Les méthodes mobiles produisent des connaissances précises en permettant d’accompagner physiquement, virtuellement ou analytiquement les sujets de recherche. Elles s'appuient sur des méthodes d'enquête permettant de suivre des phénomènes matériels et sociaux.
La façon dont les gens, les capitaux, les objets, les images et l'information se déplacent, sont entravés dans leurs mouvements ou deviennent immobiles a des conséquences importantes. Les (im)mobilités multimodales et croisées configurent les réalités sociales et matérielles. Il est donc essentiel pour nos sociétés de comprendre les pratiques quotidiennes qui sont en jeu ainsi que l'ensemble de leurs effets systémiques. À cette fin, un engagement fondamental des méthodes mobiles consiste à se déplacer avec les sujets d'étude, souvent comme observateurs-participants. Les méthodes mobiles permettent ainsi aux chercheurs d'établir « une forme de présence physique effective, comportant une logique explicite d'associations ou de connexions » (Marcus, 1998).
Plusieurs techniques qualitatives, quantitatives, visuelles et expérimentales sont utilisées pour étudier les mobilités (Büscher, Urry & Witchger, 2011; Fincham, McGuinness, & Murray, 2009), y compris les mouvements arrêtés, bloqués ou interrompus (Adey & Anderson, 2011 ; Sheller, 2012), ainsi que l'immobilité (Bissell, 2007 ; Lan et al, 2013). Voici quelques exemples de méthodes mobiles :
Les chercheurs peuvent suivre des gens, mais aussi des objets, des images, des idées, de l'information ou des connexions. En promouvant une approche fondée sur des perspectives, des pratiques et des expériences multiples, les méthodes mobiles génèrent de nouvelles connaissances concernant des phénomènes disséminés, connectés et fugaces. Elles permettent aussi de documenter à différentes échelles des pratiques complexes de mobilité et d'(im)mobilisation ainsi que leurs dimensions sensorielles ou affectives.
Les méthodes mobiles ne sont pas une nouveauté. Dans de nombreuses disciplines, l'accent a été mis sur l'étude des ordres sociaux et matériels à travers le mouvement. Citons par exemple la phénoménologie de la culture de Georg Simmel et Walter Benjamin, la dérive en art (Debord, 1959), les films anthropologiques (Mead & Bateson, 1977), la découverte de l'ordre social vu de l'intérieur, en ethnométhodologie (Macbeth 1999), ou encore la géographie du temps (Hägerstrand, 1985).
Le tournant de la mobilité a promu des méthodologies et les sensibilités analytiques de ce qui est en mouvement dans des domaines tels que la sociologie (Urry, 2000 ; Sheller & Urry, 2006), la géographie (Thrift, 2004 ; Cresswell, 2006 ; Adey 2009), les études des transports (Axhausen, Zimmermann, Schönfelder, Rindsfüser, & Haupt, 2002), ainsi que dans d'autres disciplines scientifiques et techniques, comme l'informatique mobile (Weilenmann, 2001) ou la recherche en marketing commercial (Robbins, 2011).
L’innovation dans le domaine des méthodes mobiles se concentre généralement sur la génération d’un savoir qualitatif précis sur les pratiques des vies mobiles, qu'elles soient momentanées, dispersées, multiples, physiquement incarnées ou affectives, ainsi que sur les processus d'immobilisation et d'exclusion.
Mais ce sont surtout des méthodes mobiles mixtes intégrant des méthodes quantitatives et visuelles/expérimentales qui émergent actuellement. Elles font appel notamment à l'utilisation de bases de données, de l’"open data", du "big data", des récits de vie et des données longitudinales, des systèmes d'information géographiques (SIG), des capteurs des GPS et des technologies liées à la mobilité personnelle.
L'exploration de données ("data mining") actuarielles et la "qualculation" de données de transport, financières, de marketing et sécuritaires (Thrift, 2004) ont permis le développement de prédictions dynamiques qualitatives sans précédent. Le calcul des préférences des consommateurs, basé sur l'utilisation des cartes de fidélité, permet par exemple aux producteurs, aux entreprises de logistique, aux gérants d'entrepôts et aux supermarchés d’être capable de surveiller la demande, de prédire les tendances et de s'adapter rapidement aux changements (Harvey et al., 2002) pour coller à la dynamique des ventes ("dynamic to sale").
Les méthodes mobiles mixtes sont nécessaires pour avoir une compréhension plus critique de la vie "juste-à-temps" ("just-in-time living"), qui est hypermobile, connectée, micro-coordonnée et permise par de telles "qualculations".
Les méthodes mixtes peuvent intégrer des méthodes qualitatives et quantitatives, par exemple dans les études sur le positionnement mobile (Ahas, 2011), ou bien déboucher sur une méthode d'assemblage (Law, 2004).
En fin de compte, les méthodes mobiles reflètent un glissement ontologique et épistémologique, mais aussi éthique et pratique, dans les méthodologies de recherche. Elles proposent de nouveaux défis éthiques aux chercheurs, aux enquêtés, ainsi qu'à ceux qui utilisent les recherches, notamment en matière de consentement informé, de vie privée et de sécurité des données personnelles, ou encore en ce qui concerne les relations chercheur-enquêté-utilisateur.
Mais, dans le même temps, reconnaître le rôle constitutif des (im)mobilités pour le développement des réalités sociales et matérielles encourage aussi l'intégration entre la recherche sur les mobilités, l'innovation sociale, le design, la gestion et la politique, ce qui pourrait déboucher sur la naissance d'une innovation « prudemment radicale » et « radicalement prudente » (Latour 2008) constituant une nouvelle politique des méthodes. Cela se fonde sur la tendance des méthodologies mobiles à promouvoir une compréhension nuancée des phénomènes sociaux organisés complexes et sur le développement des formes participatives ("mode2") de production et d'utilisation du savoir, comme par exemple les laboratoires vivants et l'expérimentation collective (Wynne and Felt, 2007 ; Nowotny et al., 2001; Bærenholdt et al., 2010). Les méthodes mobiles poussent souvent les équipes de recherche à agir sur la base de ces connaissances nouvellement acquises. En ce sens, ce sont des méthodes inventives (Lury & Wakeford, 2012) qui peuvent jouer un rôle important pour dessiner l'avenir.
La recherche sur la mobilité connaît un développement rapide. Il suffit de passer en revue quelques exemples de recherches pour se faire une idée de l'élan créatif et de la diversité des savoirs produits.
À partir d'un parcours en voiture sur une autoroute en compagnie d'un commercial, Eric Laurier (2004) montre comment le travail de bureau mobile s'inscrit dans des ordres moraux et sociaux émergents, qui construisent des carrières rapides ou lentes. Alors qu'il observe “Allyˮ répondre à ses emails (qui les lit parfois littéralement au volant, et à vive allure), il devient possible d'analyser l'ingéniosité avec laquelle ce dernier s’inscrit dans le corps social augmenté du trafic automobile.
Prolongeant ce travail, Harry Ferguson (2011) étudie le travail social tel qu'il est pratiqué au bureau, en déplacement, dans des voitures garées ou au domicile des clients/usagers. Ferguson est ainsi capable de mettre en lumière la dimension affective du travail social en se plongeant avec les sujets de sa recherche dans les ambiances très variées, parfois même inquiétantes, des domiciles des personnes suivies par les travailleurs sociaux. Il nous renseigne ainsi sur les luttes de pouvoir autour de la manière dont l'accès est exigé, accordé et refusé.
Le suivi des phénomènes composés d'éléments plus nombreux, disséminés et fugaces nécessite des méthodes moins directes. En équipant les sujets de leur recherche de carnets, de capteurs ou de GPS, les chercheurs sont capables de mettre à jour des expériences et des négociations localisées de mobilités croisées.
L'artiste Christian Nold, par exemple, demande à des gens de porter à même la peau des capteurs galvaniques pendant qu'ils déambulent dans la ville. Toutes les émotions des promeneurs sont ainsi répertoriées, cartographiées, annotées puis visualisées sous la forme de cartes émotionnelles (Nold, 2009).
Utilisant une approche plus expérimentale, l'artiste sociologue Jen Southern approfondit les pratiques de “co-mobilitéˮ, une forme de connexion avec un autrui distant, expérimenté en mouvement au moyen de médias de localisation. En construisant des applications - téléchargées sur des iPhone privés - qui permettent de visualiser des réseaux de personnes (mais aussi d'animaux) se déplaçant simultanément, Southern et ses collègues permettent aux gens d'expérimenter une surveillance ainsi qu’une sociabilité connectée (Southern, 2012).
Une telle implication avec les sujets d'étude reflète à quel point l'orientation analytique vers les (im)mobilités fait évoluer la recherche, qui ne se focalise plus seulement sur l'enquête mais passe aussi par l'accompagnement et l’engagement dans des changements socio-techniques.
Les méthodes mobiles, en tant que méthodes inventives, cherchent à appréhender, à façonner et à influencer concrètement les changements socio-techniques.
À titre d'exemple, on citera le "travel remedy kit" kit de secours du voyageur imaginé par Watts et Lyons afin de concevoir des voyages plus bénéfiques aux passagers (Watts and Lyons, 2011), ou encore les méthodes d'assemblage créées dans la réponse apportée aux catastrophes pour « suivre l'information » dans des bases de données interopérables (Büscher et al., 2013).
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Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLes méthodes mobiles produisent des connaissances précises en permettant d’accompagner physiquement, virtuellement ou analytiquement les sujets de recherche. Elles s'appuient sur des méthodes d'enquête permettant de suivre des phénomènes matériels et sociaux.
En savoir plus xLa mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xPour citer cette publication :
Monika Büscher (16 Avril 2013), « Méthodes mobiles », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 23 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./dictionnaire/696/methodes-mobiles
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