plus en mesure de jouer ce rôle structurant et remettent en cause la centralité qui était inhérente à la structure commerciale du centre-ville. Si la « transition urbaine », le passage de la ville pédestre à la ville motorisée, a atteint sa phase la plus avancée en ce qui concerne l’habitat (la périurbanisation), en matière de commerce, elle n’en serait, selon l’auteur, qu’à un stade correspondant aux « grands ensembles », c'est-à-dire à une stratégie de localisation fonctionnaliste, plutôt qu’à une stratégie post-industrielle, à laquelle l’auteur assimile la périurbanisation. Selon lui, le futur des surfaces commerciales réside pourtant dans la réponse aux aspirations qualitatives et à la recherche de différentiation sociale, permettant, à terme, l’implication des centres commerciaux dans l’organisation des territoires. Pour conclure cette première partie, Marc Wiel s’intéresse à la gestion des déplacements et à la dynamique urbaine qui en découle. Il constate notamment un manque profond d’anticipation des effets des interventions publiques sur les infrastructures. Ainsi, des aménagements réalisés sur une infrastructure routière permettent par exemple de répondre à un besoin, mais accroissent en même temps la demande en permettant à plus de véhicules d’y circuler plus vite, ce qui appelle de nouvelles améliorations, etc. Dans un contexte de plus en plus compliqué pour la construction de nouvelles infrastructures (pollution, coût financier, opposition des particuliers), Marc Wiel propose un changement de paradigme dans la gestion des déplacements ; au lieu de répondre à la demande en aménageant de nouvelles infrastructures, il suggère de réduire la demande, notamment en réduisant la vitesse des déplacements.
Dans la seconde partie de son ouvrage, l’auteur cherche, à partir de ses propres expériences, à mettre en lien les évolutions précédemment évoquées de la ville avec le jeu des différents acteurs politiques et institutionnels, ainsi qu’à formuler des propositions pour faire face aux problèmes auxquels font face les « villes motorisées ». Analysant le rôle, l’implication et les moyens d’intervention des différents échelons institutionnels que sont l’Etat, le Département (ou la Région), la commune, ainsi que le groupement de communes face à la périurbanisation, il montre que les outils des uns, les compétences et les moyens financiers des autres ne sont pas, à l’heure actuelle, à même de résoudre les problèmes induits par l’extension de la ville en périphérie. Selon lui, une meilleure gestion de la ville et de la mobilité, passe non pas par des innovations technologiques, mais bien par la mise en place de politiques coordonnées : c’est avant tout le décalage créé par la mobilité facilité entre territoire fonctionnel et territoire institutionnel qui pose problème.
Dans le dernier chapitre, Marc Wiel, propose des pistes d’intervention pour mieux maîtriser les effets de la « mobilité facilitée » sur la ville. Celles-ci se déploient autour de trois axes : canaliser le périurbain (favoriser le développement, à travers l’action foncière, de nouvelles centralités en périphérie bien accessibles en transports publics), recomposer la ville existante (renforcer la structure commerciale du centre-ville, réaménager les grands ensembles, ainsi que les friches urbaines) et déplacer les leviers habituels de l’intervention publique (mettre en place de nouvelles structures qui correspondraient mieux aux espaces de vie quotidienne, « réhabiliter » la planification urbaine pour encadrer l’initiative privé, ainsi que mieux répartir les charges induites par la « mobilité facilitée » sur ceux qui en profitent véritablement).
La transition urbaine de Marc Wiel propose une réflexion très fouillée sur la périurbanisation et, plus généralement, sur la ville. L’auteur ne se contente pas de décrire les processus qui y sont associés mais énonce une série de propositions pour tenter de restructurer la ville et son territoire ; si certaines d’entre elles peuvent être considérées comme osées et peuvent déplaire au grand public – comme la réduction de la demande, par la réduction de la vitesse -, elles ont le mérite de poser des questions pertinentes et d’ouvrir le débat. Pour autant, on peut reprocher à l’auteur, d’avoir accordé une place trop faible à la définition de deux notions centrales à son propos : la mobilité facilitée et la ville agglomérée. Ce livre apporte indéniablement une grande contribution aux problématiques urbaines et les pistes d’interventions proposées par l’auteur restent dix ans plus tard toujours d’actualité. En revanche, le contexte a changé. Les villes-centre ont connu un certain renouveau dans les années 2000 : les centres sont plus attractifs, voyant leur population croître à nouveau. De même, les transports publics, mais aussi d’autres modes, comme le vélo avec le succès des systèmes du type de « Vélib’ », ont vu leur utilisation augmenter dans les centres. La vision négative et très critique du développement urbain de Marc Wiel peut ainsi être nuancée.
Marc Wiel est urbaniste, il a notamment été directeur de l’agence d’urbanisme du Pays de Brest. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant la ville, la mobilité, ainsi que les questions d’aménagement du territoire.
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Pour citer cette publication :
Yann Dubois (11 Décembre 2012), « La transition urbaine ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée - de Marc Wiel », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 23 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./livres-clefs/483/la-transition-urbaine-ou-le-passage-de-la-ville-pedestre-la-ville-motorisee-de-marc-wiel
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