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Les paradoxes écologiques des mobilités post-Covid : le bilan de notre dossier

Notes de recherches
Début: Janvier 2023
Fin: Janvier 2025

Les huit articles et podcasts qui ont été produits pour le dossier « Les mobilités post-covid : un monde d’après plus écologique ? », mené conjointement par le Forum Vies Mobiles et Métropolitiques, tissent une toile où se mêlent bouleversements du télétravail, accélération des politiques des transports, développement des modes actifs, résilience de l’aviation et continuités du système automobile. Quelles ont été les ruptures et quelles sont les tendances dans un monde post-codiv en plein stress écologique ?

Acteurs de la recherche

 

Contact : Thomas Évariste

Les articles du dossier

Les paradoxes écologiques des mobilités post-Covid – texte conclusif, par Thomas Évariste, Jean-Baptiste Frétigny, Maxime Huré, Thomas Pfirsch

Les réflexions rassemblées dans le dossier « Les mobilités post-covid : un monde d’après plus écologique ? » co-dirigé par Métropolitiques et le Forum Vies Mobiles ont questionné les effets de la crise sanitaire de la Covid-19, au début des années 2020, sur les pratiques et les politiques de mobilité, et ce dans des contextes territoriaux variés, en France, en Europe et ailleurs.

Le dossier met en lumière des tendances paradoxales à l’œuvre dans les mobilités de nos sociétés contemporaines. Il souligne à la fois de fortes continuités dans l’action publique et les pratiques de mobilité (notamment la résilience des systèmes automobile et aérien) et des ruptures importantes liées, en grande partie, au développement du télétravail. Les effets de ces dynamiques sur l’empreinte environnementale du secteur des transports (contribuant, rappelons-le, à 32% des émissions de gaz à effet de serre en France en 2022) s’avèrent eux aussi profondément ambivalents. Ainsi, le dernier bilan des émissions françaises pointe une lente réduction des émissions routières entre 2022 et 2023 (en lien avec l’électrification du parc et la hausse des prix à la pompe), une baisse des émissions aériennes des vols internes, mais une hausse de celles liées à l’aviation internationale sur la même période 1.

En mettant à jour ces évolutions ambivalentes, le dossier ouvre de nouvelles pistes pour la recherche. Dans ce texte conclusif, nous en retiendrons trois. : premièrement, en ce qui concerne les pratiques de mobilité, la crise sanitaire peut être analysée comme une période propice à l’accélération de tendances préexistantes ; deuxièmement, la rupture provoquée par les confinements dans les systèmes de mobilité a fait advenir de nouvelles problématiques pour l’action publique ; enfin, ce dossier montre des tendances qui permettent d’entrevoir une société mobile plus à même de prendre en compte les enjeux écologiques, tout en mentionnant un certain nombre de sujets absents des agendas politiques et pourtant incontournables au regard des enjeux climatiques, sociaux et environnementaux contemporains.

Les effets de la crise sanitaire sur les mobilités : rupture, continuité ou accélération de tendance ?

Les effets de la crise sanitaire sur les pratiques de mobilité ont été, de prime abord, déterminés par les mesures de restriction des déplacements prises par les gouvernements lors des pics épidémiques, en particulier au moment des premiers confinements au printemps 2020. Si, à première vue, tout semble s’être arrêté, on a observé en réalité une forte divergence entre les modes de transport collectif d’une part (aviation, train, métro, etc.… ), mis à l’arrêt, puis tenus d’adopter des mesures sanitaires coûteuses pour redémarrer leurs activités et les modes de transport individuel d’autre part (vélo, marche, automobile), largement privilégiés par les individus durant les périodes de restriction ou de confinement par crainte d’une contamination. L’automobile a alors été perçue comme « un refuge » pour les individus (Vincent et al.), comme cela a été observé lors des épisodes de fortes chaleurs 2.

Cependant, l’analyse sur la durée proposée dans le dossier montre qu’une fois levées les mesures de restrictions, le nombre de déplacements a globalement retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. C’est net dans le cas de l’aérien et des transports collectifs dès 2022 et dans une moindre mesure dans celui de l’automobile. Seules les pratiques du vélo (Chapelon et al.)et de la marche (Leuba) dans les grandes métropoles semblent en augmentation de manière durable. On est frappés de constater la résilience du système automobile (Vincent et al.) et l’appétence toujours plus grande pour les déplacements aériens, où les acteurs du secteur comme les consommateurs entretiennent même un sentiment de revanche (Lin). Ce retour en accéléré aux déplacements carbonés est ainsi à rebours des efforts à réaliser pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Au final, le dossier montre que lLa transformation la plus significative des pratiques de mobilité est liée au développement du télétravail, qui a été massif pour une partie de la population active (cadres, salariés du secteur des services aux entreprises et agents administratifs notamment). Les effets de cette transformation de l’organisation du travail sur les pratiques de mobilité s’avèrent complexes à évaluer (Aguilera et al.). La rupture du télétravail s’inscrit dans la durée et devient une norme pour de nombreuses entreprises. Les changements qu’elle induit sont déjà perceptibles dans les rythmes et les modes de transports utilisés, mais se révèlent paradoxaux et contre-intuitifs. Si le télétravail favorise une diminution des déplacements domicile-travail , il peut s’accompagner d’une augmentation des déplacements privés, souvent effectués en voiture. De même, dans la métropole de Lyon, tandis que le télétravail permet de diminuer les volumes de déplacements domicile-travail réalisés en automobile, il est également vecteur d’une nouvelle distribution des flux dans les transports collectifs avec des phénomènes de jours de pointe les mardis et les jeudis et peut entraîner une baisse de la fréquentation globale de ces derniers (Vincent et al.).

De nouvelles problématiques pour les politiques de mobilités ?

Ces évolutions des pratiques de mobilité sont à relier avec l’action menée par les décideurs politiques. Dans cette perspective, la crise sanitaire a été un levier pour accélérer des transformations déjà à l’œuvre avant les années 2020. L’action la plus emblématique menée pendant la crise sanitaire – l’aménagement de coronapistes pour les cyclistes – traduit ainsi l’accélération des plans en faveur du vélo préalablement élaborés par les collectivités locales (Chapelon et al.). La pérennisation de cet « urbanisme tactique » dans certaines villes témoigne d’un engagement de fait dans des modes de déplacements peu carbonés. Ce dernier a d’ailleurs bénéficié d’un fort encouragement de l’État, qui, avec son plan « vélo et mobilités actives » lancé en 2018 avait poussé diverses collectivités à concevoir leurs propres plans avant la pandémie 3. De plus, à l’échelle locale, les engagements pérennes en faveur du vélo ne concernent qu’une partie des métropoles (Debrie et Maulat). Les actions en faveur de la marche semblent quant à elles encore plus limitées (Leuba). Cet engagement en faveur des modes actifs apparait d’autant plus modeste si on le compare à l’ampleur des fonds publics attribués aux secteurs automobiles et aériens, dont les intérêts ont été pris en compte dans la logique – de court terme – des plans de relance dès le début de la pandémie 4. Il ressort donc de cette période (2020-2024) une grande confusion dans les orientations politiques de long terme entre des tendances écologiques et anti-écologiques qui se côtoient et se succèdent.

Ces contradictions des politiques de mobilité post-Covid peuvent s’expliquer de plusieurs manières. La crise sanitaire a fragilisé le modèle de financement des transports collectifs, confrontés à la chute des recettes liées aux usagers et à l’augmentation des coûts engendrés par les mesures de protection sanitaire (désinfection, sièges vides pour éviter la proximité physique, etc.) (Avril et Henny). Cette fragilisation constitue un autre paradoxe, puisque les besoins d’investissement dans le secteur, qui a dû essuyer une inflation des prix de l’énergie, sont incontournables pour espérer une diminution des déplacements carbonés. Cette problématique est à mettre en lien avec l’essor du télétravail qui, on l’a dit, a redistribué la fréquentation des transports collectifs dans les grandes villes (Vincent et al.). Or, si l’encadrement du télétravail a été accompagné par les pouvoirs publics, en particulier au sein des administrations, l’ampleur de son déploiement dans les entreprises n’a pas été anticipé. Cette réorganisation des mobilités quotidiennes en lien avec le télétravail a des effets écologiques incertains à long terme (Aguilera et al.).

De manière générale, les nouvelles problématiques de mobilités s’imposant aujourd’hui dans les politiques publiques proviennent autant des changements de comportement des individus (rythmes de travail, appétence pour l’avion) que des stratégies poursuivies par les entreprises (télétravail, revanche de l’aérien). À ce titre, le développement massif des livraisons à domicile depuis la crise sanitaire pose un problème de régulation des activités privées et des lieux de stockage dans les villes et leurs périphéries et donc des flux engendrés par cette nouvelle économie de plateforme (Debrie et Maulat).

Enfin, au-delà de la transformation accélérée du secteur sur l’emploi (robotisation), les effets de la revanche de l’aérien sur les émissions de GES n’ont pour l’heure pas véritablement conduit à des stratégies politiques lisibles en la matière, alors que l’aviation constitue l’un des modes de transport les plus polluants (Lin).

Ainsi, si l’urgence de la situation sanitaire et les incertitudes quant à l’évolution de l’épidémie n’ont pas aidé les décideurs politiques à penser une planification/bifurcation écologique des mobilités dans les premières semaines de la pandémie, de nouvelles problématiques se sont rapidement imposées, notamment financières, tandis que d’autres ne semblent pas être vues comme prioritaires.

Des points d’appui pour une société mobile plus écologique

Nonobstant ces difficultés en matière d’action publique, les réflexions rassemblées dans ce dossier livrent des pistes utiles pour orienter les mobilités vers une meilleure prise en compte des enjeux climatiques et écologiques. En matière d’action publique, la pérennisation des coronapistes accompagnant le développement de la pratique cyclable (Chapelon et al) ainsi que le déploiement d’une politique de la marche en Suisse (Leuba) représentent des leviers encourageants. Les préoccupations sanitaires peuvent donc servir de levier pour le développement des mobilités actives. Les réflexions en cours dans le monde universitaire sur la transition écologique des activités de recherche sont également stimulantes (Ben Ari et Wilde). Les mouvements flying less aux États-Unis ou celui de Labos 1point5 en France permettent d’engager des discussions, des évaluations et des actions concrètes sur la diminution de l’impact des mobilités des enseignants-chercheurs. Possible point d’appui, l’essor du télétravail invite à intégrer tous les paradoxes de la mobilité, en ouvrant de nouveaux questionnements : sera-t-il un levier pour un retour à des activités de proximité ou au contraire un vecteur d’accroissement des déplacements longue distance ? Ouvre-t-il la voie à une diminution des déplacements pendulaires réalisés en automobile ou à un délaissement des transports collectifs dans les grandes villes (Aguilera et al.) ?

Cependant, ces différents leviers restent encore modestes au regard des enjeux climatiques. La question de la diminution et de l’évitement des mobilités dans nos sociétés (en volume et en distance) n’a toujours pas été mise à l’agenda politique. Ce constat est assez paradoxal puisque la crise sanitaire a été l’occasion d’une expérimentation en temps réel de ralentissement et d’immobilité, lors des confinements, ainsi que la seule période où une diminution nette des émissions de GES a été observée. Cinq ans après, force est de constater que la pandémie ne nous a pas conduits vers un monde moins mobile ou mobile autrement. Le monde d’après est-il donc simplement un rattrapage – voire une accentuation – des pratiques du monde d’avant ?

L’analyse des effets de la crise sanitaire sur les mobilités questionne donc les mécanismes de gouvernement au cours des périodes de crise. On observe un décalage dans l’action publique entre la temporalité courte de gestion de la crise et la difficulté à penser le temps long de la transition écologique, voire de l’adaptation au changement climatique. Cette difficulté pourrait expliquer les paradoxes à l’œuvre dans les politiques de mobilité. La gestion de la crise sanitaire interroge la manière dont nos sociétés pourront anticiper les crises climatiques à venir (inondations, vagues de chaleur, tempêtes et autres évènements extrêmes), alors que les politiques menées ne sont pas au niveau des enjeux actuels et oublient que la crise pourrait prochainement devenir la norme.

Dossier thématique proposé par la revue Métropolitiques et le Forum Vies Mobiles : « Les mobilités post-covid : un monde d’après plus écologique ? »

Éditeurs :

  • Jean Baptiste Frétigny, Maxime Huré, Thomas Pfirsch (pour Métropolitiques)
  • Thomas Évariste, Anne Fuzier, Christophe Gay (pour le Forum Vies Mobiles)

Podcast – Le Covid a-t-il grippé les transports collectifs ? avec Annelise Avril et David Henny

Podcast – Qu’est-ce qu’une politique de la marche après les confinements ? avec Jenny Leuba

Point de vue – « Revenge travel » : aéromobilités et industrie aérienne après la pandémie, par Weiqiang Lin

Notes de recherche – Urbanisme tactique cycliste et crise sanitaire, par Laurent Chapelon, Sandrine Depeau, Benoît Feildel, Adrien Lammoglia, Maëlle Lucas, Nathalie Ortar et Adrien Poisson.

Notes de recherche – Des inflexions durables dans l’usage post-Covid de la voiture ? Le cas de la métropole de Lyon, par Stéphanie Vincent, Olivier Klein, Ali El Zein, Pascal Pochet et Adrien Beziat

Point de vue – Les politiques de mobilité des métropoles ont-elles été redéfinies par la crise du Covid ?, par Jean Debrie et Juliette Maulat

Regards croisés – L’université peut-elle apprendre à se passer de l’avion ?, par Tamara Ben Ari et Parke Wilde

Point de vue – Le télétravail et la promesse fragile de mobilités plus durables, par Anne Aguiléra, Leslie Belton Chevallier, Julie Perrin, Éléonore Pigalle et Laurent Terral

Notes

1  CITEPA, Gaz à effet de serre & polluants atmosphériques. Bilan des émissions en France de 1990 à 2022, rapport d’inventaire SECTEN 2023.

2  6-T bureau d’études, Impacts des épisodes de fortes chaleurs sur la mobilité, rapport d’étude, 2024.

3  Le soutien national aux mobilités actives, un temps amplifié après la crise sanitaire (plan vélo et marche 2023-2027), pourrait s’interrompre avec la rigueur budgétaire et les changements de gouvernements intervenus en 2024. Le projet de budget 2025 du gouvernement Barnier prévoyait son abandon.

4  La contribution de l’État dans le cadre du « Plan vélo et modes actifs » est estimée à 300 millions d’euros. À titre de comparaison, la contribution de l’État dans le cadre du plan de relance « France Relance 2030 » à destination de la filière automobile est estimée à 5 milliards d’euros. Pour le secteur aérien, ce soutien est estimé à 1,2 milliards d’euros dans le cadre de « France Relance 2030 », s’ajoutant à 1,6 milliards d’euros dépensés entre 2020 et 2022. Source : ministère de l’économie, des finances et de l’industrie : https://www.economie.gouv.fr/france-2030

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Télétravail

Exercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.

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Confinement

Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.

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Transition

Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.

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