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La mobilité est-elle un remède à la pauvreté ?

Entre Leslie Belton Chevallier (Sociologue)
Et Giulio Mattioli (Chercheur en transport durable)

24 Avril 2017

Est-ce que l’accès à l’emploi, aux services et aux loisirs n’est qu’une question de mobilité pour les personnes les plus démunies ? Quels sont les obstacles ou les alternatives ? Telles sont les questions auxquelles tentent de répondre Leslie Belton Chevallier et Giuilio Mattioli.



01. Pour les plus pauvres, la mobilité constitue-t-elle une ressource indispensable pour accéder à l’emploi, aux services et aux loisirs ?

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Leslie Belton Chevallier

Comme tout le monde, les ménages pauvres ont besoin de se déplacer pour accéder à l’emploi, aux services et aux loisirs. Mais ces derniers sont plus (mis) à distance (objective - en kilomètres - ou vécue et perçue[^1]), de ces aménités que les ménages plus aisés. Mais de quel type de ménage pauvre parle-t-on ? De fait, la pauvreté a de multiples visages et concerne des catégories de ménages et d’individus de plus en plus hétérogènes. Plusieurs travaux sur la mobilité des pauvres ont axé leur propos sur la « désastreuse immobilité » à laquelle ces ménages sont confrontés, à la nécessité de devoir « bouger pour s’en sortir », pour accéder à l’emploi. Par là-même, ils induisent une certaine injonction à la mobilité. À l’unisson avec d’autres travaux, des entretiens qualitatifs avec des ménages périurbains avec des revenus modestes révèlent, à l’inverse, que leur moindre (voir l’absence de) mobilité résidentielle, quotidienne ou professionnelle découle du fait qu’ils valorisent plus l’ancrage et la proximité avec leurs réseaux que la mobilité spatiale comme ressources pour pallier leur pauvreté. Nombreux sont ceux qui préfèrent rester près des leurs, lesquels peuvent leur fournir des aides multiples (garde d’enfant, aides aux déplacements, etc.) plutôt que de changer de commune, et de ce fait se rapprocher d’emplois potentiels ou mieux rémunérés, et de commerces plus nombreux et plus diversifiés. C’est en tout cas particulièrement saillant pour les ménages pauvres périurbains, alors même que le choix de rester dans une zone périurbaine joue un rôle déterminant dans leur pauvreté. Etre pauvre peut également être synonyme de déplacements fréquents, voire complexes. Les catégories professionnelles les moins qualifiées (et donc les plus exposées au risque de pauvreté) sont confrontées à une grande précarité qui se caractérise par des changements fréquents d’emplois et donc de lieux (lieux d’emploi, lieux où les travailleurs seraient susceptibles d’en obtenir un – Pôle Emploi, agence d’intérim, etc. -, voire lieux de résidence). Dans les situations les plus extrêmes de pauvreté, l’enjeu est moins d’avoir accès à un emploi ou à des services qu’à un logement décent, chauffé et à soi, à de la nourriture, etc. La subsistance ne passe pas forcément par l’emploi : glanage, aides sociales, recours aux associations comme les Resto du Cœur, hébergement d’urgences, etc. Ces pratiques sont très consommatrices en temps et en déplacements pour passer de l’une à l’autre, pour obtenir les bons interlocuteurs, etc. Pour conclure, la mobilité – déplacement est certes une ressource pour les ménages les plus pauvres mais au même titre que la proximité ou l’ancrage résidentiel. [^1]: On peut être proche en kilomètre mais être néanmoins mis à distance des aménités. D’une part, du fait de leur prix mais également du fait de la distance sociale, qu’on s’impose à soi-même ou que les autres renvoient en termes de légitimité sociale. Par exemple, la légitimité des jeunes issus de zones sensibles dans les espaces publics hyper centraux dont ils ne maîtrisent pas forcément les normes, codes et comportements attendus.

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G. M

Je suis tout à fait d’accord avec Leslie : ce débat mérite d’être nuancé. J’ajouterais tout de même une chose, c’est qu’il existe différents schémas en termes de lieu de résidence des ménages pauvres au sein des zones urbaines. Il est vrai que dans de nombreuses agglomérations européennes, les ménages pauvres sont poussés (ou confinés) dans les zones urbaines périphériques en raison de la hausse des prix de l’immobilier. Mais le schéma contraire existe aussi. Par exemple, dans les villes britanniques, la pauvreté se concentre au cœur des villes, alors que les banlieues abritent une population plus aisée, davantage tributaire de la voiture. Ainsi, les ménages pauvres du centre-ville disposent d’un meilleur accès aux services de base (comme les hôpitaux, les écoles, les agences pour l’emploi), car ils peuvent se déplacer à pied ou avec les transports publics, mais sont touchés de façon disproportionnée par d’autres problèmes liés aux transports, comme la pollution de l’air.

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Giulio Mattioli

Je suis partagé. D’un côté, oui, indéniablement. Dans nos sociétés modernes, la mobilité est une ressource indispensable à chacun de nous, que l’on soit démuni ou aisé. Il est bien plus important de pouvoir parcourir de grandes distances aujourd’hui qu’il y a quelques dizaines d’années. Notre vitesse de déplacement a augmenté, tout comme les distances qui séparent nos maisons de nos différents lieux de destination. Il devient par conséquent nécessaire d’aller plus loin pour accéder à l’emploi, aux services publics et aux lieux de loisirs. D’un autre côté, on pourrait avancer que la mobilité compte davantage pour les classes aisées que pour les plus démunis. Les premiers exercent souvent des emplois plus spécialisés, qu’on ne trouve pas partout et qu’ils vont donc chercher plus loin. Ils ont aussi des loisirs qui demandent plus de déplacements (par exemple, l’ornithologie amateur ou le ski alpin). En un mot, ils ont adapté leurs modes de vie à des niveaux de mobilité plus importants. A contrario, les classes modestes, qui ont des activités moins spécialisées, travaillent et s’adonnent à leurs loisirs dans un périmètre plus restreint. Dans une certaine mesure, leurs « besoins de mobilité » sont déjà dimensionnés en fonction de leurs contraintes. En revanche, certains groupes défavorisés comme les personnes au chômage dans des régions les plus économiquement déprimées peuvent être amenés à parcourir de longues distances pour trouver un emploi, même peu qualifié. Encore à un autre niveau, d’un point de vue normatif, il est certainement vrai que les classes modestes sont davantage privées d’accès à des services fondamentaux, tels que les hôpitaux. On peut aussi se demander si les démunis devraient augmenter leurs déplacements s’ils veulent réduire l’écart qui les sépare des nantis (pour accéder par exemple à une meilleure éducation, de meilleurs emplois ou gagner en mobilité sociale). La réponse est oui, très certainement. J’ai beau ne pas du tout aimer la posture du scientifique qui prétend que « les choses sont beaucoup plus compliquées que ça ! », il faut bien admettre qu’en l’occurrence, c’est le cas !

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L. B

La capacité à se déplacer est effectivement une valeur omniprésente et distinctive dans nos sociétés. Si les pauvres sont en moyenne moins mobiles que des ménages plus aisés, il est difficile de se contenter d’une segmentation entre riches mobiles et pauvres immobiles. Pour les cadres internationaux, le pouvoir réside plus dans la capacité à faire en sorte de gérer les déplacements de subalternes qu’à se déplacer soi-même. À l’opposé, de nombreux travailleurs pauvres peuvent être très mobiles : chauffeurs routiers longue distance, ouvriers dans les BTP, etc. Aussi, pour rebondir sur la conclusion de Giulio, il ne suffit pas que les ménages pauvres se déplacent plus pour réduire la distance sociale qui les sépare des catégories sociales les plus aisées. D’autres formes de « mobilité », à savoir des changements d’attitudes, de registres de langage, d’habillements (ces exemples ne sont évidemment pas exhaustifs) sont nécessaires, si tant est qu’ils soient suffisants…

02. Quels sont les obstacles matériels, cognitifs et symboliques qui font obstacle à la mobilité ?

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Leslie Belton Chevallier

Les obstacles à la mobilité sont potentiellement nombreux. Par la situation économique qui les définit, les « pauvres » font d’abord face à des obstacles matériels dans la mesure où il est plus difficile, avec de faibles revenus, d’accéder à la propriété automobile, de loger à proximité immédiate de lieux équipés en commerces ou services, voire d’acheter des tickets de bus. À ces obstacles financiers, peuvent également s’ajouter les barrières physiques qui entourent leurs localisations, résidentielle (quartier enclavé, coupures, etc.) ou professionnelle. Néanmoins ces obstacles matériels n’empêchent pas les « pauvres » de se déplacer, même si leurs déplacements sont plus réduits. Réparer soi-même sa vieille voiture, utiliser des modes dits actifs (marche, vélo) ou alternatifs à l’autosolisme (autostop, covoiturage, etc.), emprunter un véhicule motorisé à des tiers, prendre les transports sans titre sont autant d’arrangements qui permettent le déplacement. Certes, ces arrangements ne correspondent pas toujours à la norme d’un déplacement autonome, légal ou motorisé mais ils montrent que des pratiques complexes de déplacement sont possibles. Si elles impliquent de faibles distances kilométriques, elles s’avèrent néanmoins épuisantes tant sur le plan physique que psychologique. Les obstacles cognitifs ou symboliques sont parfois plus prégnants même s’ils relèvent plus de l’origine et de la position sociale vécue des personnes que de leur situation économique objective (les deux étant plus ou moins liées). La difficulté à se repérer dans l’espace, à lire une carte ou un plan sont autant de difficultés cognitives qui limitent les déplacements ou en font des épreuves particulièrement difficiles à affronter. Ces difficultés sont également d’ordre symbolique dans la mesure où elles renvoient l’individu à son absence de maîtrise d’une pratique considérée comme normale, et donc à son exclusion, comme en témoignent des études sur les séniors, les personnes en situation de handicap ou les migrants. Les obstacles symboliques aux déplacements se cumulent à d’autres formes de limites symboliques qui concernent l’inscription spatiale des personnes. Quels sont les lieux qu’ils estiment avoir le droit de fréquenter, dans lesquels leur présence leur semble légitime et selon quelles modalités ?

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G. M

Leslie soulève un point intéressant en affirmant que la mobilité est devenue une « norme » à laquelle les individus peuvent être gênés de ne pas pouvoir se conformer. Concrètement, cela signifie par exemple que les personnes qui ont peur de conduire en subissent les conséquences matérielles et font l’objet d’une certaine stigmatisation sociale. De leur point de vue, la nécessité imposée de recourir à un mode de transport individuel (la voiture) est un obstacle au bien-être. Selon moi, il convient donc de réfléchir en termes d’« obstacles au bien-être/à la qualité de vie/à l’intégration sociale » et d’examiner le rôle ambivalent que joue la mobilité à cet égard, plutôt que de partir du principe que la mobilité est une bonne chose en soi et de chercher des « obstacles à la mobilité ».

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Giulio Mattioli

Dans nos sociétés entièrement organisées autour de l’automobile, le premier frein matériel de ma liste est le fait de ne pas posséder de voiture. Loin de moi l’idée d’en déduire que tous les ménages non motorisés sont nécessairement sans le sou ! Beaucoup de monde, en particulier dans les grandes villes, a une grande facilité de mobilité et voyage beaucoup, même sans voiture. On peut pourtant difficilement nier qu’en bien des circonstances, la voiture favorise l’accessibilité. Les freins financiers sont un deuxième type d’obstacle évident. Il faut pouvoir se permettre de voyager, et cela peut coûter très cher. La possession d’une voiture ne fait donc pas tout, il faut aussi avoir les moyens de payer le carburant, l’entretien, l’assurance… De fait, la voiture place de nombreuses personnes dans une situation de détresse économique : elles dépensent des sommes astronomiques pour être motorisées, au détriment d’autres postes de leur budget (par exemple le chauffage) et continuent de n’avoir pas accès à tous les lieux où il leur faudrait pouvoir se rendre. Quant aux barrières cognitives, certaines personnes n’ont pas les compétences nécessaires pour voyager. D’aucuns n’ont pas le permis, d’autres ne savent pas s’orienter dans les transports en commun. Certaines n’ont peut-être pas même conscience de l’existence de trajets possibles (pour une opportunité d’emploi par exemple). Les chercheurs et les décideurs politiques s’y réfèrent parfois comme à un problème « d’horizon de déplacement restreint » : certaines personnes *devraient* se déplacer davantage (notamment pour trouver du travail), même si elles n’en ont pas conscience ou n’en ont pas la volonté. J’ai quelques réserves à ce sujet, car s’exprime là un point de vue assez paternaliste. Je vois ce qui le motive, reste que c’est étrange d’affirmer à quelqu’un : « je soutiens que vous ne vous déplacez pas assez, *même si vous n’êtes pas d’accord là-dessus* ».

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L. B

Plus que l’absence de propriété d’une voiture, je pense que le premier frein est de ne pouvoir y avoir accès. De fait, de nos jours, de nombreuses alternatives à la possession automobile (autopartage, location longue durée, voiture de fonction, prêt, etc.) existent. Elles sont essentiellement mobilisées par des ménages qui vivent en centre-ville, car ils disposent d’autres alternatives modales. Les ménages urbains ont aussi un accès facilité à ces offres automobiles alternatives qui peuvent faire l’objet de politiques locales comme l’auto-partage. Au-delà de leurs coûts relatifs, ces alternatives peuvent être également directement liées à la promotion d’un statut social « supérieur » (la voiture de fonction par exemple). Dans leur ensemble, elles restent donc l’apanage de catégories plutôt aisées, même si de nombreuses initiatives sociales et solidaires les mobilisent désormais au service des plus modestes. Une autre problématique est la dangerosité des véhicules des ménages les moins aisés qui est évidemment liée aux freins financiers évoqués par Giulio. Une voiture moins bien entretenue faute de moyens est aussi plus dangereuse pour ses passagers. Le paternalisme évoqué plus haut renvoie directement à cette injonction paradoxale à la mobilité et au problème que posent la diffusion et la promotion d’une valeur que les classes dominantes contestent peu. Néanmoins, aujourd’hui, à l’image des crises politiques européennes (au sein de l’Union européenne et de ses pays membres), il faut bien reconnaître que la valeur mobilité n’a pas que de beaux jours devant elle et fait l’objet de nombreuses contestations.

03. Existe-t-il des alternatives à la mobilité pour faciliter l’intégration des pauvres ?

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Leslie Belton Chevallier

La mobilité est nécessaire quand elle permet effectivement d’améliorer la situation économique des personnes considérées, en favorisant leur accès à l’emploi, aux aménités essentielles comme les commerces ou à leur réseau social. Cette mobilité peut être quotidienne, résidentielle, professionnelle, etc. Compte tenu des obstacles précédemment cités, de nombreux moyens peuvent être mis en œuvre pour la favoriser et la rendre plus inclusive : aides financières aux déplacements, logements sociaux à proximité de commerces ou services ou des réseaux sociaux (y compris dans les espaces peu denses), formation ou apprentissage de la mobilité (lire un plan de réseau, faire du vélo, conduire, etc.). La mobilité n’est néanmoins pas suffisante et ne garantit pas la réussite d’un retour à l’emploi ou à la vie sociale, quand la personne en a été sortie. D’autres solutions sont aussi utilisées pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion. Outre la recherche de la croissance économique conduisant à un idéal de plein-emploi et à une répartition plus équitable de la richesse, les instruments de politiques publiques reposent le plus souvent sur les revenus minimaux ou les aides sociales dépendantes du montant du revenu ainsi que sur des exonérations fiscales sur critères dits « sociaux ». Pour ce qui est de l’exclusion à proprement parler, d’autres moyens portent moins sur l’alignement de la mobilité des « pauvres exclus » sur celle des « riches inclus » que sur le développement d’un mode de vie en proximité : mise en place d’actions locales dans les quartiers, épiceries solidaires, visites à domicile des personnes âgées en situation de précarité financière, etc. Pour conclure, les « pauvres » ne sont ni une catégorie homogène ni nécessairement socialement exclus. De fait, un nombre croissant de personnes, actifs (employés, ouvriers,…), propriétaires de leurs résidences principales, ne correspond pas à l’image d’Epinal du pauvre. Si être mobile permet d’accéder à des emplois et à des services, cela ne signifie pas nécessairement sortir de la pauvreté et de l’exclusion, à supposer une fois de plus que les deux soient liées. La mobilité n’est ni une fin en soi, ni une recette magique. Mettre la mobilité au centre des solutions pour mettre fin à l’exclusion des pauvres est révélateur d’une vision binaire où mobilité est synonyme d’inclusion et d’appartenance à la classe dominante et où son absence rime avec exclusion et appartenance à la classe dominée. Cela conduit à imposer une « injonction croissante à la mobilité », dénoncée par certains auteurs. Or si la mobilité est un outil pour les classes dominantes, les plus riches, au service du maintien de leur position sociale, elle ne l’est pas nécessairement pour les autres classes, qu’elles soient pauvres ou non.

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G. M

Je suis d’accord avec Leslie : il est dangereux de supposer qu’une plus grande mobilité implique nécessairement une plus grande intégration sociale. C’est souvent le cas, mais il devrait toujours s’agir d’une question empirique et non pas d’une hypothèse de base. Les conséquences politiques de ce raisonnement sont tout aussi problématiques. Si mobilité = intégration, comment concilier cette équivalence avec le besoin urgent de réduire la demande énergétique et les émissions carbone dans le secteur des transports ? La solution ? Moins se focaliser sur la mobilité en elle-même et davantage sur les besoins qu’elle permet de satisfaire.

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Giulio Mattioli

Les services en ligne sont souvent présentés comme de possibles substituts aux déplacements physiques, notamment pour l’accès aux services et les déplacements professionnels (télétravail). Mais cela pose un problème : les « défavorisés en matière de transports » n’ont pas toujours accès à ces services, parce qu’ils ne peuvent pas se le permettre ou parce qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires, entre autres. C’est le fameux problème de la fracture numérique. Ainsi que vous le dirait n’importe quel sociologue, à une première forme d’exclusion s’en ajoute souvent une seconde, et je ne suis donc pas sûr qu’on puisse aller très loin sur ce terrain. De plus, des solutions comme le télétravail peuvent être relativement viables dans les domaines qui relèvent de l’économie de la connaissance mais ne peuvent clairement pas s’appliquer à un certain nombre d’emplois et de services peu qualifiés ou manufacturiers. Certains soutiennent que les catégories modestes compensent leur mobilité réduite en mobilisant d’autant plus les réseaux de sociabilité tissés localement, à l’endroit où elles vivent (je fais ici référence à du vrai lien social pas à Facebook !). Mais là encore le rapport de substitution entre les deux a ses limites. L’un dans l’autre, je ne suis pas sûr qu’il soit souhaitable de chercher des « alternatives à la mobilité ». Nous aurons toujours besoin de nous déplacer pour répondre à différents besoins fondamentaux de nos existences. J’avancerai l’idée que le problème est plutôt d’arriver à ramener nos déplacements dans un rayon plus restreint que ce n’est le cas aujourd’hui. Cela permettrait de minimiser l’importance accordée à la possession d‘une voiture et à la vitesse de déplacement, ce qui est déjà le cas dans certaines zones urbaines denses où les services et les opportunités professionnelles sont assez concentrés. Ce serait là un facteur d’inclusion sociale ou tout au moins réduirait la part de la mobilité dans les facteurs d’exclusion. Cela réduirait également l’empreinte environnementale des transports, déterminante pour le changement climatique. On gagnerait vraiment sur tous les tableaux.

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L. B

Les « alternatives à la mobilité » n’ont pas vocation à supprimer les déplacements mais à favoriser d’autres modes que celui de l’automobile, et tout particulièrement l’autosolisme[^1], sur de longues distances. En considérant la question à une échelle plus sociétale ou environnementale, effectivement tout le monde a à gagner à un tel système d’alternatives fondé sur une valorisation de la proximité. [^1]: Fait d'être seul dans son véhicule.



Leslie Belton Chevallier

Sociologue

Leslie Belton Chevallier est chargée de recherche à l’IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l'Aménagement et des Réseaux). Sociologue des mobilités et des modes de vie, ses travaux de recherche visent à comprendre les pratiques de mobilité des individus, leurs constructions sociale et spatiale ainsi que leurs évolutions, plus particulièrement en lien avec la diffusion des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) et les exigences ou impératifs de développement durable de nos sociétés.


Giulio Mattioli

Chercheur en transport durable

Giulio Mattioli est chercheur au département de planification des transports de l’université de Dortmund. Ses recherches portent notamment sur les facteurs sociaux des voyages longues distances, la dépendance à la voiture, les obstacles à la décarbonation dans le secteur des transports, les inégalités liées aux transports, la vulnérabilité énergétique et la politique économique des systèmes de transport.



Pour citer cette publication :

Leslie Belton Chevallier et Giulio Mattioli (24 Avril 2017), « La mobilité est-elle un remède à la pauvreté ?  », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./regards-croises/3594/la-mobilite-est-elle-un-remede-la-pauvrete


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