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La gratuité des transports fait-elle ses preuves ?

Entre Philippe Duron (Homme politique)
Et Arnaud Passalacqua (Historien)

13 Avril 2022

Rendre les transports en commun gratuits, l’idée fait son chemin. À la fin de l’année 2021, 36 agglomérations s’y étaient converties en France. Ses partisans défendent ses bienfaits en termes d’égalité et de report modal, tandis que ses détracteurs en dénoncent le coût et des résultats jugés incertains. Mais que nous révèle le terrain ? Quels sont les problèmes qui émergent, et quelles sont les solutions ? Arnaud Passalacqua, membre de l’Observatoire de la gratuité, et Philippe Duron, président de TDIE, débattent ici sur la validité de la gratuité des transports comme réponse aux défis contemporains de la mobilité.



01. La gratuité des transports collectifs n’est pas une question nouvelle. Quels sont les arguments politiques, sociaux, économiques ou environnementaux qui justifient que l’on se la pose aujourd’hui ?

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Arnaud Passalacqua

D’abord, il ne faut pas oublier que la gratuité existe aujourd’hui pour de nombreux usages de l’espace public et des infrastructures. Les péages sont mêmes devenus assez rares, alors qu’ils étaient généralisés dans des périodes antérieures. Aujourd’hui, les autoroutes et quelques ponts ou tunnels se distinguent par ce statut payant, mais l’expérience de la gratuité est celle que connaissent globalement les automobilistes, même si je suis bien conscient des enjeux de taxe sur les carburants. De son côté, la gratuité des transports collectifs a une histoire qui n’est pas encore véritablement écrite mais qui est jalonnée de formes diverses, dont les plus proches de celles que nous connaissons remontent aux années 1970. Aujourd’hui comme hier, plusieurs moteurs poussent des collectivités à mettre en place de telles mesures. Elles ne le font pas toutes pour les mêmes raisons et les arguments d’aujourd’hui, centrés sur l’écologie et la justice sociale, ne sont pas nécessairement les mêmes qu’hier, quand, par exemple, Compiègne cherchait à attirer un public étudiant par ce biais. Le contexte n’est plus le même : depuis 50 ans maintenant, on développe des politiques de report modal depuis l’automobile vers les transports en commun ou les modes actifs. Pourtant, dans une ville moyenne française, une bonne moitié des déplacements effectués se fait toujours en voiture, soit 4 à 5 fois plus qu’en transport collectif. Si l’on ajoute la montée des questions écologiques aux problématiques de justice sociale, dans une société qui semble toujours plus courir le risque de se fracturer, la gratuité s’inscrit du côté des solutions à explorer. La pertinence des grands arguments avancés en sa faveur dépend toutefois des différents contextes locaux. Veut-on rendre plus attractifs les transports collectifs ? Soutenir le report modal ? Éviter le non-recours aux tarifs sociaux, qu’on peut estimer à 40 % des populations concernées ? Si ces arguments sont à jauger selon les cas précis des territoires concernés, il me semble que trois éléments de contexte plus globaux poussent notre société à discuter de la gratuité. Nous pouvons d’abord constater que la politique centrée sur des solutions incarnées par des modes spécifiques présente des limites : les tramways ne suffisent pas à susciter un report modal décisif, de même que les voitures électriques ne règlent pas tous les problèmes des mobilités urbaines. La gratuité ouvre la voie à une autre façon de voir les choses : comment mieux utiliser les systèmes existants ? Elle porte une autre façon de concevoir une politique publique de mobilité. On pourrait ici la rapprocher des politiques portant sur l’abaissement des vitesses, par exemple, qui consistent elles aussi à revoir la façon dont l’espace public peut être adapté à nos besoins, sans attendre qu’un objet porté par une innovation peu probable vienne apporter la solution magique. Ensuite, notre société s’interroge aussi sur ce qui lui est commun, alors que la privatisation et l’individualisation sont des dynamiques puissantes depuis maintenant longtemps. Le Covid-19 a même conduit à nous poser la question de ce qui nous est essentiel. La gratuité fait basculer les réseaux de transport collectif du côté de cette sphère du commun et de l’essentiel de façon plus évidente que ce n’est aujourd’hui le cas. En ce sens, la discussion sur la pertinence de la gratuité renvoie donc à une discussion plus large inscrite dans les aspirations de notre société. Enfin, la crise sanitaire liée au Covid-19 est venue accélérer la situation financière déjà difficile de nombre de réseaux de transport public. Une remise à plat des modalités de financement de ces réseaux est indispensable. Ce qui peut ouvrir une porte à la gratuité, même si cela peut paraître a priori paradoxal.

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P. D

La gratuité des transports collectifs favoriserait une mobilité plus inclusive. L’argument mérite d’être discuté dans la mesure où il ne concerne que les populations qui vivent à l’intérieur d’un périmètre desservi par les transports publics urbains. Or une actualité récente a mis en évidence qu’une part significative de la population vit au-delà, dans le grand périurbain et le rural. Ces populations sont très souvent dépendantes de la voiture individuelle pour leurs déplacements quotidiens ; l’augmentation du prix des carburants pèse souvent sur des budgets contraints. La gratuité accroîtrait ici les clivages entre les urbains et les non-urbains. Faire de la mobilité un commun conduirait à rendre tous les déplacements gratuits (train, voiture…) ! La manière d’augmenter la part des transports en commun au détriment de la voiture passe notamment par une extension de la desserte des populations vivant dans le périurbain et le rural et par une meil-leure articulation entre les différents modes de déplacement. Une tarification inclusive, là où elle a été proposée, réduit le coût des transports pour les personnes à revenus modestes (demandeurs d’emplois, étudiants…).

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Philippe Duron

La gratuité des transports en commun a longtemps été cantonnée à des villes ou agglomérations de taille modeste où les recettes tarifaires demeuraient marginales. Depuis les élections municipales de 2014 et de 2020, des agglomérations plus importantes ont fait le choix de la gratuité partielle ou totale : Niort, Dunkerque ou Montpellier. Ce mouvement très français est rendu possible par une recette puissante et dynamique, le Versement Mobilité qui couvre 48% des besoins de financement du transport en commun des agglomérations disposant de lignes régulières. Argument de campagne puissant, les promoteurs de la gratuité mettent en avant deux objectifs : un gain de pouvoir d’achat pour les ménages et un encouragement au report modal de la voiture vers les transports en commun. Si la gratuité se justifie pour des services universels comme la santé ou l’éducation, financés par un système solidaire de répartition ou par l’impôt, les transports en communs ne relèvent pas de la même logique ; ils ne concernent qu’une part minoritaire de la population. La gratuité si elle se généralisait aggraverait alors les inégalités entre les urbains bien pourvus en matière de transports en commun et celles et ceux qui sont contraints de recourir à un moyen de transport individuel plus coûteux, ainsi que l’a montré la crise des Gilets Jaunes.

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A. P

Je partage pleinement l’idée qu’il y a un caractère français aux modèles de gratuité totale du fait de l’existence du versement mobilité. Cette contribution locale explique aussi d’autres spécificités françaises, comme l’essor de projets de tramways de qualité mais assez coûteux entre les années 1990 et 2010. L’Observatoire des villes du transport gratuit a d’ailleurs suscité l’intérêt à l’étranger du fait de cette spécificité fiscale. En revanche, les villes pratiquant une gratuité partielle sont nombreuses dans le monde, indépendamment de l’existence d’une telle ressource. Par ailleurs, la question de l’équité territoriale adressée par Philippe Duron à la gratuité est pleinement justifiée mais elle peut se lire autrement : la gratuité peut aussi être vue comme une façon de conserver aux zones centrales des agglomérations une forme d’attractivité, afin d’éviter la dilution urbaine, favorable à l’automobile. C’est, par exemple, la politique que souhaite engager Montpellier. Par ailleurs, on peut s’interroger sur le fait qu’être plus dépendant de l’automobile coûte plus cher à la société que financer la gratuité des transports, même si je sais que le choix résidentiel est un sujet complexe sur lequel les individus n’ont pas une maîtrise totale.

02. La gratuité est-elle une menace pour le développement des transports collectifs, voire pour leur pérennité ?

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Arnaud Passalacqua

Cette idée est avancée de façon récurrente dans le débat public. Elle repose sur plusieurs arguments. J’en discuterai ici deux principaux. D’abord, la gratuité ruinerait les capacités de financement des transports publics. Ensuite, la gratuité nuirait à l’image des transports publics, tant aux yeux du public qu’aux yeux des élues et élus en charge de leur pilotage, selon l’idée que ce qui est gratuit n’aurait pas de valeur et serait voué à être négligé. Sur ces deux sujets, la discussion me paraît plus complexe que ne le laissent penser les images régulièrement avancées. Du point de vue financier, soulignons que les recettes commerciales ne permettent jamais de financer le développement des transports collectifs, puisqu’elles ne couvrent jamais les dépenses d’exploitation. Les investissements sont toujours portés par d’autres budgets, apportés par les collectivités ou l’État. La menace financière que ferait peser la gratuité ne peut donc pas directement concerner les investissements sur les réseaux, même si des effets indirects sont possibles, et, même concernant les coûts d’exploitation, rappelons que dans nombre de villes, ce taux de couverture par les recettes de billetterie est de 10 à 20 %. Autrement dit, les réseaux sont déjà inscrits dans une logique massive de financement extérieur aux recettes des voyageuses et voyageurs, sauf dans quelques cas, comme en Île-de-France (42 % de couverture en 2016) ou à Lyon (plus de 50 % pendant plusieurs années, avant la crise sanitaire). C’est l’effet du versement mobilité que viennent compléter des financements publics. Ainsi, s’il est clair que la gratuité entraîne un manque-à-gagner, sa compensation peut être assurée par des choix politiques qui ne nuisent pas nécessairement au transport collectif : le choix peut être fait de réaffecter d’autres budgets sur ce poste, dans le cadre d’arbitrages politiques, comme on l’a vu à Dunkerque. Il est aussi possible de chercher de nouvelles recettes, comme celles du stationnement, ainsi que l’envisage Montpellier. Enfin, si la hausse de fréquentation doit être anticipée, dans le cas de réseaux présentant de fortes réserves de capacité, la gratuité permet de remplir les véhicules et de réduire le coût du voyageur.km, sans nécessiter de trop lourds investissements supplémentaires. Par ailleurs, l’image des transports publics ne semble pas pâtir de la gratuité, notamment du fait que de telles mesures peuvent s’accompagner d’une rénovation des réseaux qui y passent. La gratuité offre une expérience différente dans le rapport aux autobus et tramways, qui deviennent de véritables prolongements de l’espace public de voirie, du fait de leur porosité accrue par cette mesure. La pérennité de la gratuité dans nombre de villes qui s’en sont dotées depuis longtemps, malgré des basculements de majorité politique, incite à penser que cette gratuité devient l’une des composantes de l’identité de la ville. Enfin, du point de vue matériel, il n’est pas attesté que les véhicules en circulation sur les réseaux gratuits soient plus dégradés que ceux des réseaux payants : il semble que le contrôle social accru du fait de l’augmentation de la fréquentation tienne ici un rôle dans la protection des véhicules.

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P. D

La gratuité ne modifierait pas sensiblement un modèle économique reposant largement sur les employeurs (le versement mobilité) et les contribuables. Le ratio recettes/dépenses, est en effet très faible en France (27% en 2019). Mais lorsqu’Arnaud Passalacqua mentionne des exceptions, « quelques cas », il cite l’Île-de-France et Lyon ; l’Île-de-France, c’est 75% des déplacements quotidiens du pays et Lyon, c’est la principale Autorité organisatrice de la mobilité (AOM) hors Île-de-France. Comme je l’ai montré dans un rapport récent, c’est la puissance et le dynamisme du versement mobilité qui a conduit à une baisse tendancielle des recettes passagers (elles s’élevaient à 70% en 1975). La gratuité pourrait conduire à une contestation forte du versement mobilité par les employeurs, considérant qu’ils n’ont pas vocation à financer les déplacements autres que ceux liés au travail.

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Philippe Duron

La gratuité a un coût très élevé qui peut atteindre plusieurs centaines de millions d’euros par an dans de grandes agglomérations. La gratuité des transports à Paris a même été estimée à plus de 3 milliards d’€ par an par M. Rappoport à la demande d’IdF Mobilités. Substituer une subvention de l’AOM (Autorité organisatrice de la mobilité) aux recettes tarifaires serait difficilement supportable. La ville Belge de Hasselt a renoncé à la gratuité au bout de treize ans après que le coût pour la collectivité a été multiplié par quatre. Dans un premier temps, les villes françaises ont, pour certaines, renoncé à un investissement pour être en mesure de la mettre en place : un BHNS (Bus à haut niveau de service) à Niort, un palais des sports à Dunkerque. Mais c’est une économie limitée dans le temps. Plus vraisemblablement, la gratuité se ferait au détriment de la qualité du service public de transport, qu’il s’agisse de la fréquence, de la régularité ou de l’amplitude horaire des transports du quotidien. C’est ce qu’ont compris les Genevois lorsqu’ils ont voté contre la gratuité des transports en commun à l’issue d’une votation en 2008. Dans un contexte où la lutte contre le changement climatique et la décarbonation appellent un doublement de la part modale des transports en commun, la priorité doit être donnée au développement de l’offre de transports, au renouvellement des flottes, à la digitalisation des services… Toutes choses qui mobiliseront des investissements très importants. C’est une (r)évolution des transports collectifs qui s’imposera aux autorités organisatrices pour atteindre la neutralité carbone en 2050 décidée par le Green deal européen. Le recours à la gratuité modifie puissamment le modèle économique des transports en commun urbains qui repose sur un triptyque : tarification, subventions budgétaires de la collectivité, contribution fiscale des employeurs de plus de 10 salariés par le biais Versement Mobilité. La remise en cause de ce dernier, régulièrement demandée par le patronat, mettrait un coup d’arrêt à l’entretien, à la modernisation et au développement des réseaux de transports publics.

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A. P

Je suis d’accord que le versement mobilité est effectivement régulièrement attaqué en période électorale. Mais, s’il devait être réformé, ne serait-il pas logique de penser à son élargissement, par exemple pour toucher les lieux de consommation, afin de mieux faire coller le financement aux pratiques, qui ne se limitent évidemment pas au domicile-travail ? Par ailleurs, la gratuité doit être jaugée à l’aune des contextes locaux. Le fait que l’Île-de-France soit un territoire où la gratuité semble très peu pertinente n’empêche pas que cette mesure puisse s’avérer être un outil utile ailleurs. Ce qui explique peut-être que beaucoup de villes ont maintenu longtemps le choix de la gratuité, y compris après une alternance politique. Car ce sont bien des choix politiques qui sont faits : le financement de la gratuité se fait nécessairement aux dépens d’autre chose. Mais quoi ? On peut sabrer telle ou telle politique. Mais on peut aussi repenser le réseau. Ou même penser autrement son développement. Doit-il passer par le numérique et une électrification sur batteries ? D’autres choix, de plus faible technicité, ne sont-ils pas envisageables, qui réduiraient les coûts d’investissement ? Je crois qu’il convient de rappeler que les transports ne doivent pas être une réponse pour eux-mêmes, mais juste un moyen pour satisfaire les besoins des individus, dans des conditions écologiquement les meilleures possibles. L’enjeu de notre société, c’est faire mieux écologiquement avec moins de carbone et d’énergie. Selon les cas, la gratuité peut aller dans ce sens.

03. Que peut-on tirer des expériences menées à ce jour en termes de fréquentation, de report modal, de profils des usagers et d’accessibilité ?

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Arnaud Passalacqua

Si plusieurs travaux sur ce que produirait une situation de gratuité existent, il est plus difficile d’identifier les effets des politiques de gratuité réellement mises en œuvre, du fait qu’elles se combinent avec différents autres leviers et qu’elles s’inscrivent dans des contextes spécifiques au sein desquels les données ne sont pas toujours aisément disponibles pour mener des comparaisons. Il est toutefois clair que ces mesures produisent avant tout d’autres effets qu’un report modal massif depuis la voiture. Comme pour beaucoup d’autres mesures expérimentées à ce jour, telles les solutions de mobilité partagées (vélos en libre-service, autopartage...), les résultats sur cet objectif sont toujours modestes. Les principaux effets directs et quantitatifs me semblent tenir au caractère inclusif de la mesure : il s’agit d’abord d’une mesure sociale qui permet à toutes et tous de monter à bord en désamorçant l’enjeu du non-recours aux tarifs sociaux. Il y a donc logiquement un usage massif observé après la mise en place de telles mesures, qui se traduit par de fortes hausses de fréquentation dans les premiers mois. Le réseau concerné semble devoir stabiliser sa fréquentation autour d’un nouveau seuil plus élevé que le précédent, lorsqu’il était payant. De façon plus fine, il est probable que des usages nouveaux voient le jour, comme une utilisation plus aisée le week-end par des familles pour qui la tarification représentait une barrière psychologique, pas nécessairement fondée, mais on sait que le signal-prix joue un rôle fort dans le monde des transports. Parmi les effets rarement évoqués, on peut s’intéresser aux métiers de la conduite. Un travail récemment conduit par l’Observatoire des villes du transport gratuit pour l’Ademe montre que la gratuité permet aux conductrices et conducteurs des bus de Dunkerque de retrouver une position de maîtrise de leur véhicule, en les affranchissant de la fonction de vente et surtout de contrôle à la montée, souvent mal vécue car source de tension. La gratuité est donc aussi une mesure de transformation de la logique de travail de l’opérateur de transport. D’un autre côté, ces effets sont encore faibles au regard des enjeux climatiques et énergétiques massifs auxquels nous devons faire face. La gratuité seule peut demeurer une mesure limitée car elle opère sans contrainte sur l’automobiliste. Mais combinée à d’autres mesures, simultanément ou de façon cumulée dans le temps, elle peut jouer le rôle d’initiatrice d’un débat plus large, sur les mobilités comme sur ce qui est commun et important pour la collectivité. Elle peut être un levier pour d’autres mesures et ouvrir à une autre façon de penser l’aménagement urbain. Elle peut se penser comme une contrepartie de politiques contraignant l’automobile : piétonisation, restrictions d’usage, péage urbain, rationnement... En ce sens, elle peut donc s’inscrire dans une logique écologique.

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P. D

La lutte contre le changement climatique nécessite un transfert modal puissant. Le règlement « fit for 55 » mis en discussion par la commission européenne fixe aux transports en commun une part modale de 30%, tandis que la Suisse, toujours exemplaire en matière de transports, vise 40%. La France, encore loin de ces objectifs, aura besoin de mobiliser des financements importants : Europe, État, Collectivités territoriales, mais aussi les recettes commerciales.

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Philippe Duron

Les villes qui ont mis en œuvre la gratuité sont peu nombreuses ; de tailles variées, certaines l’ont adoptée très récemment, avec des objectifs différents : faciliter la mobilité des populations modestes, des jeunes, renforcer l’attractivité du centre-ville, redonner du pouvoir d’achat aux habitants, favoriser le transfert modal. Il est donc prématuré d’en faire un bilan définitif L’augmentation de la fréquentation n’est pas contestable mais le report modal effectif semble se faire plutôt au détriment des mobilités actives (marche, vélo), et moins depuis l’automobile. Enfin dans les agglomérations les plus importantes, l’augmentation de la fréquentation n’est possible qu’avec une augmentation de capacité très coûteuse ; c’est tout le sens des SER (les Services express rapides, des RER métropolitains) dont le financement s’avère difficile. Le coût du transport occupe une part croissante dans le budget des ménages. Dans un contexte où les salaires ont été fortement comprimés après la crise de 2008, un besoin d’accompagnement des personnes à faible revenu peut légitimer une tarification inclusive, voire une gratuité pour les publics les plus précaires, les étudiants par exemple. Mais est-il vraiment nécessaire d’étendre la gratuité à l’ensemble des usagers et notamment les plus aisés, pour qui le poids du titre de transport pèse peu dans le budget ? L’égalité prônée par les défenseurs de la gratuité est-elle juste ? Je ne le crois pas.

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A. P

En lisant la réponse de Philippe Duron se dessine le profil d’agglomérations où la gratuité paraît peu satisfaisante : les grosses villes, avec un réseau déjà lourd mais qui suppose des extensions coûteuses pour tenter de susciter du report modal depuis l’automobile. Des villes où de fortes inégalités sociales seraient aussi à l’œuvre, qui conduiraient des personnes à l’aise financièrement à bénéficier de la gratuité alors qu’elles pourraient financer le service. Je pense aussi que ce n’est pas ce profil de villes pour lequel la gratuité est un outil adapté. En revanche, dans des villes plus petites, où la sociologie pourrait être aussi plus homogène, loin du modèle de l’Île-de-France et ses hauts pourcentages de cadres, la gratuité me semble être une mesure à prendre en considération dans la construction d’une politique efficace de mobilité. Mais, ni seule pour elle-même, ni sans une contrainte forte de l’automobile, si l’on veut que des effets puissent être tangibles. Encore faudra-t-il les estimer, ce qui n’est pas une mince affaire.


Philippe Duron

Homme politique

Philippe Duron a été président du conseil régional de Basse-Normandie, maire de Caen, président de Caen-la-Mer et député du Calvados. Il a présidé la Commission Mobilité 21 et président de la Commission TET d'Avenir. Il a remis en 2021 au ministre délégué chargé des transports un rapport sur le modèle économique des transports collectifs.


Arnaud Passalacqua

Historien

Professeur à l’École d'urbanisme de Paris (Lab'URBA/LIED), il est spécialiste des questions de mobilité, à partir d'une approche de temps long et de concepts transversaux (espace public, innovation, énergie, imaginaire, circulation transnationale...). Ses travaux portent sur des systèmes de transports divers (transports urbains, grande vitesse ferroviaire...) dans des contextes urbains occidentaux.



Pour citer cette publication :

Philippe Duron et Arnaud Passalacqua (13 Avril 2022), « La gratuité des transports fait-elle ses preuves ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./regards-croises/15548/la-gratuite-des-transports-fait-elle-ses-preuves


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