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Questionner l’effet barbecue

Par
Sébastien Munafò (Géographe)
26 Novembre 2014

L’effet barbecue remet en cause les vertus souvent attribuées à la ville dense en matière de mobilité. Explications de Sébastien Munafò.






Je vais vous parler aujourd’hui de l’effet barbecue. L’effet barbecue désigne une piste de recherche mise en avant par certains chercheurs qui viserait à remettre en question les vertus que l’on attribue fréquemment à la ville dense en matière de mobilité. Qu’est-ce qui a amené ces chercheurs à formuler cette piste de recherche ? En quoi consiste cet effet barbecue ? Et quelles questions cela soulève-t-il ? Ce sont les trois interrogations qui vont structurer mon propos.

L’origine du concept d’effet barbecue

1. ville dense, ville durable

L’effet barbecue est né de trois constats. Le premier, c’est que la forme urbaine interagit très fortement avec les comportements de mobilité des individus. Il y a tout une série d’études qui montrent que l’habitat dense, les villes centres, sont associées à une utilisation fréquente des transports publics, de la marche, du vélo, alors que les zones étalées, les zones périurbaines moins denses, sont associées à une utilisation très fréquente de l’automobile et des distances importantes pour les déplacements quotidiens. Ce lien entre la forme urbaine, en particulier la densité et la mobilité, est rapidement associé au caractère plus ou moins durable de cette mobilité, puisque l’on sait que l’automobile génère beaucoup plus de nuisances que d’autres modes de transport, notamment une consommation d’énergie bien plus importante. Il est apparu que la ville dense est devenue la forme urbaine la plus à même de générer une mobilité plus durable. Ce lien entre la forme urbaine et le type de mobilité générée a été particulièrement bien mise en évidence par deux chercheurs australiens, Newman et Kenworthy, qui ont mis en relation la densité urbaine et la consommation énergétique liée aux déplacements et donc, sur un échantillon de plus de trente villes dans le monde entier. Ils mettent en évidence que plus la ville est dense, moins la consommation énergétique liée aux déplacements est importante. En revanche, plus elle est étalée, plus cette consommation est massive. Donc, malgré des critiques vis-à-vis de leur étude, la courbe de Newman et Kenworthy, qui met en évidence ce lien, a largement marqué les esprits, notamment des urbanistes qui, aujourd’hui, prônent la ville compacte pour favoriser l’émergence d’une mobilité plus durable.

2. L’oubli de la mobilité de loisirs et occasionnelle

Le deuxième constat : tout une série d’études qui se basent – notamment celle de Newman et Kenworthy – sur le lien entre forme urbaine et mobilité, ne prennent en considération que la mobilité routinière, la mobilité réalisée durant la semaine. Ce sont des études qui ne prennent pas en considération la mobilité de loisirs, la mobilité plus occasionnelle, moins contrainte et donc, aussi, plus difficilement saisissable.

3. la mobilité de loisirs est énergivore

Troisième constat, cette mobilité de loisirs est aujourd’hui particulièrement importante. Il faut dire que les loisirs occupent une place essentielle dans nos modes de vie. On a toujours de plus en plus de temps libre. Aujourd’hui, la mobilité de loisirs, dans beaucoup de pays, constitue même le premier motif de déplacements de la population, tant en nombre de déplacements qu’en distance parcourue. En Suisse, par exemple, la mobilité de loisirs représente 37 % des déplacements, contre seulement 23 % pour le travail et 22 % pour les achats. En outre, ces déplacements de loisirs, qui sont très nombreux, sont très fréquemment réalisés avec des moyens de transport énergivores : la voiture et surtout aussi, l’avion. Donc, de ces trois constats est née l’interrogation suivante : est-ce que ce lien entre forme urbaine et mobilité qu’on a souvent mis en évidence est le même lorsque l’on prend en compte l’ensemble de la mobilité réalisée par les urbains, y compris la mobilité de loisirs, y compris cette mobilité réalisée à longue distance en avion ?

En quoi consiste l’effet barbecue ?

Une des réponses apportée à cette interrogation, c’est l’effet barbecue. L’effet barbecue a été annoncé au début des années 2000 par deux chercheurs français, Jean-Pierre Orfeuil et Daniel Soleyret qui se sont intéressés aux interactions entre mobilité locale de courte distance et mobilité de longue distance, en semaine et durant les week-ends, chez les français. Dans leur étude, ils mettent en évidence que les habitants des zones centrales, des zones denses, des centres villes, se déplacent plus fréquemment pour le loisir que des habitants des zones périurbaines plus étalées. Cet écart s’expliquerait, selon eux, par le fait que les périurbains, les habitants de l’habitat pavillonnaire, ont un environnement résidentiel plus favorable pour passer leur temps libre, notamment un jardin ou des forêts à proximité. En revanche, les habitants des centres villes devraient compenser ce manque d’environnement vert ou de nature dans leur environnement quotidien et se déplacer plus fréquemment pour en profiter. Les deux chercheurs appellent cet effet « barbecue » du nom de cette activité typique facilement réalisable dans le périurbain, plus difficilement praticable en centre-ville. En outre, ils mettent en évidence le fait que ces déplacements de loisirs, comme ils sont réalisés en avion et sur de très longues distances, sont à même de remettre en cause la relation très claire qu’on a mise en évidence jusqu’ici entre la forme urbaine et la mobilité. Selon eux, on aurait, si on prenait en compte cette mobilité de loisirs, une courbe qui aurait une toute autre allure : plus la densité augmente, plus les déplacements sont énergivores.

Ces travaux ont conduit à remettre en question la densité urbaine et ses vertus. Est-ce que cette densité est si bénéfique que cela si, au final, elle pousse les urbains à fuir la ville et à aller chercher des opportunités qu’ils n’ont pas en avion et à consommer beaucoup d’énergie pour cela ?

Trois pistes de recherche

1. Les mécanismes d’influence

A mon sens, l’effet barbecue soulève trois questions qui constituent autant de pistes de recherche intéressantes. Tout d’abord, les mécanismes d’influence. Les chercheurs ont mis en évidence des liens statistiques, mais finalement, qu’est-ce qui pousse les urbains centraux à se déplacer fréquemment et sur de longues distances ? Par rapport à l’effet barbecue, je fais l’hypothèse que les urbains centraux ont des modes de vie qui comprennent des déplacements de longue distance, mais ces déplacements ne sont pas tous du même type. Il y en a certains qui sont en lien, effectivement, avec la recherche de la nature, du plein air, des environnements agréables qu’ils n’ont pas au quotidien. Ce sont des déplacements que l’on peut appeler « compensatoires », puisqu’ils vont compenser un environnement résidentiel qu’ils n’ont pas au quotidien ailleurs. Mais il y a d’autres types de déplacements de loisirs qui sont aussi très importants : ce sont des déplacements pour aller chercher la ville ailleurs, pour aller chercher des opportunités urbaines ailleurs. Ce sont, par exemple, tous les week-ends réalisés par les urbains dans d’autres villes grâce, notamment, au développement des compagnies aériennes low-cost. Donc, l’effet barbecue mis en évidence par Jean-Pierre Orfeuil et Soleyret ne concernerait qu’une partie de ces déplacements. C’est une hypothèse que je fais.

2. Quel impact énergétique des déplacements compensatoires?

Deuxième question et deuxième piste de recherche finalement, l’ampleur de cet effet barbecue, est-ce qu’il est vraiment à même de remettre en cause les vertus de la ville dense ? Si on ne s’intéresse qu’à un certain type de déplacements, les déplacements compensatoires justement, on peut faire l’hypothèse qu’en fonction de certaines caractéristiques des agglomérations – notamment leur taille et l’accessibilité en transport public avec l’arrière-pays de l’agglomération en question –, les déplacements compensatoires peuvent être réalisés sur de plus courtes distances et avec d’autres moyens de transport que la voiture. Dans ce cas-là, ces déplacements compensatoires auraient un bilan énergétique, un impact environnemental plus faible. Donc il se peut que des centres villes de même densité, en fonction de ces critères, ne génèrent pas de déplacements compensatoires de même nature et que, dans certains cas, ces déplacements compensatoires ne renversent pas la courbe de Newman et Kenworthy et que la ville dense garde tous ses avantages en matière de mobilité – là aussi une question ouverte.

3. A quoi rassemblerait une ville sans déplacements compensatoires ?

Et puis, dernière piste de recherche, peut-on finalement agir sur la ville, construire la ville différemment pour générer moins de déplacements compensatoires, pour réduire cet effet barbecue ? La question qui se pose est : à quoi pourraient ressembler les cadres de vie urbains qui auraient à la fois les vertus de la ville dense et qui présenteraient des opportunités intéressantes pour les loisirs, pour les habitants des villes centres, qu’ils soient quitte de dépenser beaucoup d’énergie, de se déplacer beaucoup pour rejoindre des opportunités qu’ils n’ont pas à proximité ? Et puis, dans ce domaine, il y a une question essentielle : est-ce que, vraiment, il est possible d’agir sur la mobilité de loisirs en sachant que, dans ce domaine, le déplacement imprègne beaucoup les représentations ? Pour beaucoup, en fait, les vacances sont simplement synonymes de départ, de mobilité. Cette association très forte est complètement indépendante des contextes résidentiels. Donc il serait finalement vain de remettre en cause la ville dense pour agir sur ces déplacements dont on aurait un solde incompressible – là aussi une question ouverte qui mériterait d’être explorée. Voilà les trois pistes de recherche autour de l’effet barbecue que je m’efforce de poursuivre dans ma recherche de doctorat, qui porte sur les agglomérations de Genève et Zurich. Une recherche qui allie méthode quantitative et qualitative et dont je pourrai bientôt, j’espère, vous présenter les principales conclusions.

Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Sébastien Munafò

Géographe

Après l'obtention d'une licence en sciences humaines et sociales à l’Université de Neuchâtel en 2006, il a travaillé à Berlin à l’Institut für Mobilitätsforschung du groupe BMW puis au département de géographie appliquée de la Freie Universität. Il a rejoint l'Observatoire Universitaire de la Mobilité de l'Université de Genève en 2008 avant d’intégrer le LaSUR en 2011.



Pour citer cette publication :

Sébastien Munafò (26 Novembre 2014), « Questionner l’effet barbecue », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 21 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org./videos/2686/questionner-leffet-barbecue


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